La réforme du temps de travail du 20 août 2008 : ce qu’il faut retenir.

Par Frédéric Matcharadzé, Avocat.

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Explorer : # réforme du temps de travail # heures supplémentaires # négociation d'entreprise # monétisation du temps de repos

« - C’est une révolte ?
- Non, Sire, c’est une Révolution. »

-

C’est par ces mots que Louis XVI prenait connaissance, par un frais matin d’avril 1789, du cataclysme qui allait se produire. Et ces mots peuvent parfaitement être repris aujourd’hui, tant cette loi « portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail », bouleverse l’ordre établi, même si les révolutions en matière de droit du travail paraissent singulièrement fréquentes depuis quelques temps…

Nous ne nous intéresserons toutefois ici qu’au volet « temps de travail », après le toilettage minimum opéré par le Conseil constitutionnel, la réforme de la représentativité syndicale ne pouvant faire l’objet que d’une analyse complète.

Relevons tout d’abord que la loi est d’application immédiate : chaque employeur peut donc, dès à présent, inviter les partenaires sociaux à négocier sur les pans entiers de la législation sociales concernés par la loi.

Sur la durée du travail, deux domaines sont particulièrement bouleversés : les heures supplémentaires, et les repos compensateurs.

Ainsi, le contingent annuel, qui servait à fixer et donc à limiter le recours aux heures supplémentaires, perd une grande partie de sa raison d’être ; il est désormais déterminé par un accord collectif, un accord signé au sein de l’entreprise pouvant même être contraire à un accord de branche. A défaut, le contingent sera fixé par décret.

Mais surtout, les représentants du personnel (CE ou DP) devront être informés des heures effectuées dans le contingent, et consultés pour celles effectuées au-delà : exit donc l’information et l’autorisation qui devaient être demandée aux services de l’Inspection du travail, et qui offraient à ceux-ci un suivi des conditions de travail dans l’entreprise…

Les majorations demeurent toutefois inchangées, en principe à hauteur de 25 % pour les 8 premières heures accomplies, et de 50 % pour les suivantes.

S’agissant du repos compensateur obligatoire, celui-ci est purement et simplement supprimé : l’accomplissement d’heures supplémentaires dans la limite du contingent n’ouvrira droit qu’aux majorations susvisées. Seule une « contrepartie obligatoire en repos » sera due au titre des heures supplémentaires effectuées au-delà du contingent.

Là encore, il appartiendra à l’accord collectif (avec toujours la priorité donnée à l’accord d’entreprise) de déterminer l’étendue de cette « contrepartie ». A défaut, le repos sera de 50 % dans les entreprises de moins de 20 salariés, et de 100 % dans les autres.

On appréciera les nuances dans la sémantique utilisée : si le terme « compensation » évoque l’idée d’une réciprocité parfaite entre deux éléments, le terme « contrepartie » est loin de suggérer cette idée avec la même force.

Les différents mécanismes de modulation de la durée du travail sont quant à eux désormais fusionnés sous un seul et même régime, dans un nouvel article L 3122-1 et suivants du Code du travail. Les accords conclus avant la publication de la loi (cycles de travail, modulation, attribution de jours de repos dans l’année, horaires individualisés, annualisation…) demeurent toutefois valables.

Les professionnels du droit se réjouiront sans doute de cette simplification du droit, dans la mesure où la plupart de ces régimes obéissaient à des règles similaires, à quelques nuances près. On relèvera néanmoins que ce souci de simplification visait principalement l’employeur, le but était surtout de décomplexifier la mise en place d’un tel mécanisme dans l’entreprise. L’objectif avoué demeure la flexibilité.

C’est en effet toujours la négociation d’entreprise qui est priorisée dans l’établissement d’un tel mécanisme. L’accord, quelle que soit sa nature, devra comporter certaines mentions : conditions et délais de prévenance des modifications d’horaires, conditions de prise en compte des absences des salariés (même si la rémunération peut être lissée sur l’année), limites de décompte des heures supplémentaires.

Car demeurent toujours ces fameuses 35 heures, dont la seule utilité juridique est de constituer le seuil de déclenchement des heures supplémentaires (article L 3121-15 du Code du travail). Seront en effet ainsi qualifiées et majorées en conséquences les heures effectuées, soit au-delà de 1607 heures de travail exécutées dans l’année, soit au-delà de 35 heures de travail sur une semaine (qu’il s’agisse d’une semaine « classique », ou d’une durée moyenne de 35 heures calculée dans le cadre d’un cycle de travail spécifique : cycle de 4 semaines, modulation…).

Est également réformée en profondeur la convention de forfait : l’article L 3121-51 du Code est ainsi modifié, en permettant désormais à l’employeur de conclure avec n’importe quel salarié un forfait en heures sur la semaine ou le mois, même en l’absence d’accord collectif. L’existence d’un acte écrit reste une obligation, et les actes conclus antérieurement demeurent valables. La mise en place du forfait sur l’année continue de nécessité un accord collectif.

Enfin, d’un point de vue plus global, deux thèmes transversaux semblent innerver cette réforme du temps de travail :

- La négociation d’entreprise est portée au sommet. En effet, de très nombreux domaines du droit seront désormais régis par un simple d’accord d’entreprise : heures supplémentaires (détermination du contingent annuel, contrepartie obligatoire en repos), conventions de forfait (mise en place, nombre maximal de jours travaillés), aménagement du temps de travail (mise en place, seuil de décompte des heures supplémentaires), avec les risques que cela comporte dans un pays dont 95 % des entreprises comptent mois de 20 salariés (représentants du personnel « maison », etc…).
La présence dans la même loi d’un autre volet, constituant une révolution copernicienne de la représentativité syndicale et de la négociation collective, n’est absolument pas indifférente.

- L’autre thème récurrent est la monétisation du temps de repos : ainsi du compte-épargne temps, qui est réformé et flexibilisé, dans l’intérêt du salarié (sic). Le repos compensateur obligatoire est supprimé, tandis ce que le repos de remplacement (qui peut compenser l’exécution d’heures supplémentaires) et les jours de repos des conventions de forfait deviennent monnayables.
Ce qui signifie que le paiement de ces droits en espèces sonnantes et trébuchantes est privilégié à leur exercice « normal », sous forme de temps de repos. On ne saurait considérer qu’il s’agit là d’une amélioration des conditions de travail, mais bien plutôt d’une tentative de faire augmenter le pouvoir d’achat, sans pour autant augmenter les salaires…

Cette priorité est encore accentuée par l’application de la loi TEPA du 21 août 2007, qui exonère certaines de ces sommes du paiement des cotisations sociales.
Des esprits malins y verraient une tentative discrète de faire enfin réussir économiquement cette mesure, qui a fait beaucoup de bruit, mais dont le moins que l’on puisse dire est que ses résultats économiques sont discutés.

Frédéric Matcharadzé.
f.matcharadze chez saric-avocats.fr

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