Une action tirée du droit civil.
La résiliation judiciaire tient son fondement dans le droit civil aux articles 1217, 1224 et 1227 à 1230 du code civil :
Article 1217 : « La partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement peut : (…) – provoquer la résolution du contrat (…) » ;
Article 1224 : « La résolution résulte soit (…) ou d’une décision de justice » ;
Article 1227 : « La résolution peut, en toute hypothèse, être demandée en justice » ;
Article 1228 : « Le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l’exécution du contrat (…) ».
Ces règles sont applicables aux relations entre un salarié et son employeur.
Ainsi, la résiliation judiciaire du contrat de travail est une procédure en vertu de laquelle le juge prud’homal va pouvoir rompre le contrat de travail liant un salarié et son employeur, sur demande d’une des parties (en principe le salarié) qui invoque des manquements contractuels graves de son cocontractant.
L’action en résiliation judiciaire du contrat de travail relève de la compétence du Conseil de prud’hommes.
Cass. soc., 13 mai 2003, n°01-17.452
Cass. soc., 30 mai 2013, n°12-14.289
Une action en résiliation du contrat de travail par principe réservée au salarié.
Par principe, seul le salarié peut saisir le Conseil de prud’hommes afin de solliciter la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
A l’inverse, l’employeur est par principe irrecevable à demander la résiliation judiciaire du contrat de travail d’un salarié.
Cass. Soc. 20 janvier 1998, n°95-43350
De même, dans le cadre d’une action en résiliation judiciaire intentée par le salarié, l’employeur ne peut pas former une demande reconventionnelle visant à faire prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts du salarié.
Cass. Soc. 29 juin 2005, n°03-41966
Cette irrecevabilité se justifie par le fait que l’employeur dispose d’un pouvoir disciplinaire sur le salarié qui lui permet de le sanctionner s’il estime que ce dernier a manqué à ses obligations contractuelles.
Ainsi, si l’employeur considère que le salarié a manqué de façon si grave à ses obligations que le contrat de travail doit être rompu, il doit licencier ce dernier en respectant la procédure légale ou conventionnelle de licenciement.
L’effet pervers de l’ouverture de la résiliation judiciaire à l’employeur serait que cette action devienne un substitut de licenciement utilisé pour éviter la procédure de licenciement.
Si malgré tout l’employeur demande la résiliation judiciaire du contrat de travail de son salarié, cette action s’analysera en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cass. soc., 5 juillet 2005, n°03-45.058
Cass. soc., 17 mars 2010, n°08-44.887
Il existe une seule et unique exception à cette règle dans le cas très précis énoncé à l’article L6222-18 du code du travail (rupture anticipée d’un contrat d’apprentissage).
L’action en résiliation judiciaire entraîne-t-elle la rupture du contrat de travail ?
Non !
A la différence de la prise d’acte qui a pour effet de rompre immédiatement le contrat de travail, l’action en résiliation judiciaire n’a pas pour effet de rompre le contrat de travail.
La simple saisine du Conseil de prud’hommes n’a aucun impact et le contrat de travail continue de se poursuivre au cours de l’instance, selon les conditions de travail habituelles.
Une action fondée sur des manquements suffisamment graves de l’employeur.
Cette exigence résulte de l’article 1224 du code civil qui dispose que « La résolution résulte soit (…) soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice ».
Le salarié doit donc fonder sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail sur des manquements contractuels de son employeur.
Ces manquements doivent être « suffisamment graves », c’est-à-dire d’une gravité telle qu’ils rendent impossible la poursuite du contrat de travail.
La charge de la preuve pèse sur le salarié : il lui appartient de prouver les manquements ainsi que leur gravité.
Cass. soc., 14 septembre 2016, n°15-21.824
Les juges apprécient souverainement si les manquements de l’employeur sont d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation du contrat de travail.
Cass. soc., 15 mars 2005, n°03-42.070
A noter que le juge examine la gravité des manquements invoqués le jour où il statue et non au jour où ils se sont prétendument déroulés.
Les manquements doivent donc toujours être existants au jour où le Conseil statue.
