Dès lors qu’un employeur embauche un étranger sans titre (et même si la Déclaration Préalable à l’Embauche (DPAE) a été faite et qu’un contrat de travail a bel et bien été signé), il tombe sous le coup du délit de travail illégal et encourt des sanctions d’une violence inouïe.
En particulier, lorsque l’employeur est lui-même étranger résidant régulièrement sur le territoire national, en plus des sanctions classiques en cas de travail illégal, il risque de se voir retirer sa carte de résident.
En ce sens, l’article L432-11 du CESEDA (anciennement L314-6) dispose depuis le 1er mai 2021 que :
« Tout employeur titulaire d’une carte de résident peut se la voir retirer s’il a occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L8251-1 du Code du travail » [1].
Cette sanction suppose la réunion de plusieurs éléments, doit être l’aboutissement d’une réelle procédure contradictoire et doit être proportionnée. On constate toutefois des dérives à tous les stades.
Le constat d’une situation de travail.
A titre préliminaire, notons que l’article L432-11 est muet sur le mode de constatation de l’infraction. En pratique ce constat s’opère principalement via procès-verbal dressé par l’inspection du travail, la gendarmerie, ou même l’URSSAF, agissant souvent de concert au sein du CODAF. D’ailleurs, dans une optique contentieuse, rien d’autre qu’un procès-verbal n’est en mesure de prouver le constat (et surtout pas une simple composition pénale, qui n’a, de toute façon, aucune autorité de la chose jugée [2], ni même un simple contrat de sous-traitance qui n’a, en soit, rien d’illégal [3]).
Notons également l’emploi singulier du terme « occuper » et non pas « embaucher » comme le prévoit le code du travail auquel il est fait référence. Rien n’indique pourtant que la situation, serait différente.
D’autant que si le texte ne les mentionne pas expressément, l’existence d’une situation de travail repose sur la réunion des classiques éléments du contrat de travail dégagés par la Cour de cassation dans son arrêt du 22 juillet 1954, à savoir, un travail, un lien de subordination et une rémunération [4].
Bien que son contrôle se limite à celui de l’erreur manifeste d’appréciation, le juge administratif, comme le juge judiciaire, contrôle l’existence de ces trois éléments. Et l’analyse de la jurisprudence montre que les erreurs en la matière sont légion [5].
L’illégalité de l’embauche.
En plus de la classique déclaration préalable à l’embauche, et de la signature d’un contrat, l’emploi d’un étranger (à savoir toute personne d’une nationalité d’un état tiers à l’Union européenne) nécessite une autorisation particulière.
L’article L8251-1 du Code du travail prévoit que :
« Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France. Il est également interdit à toute personne d’engager ou de conserver à son service un étranger dans une catégorie professionnelle, une profession ou une zone géographique autres que celles qui sont mentionnées, le cas échéant, sur le titre prévu au premier alinéa ».
Selon la nationalité, la situation du salarié, la nature et l’endroit du poste proposé, les démarches pour l’embaucher sont différentes. Le droit en la matière est foisonnant, mais de façon très synthétique, on retiendra les options suivantes :
- Soit la personne possède déjà, lors de son embauche, un titre valant autorisation de travail (c’est par exemple le cas du visa long séjour valant titre de séjour mention vie privée et familiale, de la carte de séjour « travailleur temporaire » ou « travailleur saisonnier », ou encore de la carte de résident). Dans ce cas, elle n’a aucune démarche particulière à faire ;
- Soit son titre ne lui confère pas le droit de travailler. Son futur employeur doit alors solliciter une autorisation de travail via un site internet dédié. Selon le poste proposé, l’employeur devra préalablement publier l’offre d’emploi en ligne. L’inspection du travail (DREETS) donne son accord ou rejette la demande.
