Affaire Seloger.com : sur la contrefaçon de marque par imitation, les marques notoires et le risque de confusion.

Par Antoine Cheron, Avocat.

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Explorer : # contrefaçon de marque # caractère distinctif # risque de confusion # notoriété de la marque

Personne n’est surpris aujourd’hui par le nombre important d’affaires traitées par les juridictions en matière de cybersquatting, c’est à dire d’atteinte au droit des marques sur Internet. La valeur économique prise par les marques et les noms de domaine dans l’environnement numérique n’est plus à démontrer, d’où la nécessité d’une protection de ces signes.

(Janny B. c/ Pressimmo On Line et Sa Se Loger.com Cour d’appel 14 OCTOBRE 2014)

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Dans ce contexte, une décision de la Cour d’appel de Paris en date du 14 octobre 2014 mérite notre attention puisqu’elle vient valider la marque Seloger.com alors pourtant que son caractère distinctif n’était pas si évident à constater.

Les faits

La société Pressimmo On Line est chargée de gérer et d’exploiter le site Seloger.com, lequel met en ligne des annonces immobilières d’achat et de location de logements. Elle a déposé et enregistré auprès de l’INPI 6 marques verbales et semi-figuratives toutes basées sur le verbe « se loger ».

Elle a assigné pour contrefaçon de sa marque et en concurrence déloyale et parasitisme, une agence immobilière exerçant la même activité de mise à disposition d’annonces immobilières. Il était reproché à ce mandataire immobilier l’usage des vocables « se loger pas cher » ou encore « se loger moins cher » comme nom de domaines (seloger-pas-cher.com) et comme enseignes de son activité.

Par demande reconventionnelle fondée sur l’article L-711-2 du CPI, le mandataire immobilier a sollicité du TGI l’annulation des 6 marques verbales et semi-figuratives de Seloger.com, au motif qu’elles présenteraient un caractère descriptif au regard de la caractéristique essentielle du service qu’elles désignent, à savoir trouver un logement aux personnes.

Le TGI de Paris rejettera les demandes du mandataire immobilier formulées à ce titre et le condamnera à verser 10.000 euros à Seloger.com en réparation du préjudice subi par ses actes de contrefaçon et de l’atteinte portée au nom de domaine www.seloger.com.

La décision de la Cour d’appel

La Cour jugera d’une part qu’aucun acte de contrefaçon ou de concurrence déloyale et parasitisme n’est à reprocher au mandataire immobilier et que d’autre part, c’est le cœur de la décision, la marque seloger.com présente un caractère distinctif, répondant ainsi positivement à une condition fondamentale de la validité de la marque.

I/ Nullité partielle de deux marques et validité de la marque seloger.com

Avant de reconnaître le caractère distinctif de la marque seloger.com et de valider l’enregistrement auprès de l’INPI, la Cour va prononcer la nullité partielle de la marque verbale « Se Loger » et de la marque semi-figurative « Seloger », pour absence de caractère distinctif.

A/ Nullité partielle des marques Se Loger et Seloger.

Afin d’enregistrer valablement une marque celle-ci doit présenter un caractère distinctif, c’est-à-dire permettre de distinguer les produits et services d’une entreprise de ceux émanant d’une autre entreprise.

La CJUE a depuis longtemps reconnu que la fonction essentielle de la marque est de « garantir au consommateur l’identité d’origine du produit ou du service désigné par la marque, en lui permettant de distinguer sans confusion possible ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance » [1].

D’après l’article L-711-2 du CPI le caractère distinctif d’une marque s’apprécie à l’égard des produits ou services désignés. Ainsi la marque qui est dans le langage courant ou professionnel, la désignation exclusive, nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service désigné n’a pas de caractère distinctif.

C’était précisément sur le fondement de cet article que le mandataire immobilier en l’espèce avait sollicité et obtenu de la Cour d’appel à ce qu’elle prononce la nullité de certaines des marques fondées sur le verbe se loger. En effet, selon lui le verbe se loger est d’un usage courant et la société Seloger.com ne peut pas s’en réserver le monopole au détriment des autres opérateurs économiques.

C’est en examinant la classe de produits et services au sein de laquelle est enregistrée chacune des marques que la Cour d’appel arrivera à la conclusion que certaines d’entre-elles ne sont pas distinctives au regard de l’article L-711-2 CPI.

Ainsi, pour deux de ces marques, la nullité partielle de leur enregistrement sera prononcée du fait qu’elles figurent notamment dans une classe de produits et services appartenant explicitement au domaine immobilier ou du logement « éléments contenus dans les banques de données ou bases de données comportant des annonces immobilières, des informations sur les agences immobilières…  »

En revanche, les autres marques, ayant toujours pour base le verbe se loger, seront considérées comme valides, la classe de produits et services dont elles relèvent n’ayant aucun lien avec le domaine de l’immobilier et du logement mais concerne celui de la « communication et de la transmission d’informations contenues dans un centre serveur télématique…  ».