Ainsi, l’employeur peut régulariser la situation entre la saisine du Conseil de prud’hommes et le jour où celui-ci statue et si les manquements ont disparu au jour où le Conseil statue, la résiliation judiciaire n’est plus justifiée.
Cass. soc., 29 janvier 2014, n°12-24.951
Pour apprécier la gravité des manquements, les juges prennent en compte les circonstances dans lesquelles ces manquements sont intervenus, leurs conséquences et ils sont aussi attentifs à leur ancienneté.
Ils considèrent notamment depuis 2014 que des manquements anciens remontant à plusieurs mois ou plusieurs années ne justifient pas la résiliation du contrat dans la mesure où ils n’ont pas empêché la poursuite du contrat de travail.
Cass. soc., 26 mars 2014, n°12-35.040
Néanmoins, récemment, la Cour de cassation est venue apporter une nuance concernant la prise d’acte qui semble aussi pouvoir s’appliquer à la résiliation judiciaire.
Le 15 janvier 2020, la Cour de cassation a validé le raisonnement de la Cour d’appel qui considérait que
« l’ancienneté des manquements n’empêchait pas de déclarer la prise d’acte imputable à l’employeur en raison de la persistance des manquements qui a rendu impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et la poursuite du contrat de travail ».
Cass. soc., 15 janvier 2020, n°18-23.417
En d’autres termes, la persistance de manquements anciens peut justifier une prise d’acte et, par analogie, pourrait a priori justifier une résiliation judiciaire.
Exemples de manquements jugés suffisamment graves pour entraîner la résiliation judiciaire du contrat de travail :
le fait pour un supérieur hiérarchique de discréditer le salarié ;
Cass. soc., 15 mars 2000, n°97-45.916
le fait de porter atteinte à la dignité du salarié ;
Cass. soc., 7 février 2012, n°10-18.686
le fait d’avoir modifié le contrat de travail sans l’accord du salarié (en l’espèce passage d’un horaire de jour à un horaire de nuit) ;
Cass. soc., 9 octobre 2013, n°12-21.807
le fait que le salarié soit victime d’un harcèlement moral ;
Cass. soc., 11 décembre 2015, n° 14-15.670
le fait pour l’employeur de manquer à son obligation de sécurité de résultat ;
Cass. soc., 8 juin 2017, n° 16-10.458
le non-respect des temps de repos hebdomadaires ;
Cass. soc., 7 octobre 2003, n° 01-44.635
A l’inverse, les manquements n’ont pas été jugés suffisamment graves dans les hypothèses suivantes :
Mise en œuvre tardive d’une visite médicale de reprise ;
Cass. soc., 21 octobre 2014, n°13-19.786
Non-remboursement des frais professionnels lorsque le salarié n’apportait aucun justificatif desdits frais malgré les demandes de l’employeur ;
Cass. soc., 13 juin 2012, n°11-11.780
Issues de l’action en résiliation judiciaire du contrat de travail.
L’action en résiliation judiciaire du contrat de travail peut connaître deux issues :
1. Le Conseil de prud’hommes prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié aux torts de l’employeur :
Si le Conseil de prud’hommes estime l’employeur a commis des manquements si graves qu’ils empêchent la poursuite du contrat de travail, il prononcera la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur.
Dans ce cas, la résiliation produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cass. soc., 20 janvier 1998, n°95-43.350
Cass. soc., 10 déc. 2003, n° 01-45.093
Le salarié peut ainsi prétendre :
Au paiement d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en fonction du barème Macron prévu par l’article L.1235-3 du Code du travail,
A l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement,
A l’indemnité légale ou conventionnelle de préavis et l’indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
A l’indemnité compensatrice de congés payés.
La résiliation judiciaire peut aussi produire les effets d’un licenciement nul si le cas d’espèce se trouve dans une des hypothèses suivantes :
Violation d’une liberté fondamentale,
Licenciement d’un témoin ou d’une victime d’un harcèlement moral ou sexuel (C. trav., art. L1152-3 et L1153-4),
Licenciement discriminatoire (C. trav., art. L1132-4 et L1134-4),
Licenciement d’un salarié protégé en raison de l’exercice de son mandat,
Licenciement d’une femme lors de sa maternité,
Licenciement d’un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
Dans tous ces cas de nullité, le barème prévu à l’article L1235-3 du Code du travail ne s’applique pas et le juge octroie au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure à 6 mois de salaire selon l’article L1235-3-1 du Code du travail.