Si, malgré la mention du salarié sur le Registre unique du personnel, malgré la signature d’un contrat de travail, et malgré la DPAE et le paiement entier des cotisations, le salarié étranger est constaté en situation de travail alors qu’il ne dispose pas d’un titre valant autorisation de travail, ne dispose pas d’autorisation de travail, ou pire encore, ne dispose même pas de titre autorisant son séjour, alors cette embauche est illégale et l’administration est alors en droit de sanctionner l’employeur.
En pratique, mentionnons également à ce stade que bon nombre d’employeurs se font parfois abuser par leur salarié qui achètent de faux titres de séjour, voire de faux titres d’identité d’un État européen. Qu’ils soient au courant de la réelle identité de leur salarié ou bien pas, la jurisprudence est parfaitement balisée en la matière.
Le Conseil d’État considère que :
« un employeur ne saurait être sanctionné sur le fondement de ces dispositions lorsque, tout à la fois, il s’est acquitté des vérifications qui lui incombent, relatives à l’existence du titre autorisant l’étranger à exercer une activité salariée en France, en vertu de l’article L5221-8 du Code du travail, et n’était pas en mesure de savoir que les documents qui lui étaient présentés revêtaient un caractère frauduleux ou procédaient d’une usurpation d’identité. En outre, lorsqu’un salarié s’est prévalu lors de son embauche de la nationalité française ou de sa qualité de ressortissant d’un État pour lequel une autorisation de travail n’est pas exigée, l’employeur ne peut être sanctionné s’il s’est assuré que ce salarié disposait d’un document d’identité de nature à en justifier et s’il n’était pas en mesure de savoir que ce document revêtait un caractère frauduleux ou procédait d’une usurpation d’identité » [6].
Le débat porte souvent sur la fausseté des carte d’identité issues de l’un des États de l’Union européenne. Le juge administratif considère donc avec constance que lorsque l’employeur a sollicité la communication de l’original du titre et que cet original avait l’apparence d’un titre officiel, l’administration ne serait faire grief à l’employeur d’avoir procédé à l’embauche du salarié pourtant étranger.
Le respect de la procédure contradictoire.
Une fois destinataire du procès-verbal, le préfet apprécie les suites à lui apporter. Disposant d’une importante palette de moyens, il peut également prononcer une fermeture administrative à l’encontre de l’établissement concerné.
L’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII) peut également entrer dans la danse en sanctionnant l’employeur à une « contribution » forfaitaire et à une « contribution » dite « spéciale » (qui ne sont en réalité rien d’autre que de très lourdes amendes administratives et d’ailleurs considérées comme telles par la jurisprudence).
Ce cumul de sanctions pose, de notre point de vue, une sérieuse question au regard du principe constitutionnel non bis in idem, d’autant que le plus souvent, des sanctions pénales sont également appliquées, ainsi, en cas d’absence de déclaration du salarié aux organismes sociaux, qu’un lourd redressement de cotisations de sécurité sociale [7].
La procédure de retrait se présente sous la forme d’une procédure administrative contradictoire classique.
Aux termes des dispositions de l’article L211-2 du CRPA :
« Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : ; 2° Infligent une sanction ; (…) ; 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; (…) ».
Aux termes des dispositions de l’article L122-1 du CRPA :
« Les décisions mentionnées à l’article L211-2 n’interviennent qu’après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L’administration n’est pas tenue de satisfaire les demandes d’audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ».
Les décisions de retrait de carte de résident sont concernées à double titre par ces dispositions : d’une part elles constituent des classiques décisions de retrait de décisions créatrices de droits ; d’autre part, elles sont considérées par le Conseil d’État comme une sanction, cette qualification ayant son importance pour l’office du juge administratif [8].
A l’égard des observations orales, le Conseil d’État d’État estime de façon constante que ces dispositions :
« font obligation à l’autorité administrative de faire droit, en principe, aux demandes d’audition formées par les personnes intéressées en vue de présenter des observations orales, alors même qu’elles auraient déjà présenté des observations écrites. Ce n’est que dans le cas où une telle demande revêtirait un caractère abusif qu’elle peut être écartée » (encore récemment : CE, 29 juillet 2020, n° 432267).