B/ Validité de la marque SeLoger.com sur le fondement de sa notoriété

Pour ce qui est précisément de la marque seloger.com, marque et nom de domaine à la fois, la Cour d’appel va la considérer comme valide, bien que relevant en partie d’une classe de produits et services appartenant au domaine immobilier et du logement.

Dans un premier temps les juges pointent les indices qui concourent à l’absence de distinctivité de la marque. La Cour relève que le terme se loger, qui est l’élément dominant dans la marque « seloger.com » est d’un usage courant et que pour le public concerné, il est habituellement utilisé dans l’activité immobilière en vue de faciliter par le biais d’annonces la recherche d’un logement, pour permettre de « se loger ».

Les juges relèvent encore que l’absence d’espace entre « Se » et « Loger », commençant tous les deux par une majuscule n’a pas d’incidence sur sa signification habituelle.

La Cour ajoute que l’adjonction du suffixe « .com » qui relève du langage courant ne confère en rien un caractère distinctif à l’ensemble « SeLoger.com ». Les internautes savent parfaitement aujourd’hui que le suffixe « .com » sert de terminaison fréquente pour un type d’adresse sur Internet et ne peut permettre de ce fait à la marque de distinguer les produits et services visés présents sur le marché.

La jurisprudence européenne considère également que le fait d’accoler l’élément « .com » à un terme non distinctif (photos) n’a pas pour effet de rendre le signe distinctif dans son ensemble [2].

La Cour d’appel de Paris a jugé en 2008 que l’adjonction du suffixe « .com » qui est entré dans le langage courant, au mot defiscalisation n’est pas de nature à conférer un caractère distinctif à la marque dont le terme principal « defiscalisation » est générique [3].

Plus récemment encore le TGI de Paris a pu décider que la marque « vente-privée.com » composée de vocables génériques n’avait pas de caractère distinctif et que le rajout du suffixe « .com » restait insuffisant à lui conférer cette distinctivité [4].

En d’autres termes, si nous restons fidèles à cette jurisprudence, ce n’est pas le rajout du suffixe « .com » qui a permis de conférer à la marque « SeLoger.com » le caractère distinctif. Il a fallu, et c’est le second temps dans le raisonnement de la Cour d’appel, démontrer l’acquisition par l’usage d’un caractère distinctif de la marque.

La société seloger.com se fonde justement sur l’article L-711-2 dernier al. du CPI consacré à l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, pour faire valoir que lors du dépôt de sa marque en 2006, le vocable « seloger.com » était utilisé de façon notoire pour désigner le site internet www.seloger.com ».

Afin de convaincre les juges du caractère notoire du site, Seloger.com apporte différents éléments dont le niveau de fréquentation importante du site (1 million de visiteurs environ en 2002), une étude réalisée par l’institut TNS Sofrès en 2005 montrant un niveau de notoriété à hauteur de 87%, arrivant en tête dans la catégorie des sites immobiliers sur internet.

Dès lors, peu important que la marque SeLoger.com ait été enregistrée dans la classe de produits et services appartenant au domaine de l’immobilier et du logement, il a suffi que lors du dépôt elle ait acquis par l’usage un caractère distinctif.

Pour un exemple récent de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage d’un signe, se reporter à l’arrêt de la Chambre commerciale du 14 mai 2013 (Dalloz 2013 – 2492) : « que l’arrêt relève que le signe « dict.fr » a largement et continuellement été exploité, par la société Sogelink, en tant que marque (…) la cour d’appel a pu déduire que le signe « dict.fr » avait acquis un caractère distinctif par l’usage ».

II/ Pas d’acte de contrefaçon ou d’imitation de la marque seloger.com

En matière d’action en contrefaçon de marque, le travail du juge réside dans l’appréciation du risque de confusion pour les consommateurs. Les juridictions nationales appliquent de longue date la méthode développée par la CJUE consistant à avoir une appréciation globale du risque de confusion, laquelle implique une interdépendance entre les facteurs pris en compte, à savoir la similitude des marques en cause et celle des produits et services désignés.

L’attention du juge est notamment attirée sur le fait qu’un faible degré de similitude entre les produits ou services désignés peut être compensé par un degré élevé de similitude entre les marques, et inversement.