Dans le cas d’un licenciement nul, le salarié a aussi droit aux indemnités de fin de contrat (indemnité de licenciement, indemnité de congés payés et indemnité de préavis).
2. Le Conseil refuse de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié.
Si le juge estime que les manquements reprochés à l’employeur ne justifient pas la rupture du contrat de travail, il déboutera le salarié.
Dans ce cas, le contrat de travail se poursuit.
Cass. soc., 26 sept. 2007, n° 06-42.551
Cass. soc., 17 mars 2010, n° 08-44.887
Cass. soc., 7 juill. 2010, n° 08-45.537
Date de la rupture du contrat de travail en cas de résiliation judiciaire :
Si le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail et que le salarié est toujours au service de son employeur à ce moment-là (il n’y a pas eu de rupture du contrat entre la saisine du juge et le jugement), le contrat est rompu au jour du prononcé du jugement.
Cass. soc., 11 janv. 2007, n° 05-40.626
Cass. soc., 21 sept. 2016, n° 14-30.056
Si le contrat a été rompu pour un autre motif (licenciement…) entre le moment de la saisine et du jugement et que les juges prononcent la résiliation judiciaire : la rupture remontre à la date de rupture du contrat de travail.
Cass. soc., 15 mai 2007, n° 04-43.663
Si la décision du Conseil de prud’hommes fait l’objet d’un appel et que l’appel confirme la résiliation judiciaire :
La rupture reste fixée au jour du jugement prud’homal prononçant la résiliation si le salarié a cessé de travailler pour l’employeur au moment de ce jugement,
La rupture est fixée au jour de l’arrêt de la Cour d’appel si le salarié a continué à travailler pour son employeur entre le jugement du Conseil de prud’hommes et le jugement de la Cour d’appel.
Cass. soc., 21 janv. 2014, n° 12-28.237, n° 130 FS - P + B
Articulation entre la résiliation judiciaire et les autres modes de rupture du contrat de travail :
Hypothèse 1 : le salarié saisi le Conseil de prud’hommes en demandant la résiliation judiciaire de son contrat de travail puis signe une rupture conventionnelle avec son employeur avant le jugement.
Si la rupture conventionnelle est signée et que sa validité n’est pas contestée dans l’année qui suit son homologation, la demande de résiliation judiciaire introduite antérieurement devient sans objet.
Cass. soc., 10 avr. 2013, n° 11-15.651
Hypothèse 2 : le salarié demande au Conseil de prud’hommes de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail puis est licencié par son employeur avant le jugement.
Dans ce cas, le Conseil de prud’hommes doit d’abord se prononcer sur la demande de résiliation judiciaire et ce n’est que s’il la considère injustifiée qu’il statuera sur le bien-fondé du licenciement.
Cass. soc., 16 févr. 2005, n° 02-46.649
Cass. soc., 21 mars 2007, n° 06-40.650
Si le Conseil de prud’hommes juge la demande de résiliation judiciaire comme fondée, elle s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Cass. soc., 22 mars 2006, n° 04-43.933
Dans ce cas, la date de rupture est fixée à la date d’envoi de la lettre de licenciement.
Cass. soc., 15 mai 2007, n° 04-43.663
Si le Conseil de prud’hommes juge la demande de résiliation judiciaire infondée, il se prononce sur le bien-fondé du licenciement et dans ce cas, il peut juger que le licenciement est fondé ou que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Ce n’est pas parce que le Conseil de prud’hommes déboute le salarié de sa demande de résiliation judiciaire qu’il jugera forcément que le licenciement est fondé.
Hypothèse 3 : le salarié demande au Conseil de prud’hommes de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail puis démissionne avant le jugement.
Dans ce cas, la démission rend la demande de résiliation judiciaire sans objet.