Pratiquement, l’employeur recevra un courrier du préfet l’informant de la décision susceptible d’être prise et qu’il dispose d’un certain délai pour faire valoir ses observations. Ce délai n’est pas quantifié dans le CESEDA, il est donc laissé à la libre appréciation du préfet.
En pratique, on constate un délai de 15 jours, mais une autre durée n’est pas à exclure [9].
Enfin, l’article L122-2 du CRPA dispose que :
« Les mesures mentionnées à l’article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu’après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant ».
Cela suppose donc que l’employeur étranger a la possibilité de demander la communication du dossier le concernant (en particulier celle du procès-verbal). Vraisemblablement, si le préfet ne défère pas à cette demande, la sanction est entachée d’illégalité [10]. Mais plus encore, au regard de la nouvelle tendance du Conseil d’État, un retrait pourrait être considéré comme illégal si le courrier invitant l’employeur ne mentionne pas la possibilité qu’a celui-ci de solliciter la communication du procès-verbal [11].
La proportion de la décision.
A l’issue du délai laissé à l’employeur pour présenter ses observations, le préfet peut prendre et notifier sa décision. A ce stade, le préfet doit opérer deux choix : premièrement, il doit décider s’il sanctionne ou pas. Dans le premier cas, il doit ensuite décider s’il délivre, à la place de la carte retirée, un titre de séjour temporaire.
Pour décider du principe du retrait, le CESEDA ne prévoit aucune condition ni aucun paramètre. Le code prévoit simplement que l’employeur « peut » se voir retirer (notons l’emploi de la forme passive qui dénote la volonté du législateur, que l’étranger se laisse faire) sa carte en cas de constat de violation. Le préfet est donc en compétence purement discrétionnaire.
Pour autant, le préfet n’a pas champ libre et son appréciation de la situation est strictement contrôlée par le juge administratif au regard du droit au respect de la vie privée et familiale [12].
Pour effectuer son contrôle de proportionnalité, le juge administratif prend en compte la durée du séjour de l’intéressé en France ainsi que l’ensemble de ses attaches, notamment familiales, en France. La lecture de la jurisprudence en la matière dévoile des pratiques assez inquiétantes et régulièrement censurées par le juge administratif [13].
On constate dernièrement un important taux d’appel des préfets contre les jugements annulant leurs arrêtés. Plus encore, dernièrement, la Cour administrative d’appel de Paris a même eu à statuer sur des demandes de sursis à exécution de la part du préfet qui avait vu son arrêté annulé en première instance, pratique pourtant assez rare [14].
Lorsqu’il décide du retrait, le préfet peut, ou bien pas, accompagner sa décision de la délivrance d’un titre de séjour d’une durée variable, mais le plus souvent d’une durée d’un an [15].
Mentionnons d’ailleurs à ce stade l’existence d’une pratique qui s’éloigne du texte : l’employeur étranger est convoqué en préfecture et doit remettre sa carte de résident. On lui remet, à la place non pas le titre de séjour (ce qui est pourtant indiqué dans l’arrêté de retrait), mais un simple récépissé de demande de titre de séjour, qui fragilise grandement son statut [16]. L’étranger doit attendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois l’instruction de son dossier pour se voir remettre son titre, le plus souvent arrivant rapidement à expiration.
Nul doute que la délivrance d’un titre de séjour pluriannuel (ou d’un an seulement), est la caution du préfet, qu’il octroie pour tenter d’« adoucir » la sanction. Le juge administratif n’est toutefois pas dupe de cette pratique. Il juge régulièrement que « en dépit de l’octroi concomitant d’une carte de séjour », le retrait de la carte de résident « vient nécessairement fragiliser les conditions de séjour en France » de l’étranger [17].
Ainsi, l’employeur sanctionné possède à sa disposition bon nombre de moyens pour se défendre, qu’il s’agisse de moyens de forme, de procédure mais également de moyens de fond, permettant de le disculper.