En l’espèce, sur le fondement de l’article L-713-2 du CPI, la société seloger.com reprochait au mandataire immobilier des actes de contrefaçon et d’imitation de ses marques en utilisant notamment les vocables « se loger pas cher » et « se loger moins cher » ainsi que les noms de domaine « seloger-pas-cher.com » et « seloger-moins-cher.com », avec la précision que ce mandataire exerçait une activité immobilière similaire tant sur Internet que comme agent commercial immobilier.

Mettant en œuvre cette méthode, la Cour d’appel n’a pas retenu d’acte de contrefaçon des marques Se Loger, SE LOGER ou encore SeLoger pour la raison que contrairement aux affirmations de la société seloger.com les produits et services désignés dans l’enregistrement de ces marques n’appartiennent pas au domaine de l’immobilier et du logement (comme dit précédemment). Ainsi si la similitude des signes peut être retenue en l’espèce, il ne peut en aller de même pour les produits et services désignés dans l’enregistrement des marques.

En revanche, s’agissant des marques SeLoger.com la Cour a reconnu une identité ou à tout le moins une similitude entre l’activité du mandataire et celle de la société seloger.com concernant les produits et services désignés à l’enregistrement appartenant au domaine de l’immobilier et du logement.

Dès lors, l’activité étant similaire, ce sera à partir de la comparaison des signes que la Cour va apprécier le risque de confusion. A ce titre elle rappelle que concernant « la comparaison des signes, le risque de confusion constitutif d’une contrefaçon au sens de l’article L 713-3 du CPI doit s’apprécier globalement et se fonder, en ce qui concerne la similitude visuelle, auditive ou conceptuelle des marques en cause, sur l’impression d’ensemble produite par ces marques en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants ».

Les juges commencent par préciser que pour apprécier la similitude entre les signes, ici « seloger.com » et « seloger-pas-cher.com … », il convient de les prendre tels que le public les perçoit, et s’agissant d’achat ou de location de logements, le public de référence est le consommateur d’attention moyenne.

Selon les juges le risque de confusion n’est pas constitué à raison des noms de domaines « seloger-pas-cher.com » ou encore « seloger-moins-cher.com » crées par le mandataire immobilier. L’analyse de ces noms dévoile que le suffixe « .com » n’est pas accolé directement au verbe se loger, alors qu’il l’est dans la marque « Seloger.com », marque qui a acquis une distinctivité par l’usage grâce à cette disposition d’ensemble.

Par ailleurs, les juges relèvent la longueur des noms de domaines en cause et concluent que le suffixe « .com » n’apparaît pas, phonétiquement, visuellement ou conceptuellement, comme lié à ces noms mais constitue la simple terminaison d’une adresse Internet.

Enfin les juges notent que compte tenu de la nature des produits et services en cause, c’est-à-dire l’achat ou la location d’un bien immobilier, les consommateurs concernés déploient une attention et une vigilance plus importante que la moyenne des consommateurs et que par conséquent les noms de domaines litigieux ne sont pas susceptibles d’être perçus comme une déclinaison de la marque « seloger.com ».

Si en l’espèce les juges n’ont pas constaté d’existence du risque de confusion pour le consommateur, c’est en partie en raison de la notoriété de la marque Seloger.com. Plus la marque est notoire et moins le risque de confusion est grand pour un consommateur d’attention moyenne.

Pour un exemple de jurisprudence récente dans ce domaine, on peut citer l’arrêt rendu par la Cour de cassation à propos de la marque « Lézard graphique ». La Chambre commerciale a en effet censuré les juges du fond qui pour écarter tout risque de confusion entre la marque (et son nom de domaine) « lézard-graphique » et la marque (et son nom de domaine) « Studio Lézard » avaient jugé que les noms étaient différents, en raison de la présence du terme « studio ». Pour la Cour de cassation il convenait de rechercher si les ressemblances existantes ne créaient pas un risque de confusion pour un consommateur d’attention moyenne n’ayant pas simultanément les deux signes sous les yeux [5].

La constatation du risque de confusion par le juge est affaire de circonstances. Cependant on peut relever que lorsque la marque est notoire et largement connue du public de référence le risque de confusion est faible et à l’inverse, ce risque est facilement constatable lorsque la marque est peu connue de ce public.

Antoine Cheron

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Notes de l'article:

[1CJCE, 18 juin 2002, Philips Electronics c/ Remington Consumer Products aff. C-299/99

[2Trib UE 21 nov. 2012 Gretty Images c./ OHMI aff. T-338/11

[3Paris, 25 janv. 2008 RDLI 2008/42 N°1383

[4TGI Paris 28, nov. 2013 RDLI 2014/100 n°3319

[5Com 25 mars 2014 n 13-13690 « Lézard graphique : PIBD 2014. III. 411 »

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