Hypothèse 4 : le salarié demande au Conseil de prud’hommes de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison des manquements graves de son employeur puis prend acte de la rupture de son contrat en raison des mêmes manquements.
Il est possible pour le salarié de prendre acte de la rupture de son contrat en raison des mêmes manquements de l’employeur qui ont justifié sa demande de résiliation judiciaire.
Cass. soc., 15 mars 2006, n° 05-41.376
Dans ce cas, les juges se prononceront uniquement sur la prise d’acte :
« la prise d’acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu’il reproche à l’employeur entraîne la cessation immédiate du contrat de travail en sorte qu’il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant ».
Cass. soc., 31 oct. 2006, n° 04-46.280
Cass. soc., 31 oct. 2006, n° 04-48.234
Cass. soc., 31 oct. 2006, n° 05-42.158
Distinction entre résiliation judiciaire et prise d’acte de la rupture du contrat de travail :
Dans l’esprit de nombreuses personnes, résiliation judiciaire et prise d’acte de la rupture du contrat de travail se confondent.
Pourtant, il a été jugé que ces deux modes de rupture ne se confondaient pas.
Cass. soc., 21 mars 2007, n° 05-45.392
Cass. soc., 19 nov. 2014, n° 13-22.054
En effet, ces deux modes de rupture sont distincts sur de nombreux points :
La procédure n’est pas la même :
- Le salarié saisit le Conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail,
- Concernant la prise d’acte, le salarié doit d’abord informer son employeur qu’il prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des manquements graves de son employeur, puis dans un second temps il saisit le Conseil de prud’hommes afin que ce dernier requalifie la prise d’acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou licenciement nul le cas échéant).
Les effets sur le contrat de travail ne sont pas les mêmes :
- La demande de résiliation judiciaire ne rompt pas le contrat de travail et le salarié continue à travailler dans l’entreprise jusqu’au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail par le Conseil de prud’hommes (si résiliation il y a),
- A l’inverse, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par le salarié rompt immédiatement le contrat de travail.
Les effets de l’échec de l’action ne sont pas les mêmes :
- Si les juges considèrent que la résiliation judiciaire est infondée, le contrat de travail se poursuit,
- Si les juges considèrent que la prise d’acte est infondée, ils feront produire à cette prise d’acte les effets d’une démission et le salarié n’aura pas droit aux indemnités de fin de contrat (indemnité de licenciement, indemnité de préavis) et aux indemnités de chômage. Surtout si la prise d’acte produit les effets d’une démission, le salarié peut être condamné à payer à son employeur l’indemnité correspondant au préavis qu’il n’a pas exécuté (Cass. soc., 23 janv. 2019, n°17-19.393).
La prise d’acte est donc beaucoup plus risquée que la demande de résiliation judiciaire.
Les règles sont différentes concernant la rétraction :
- L’action en résiliation judiciaire peut être rétractée à tout moment, le salarié peut se désister de son action librement,
- La prise d’acte entraîne une rupture immédiate du contrat de travail et ne peut donc être rétractée (Cass. soc., 23 juin 2015, n° 14-13.714).
Discussions en cours :
Bonjour,
Votre article est très intéressant.
Il manque toutefois une hypothèse...
Qu’en est il lorsque le contrat de travail est rompu par un départ en retraite antérieur à la date d’effet de la résiliation judiciaire ?
Une différence si retraite demandée par le salarié ou par l’employeur ?
Qu’en est il lorsque le contrat de travail est rompu par un départ en retraite postérieur à la date d’effet de la résiliation judiciaire ? (ex introduction du recours en résiliation le 11/06/2019 - départ en retraite le 01/07/2020 - jugement du 18/02/2021 qui retient comme date d’effet le 11/06/2019)
Dans ce cas les pensions doivent elles être remboursées ?
Merci de votre réponse....
Très bien expliqué je trouve, j’ai étudié cela en droit social pendant ma formation gestion de paie, mais là c’est bien détaillé. Je pense que je vais demander une résiliation judiciaire à mon très cher employeur
Le salarié est convoqué à entretien préalable et il introduit, dès le lendemain de l’entretien, une demande de résiliation judiciaire. Le licenciement est prononcé dans la foulée. Quid ?