Le référé fait l’objet d’une procédure relativement rapide. En effet, l’instruction est accélérée et la requête peut elle-même faire l’objet d’une procédure de tri « lorsque la demande ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée » (article L 522-3 du CJA). Dans ce cas, la procédure est abrégée. En outre, le magistrat pourra rejeter la requête par une ordonnance motivée sans qu’il y ait de procédure contradictoire écrite ou orale ni d’information sur la date et l’heure de l’audience publique.
Cette procédure de tri intervient lorsque :
La demande est manifestement irrecevable
La demande est présentée devant une juridiction manifestement incompétente
La demande est manifestement mal fondée
La demande ne présente pas un caractère d’urgence
La décision est entièrement exécutée
La décision du juge des référés est dépourvue de l’autorité de la chose jugée vis à vis des juges du fond et susceptible de pourvoi dans les 15 jours en cassation. (L523-1 du CJA)
Textes de référence
Code de justice administrative : article L521-1, article L521-4, article L522-1, article L522-3, article L523-1, article R522-1, article R522-2, article R522-3, article R522-4, article R522-5, article R522-6, article R522-7, article R522-8, article R522-8-1, article R522-9, article R522-10, article R522-11, article R522-12, article R522-13, article R522-14, article R523-1, article R523-2, article R523-3.
Applications jurisprudentielles
A) Les conditions de forme
La première des conditions de forme est tout simplement l’engagement d’une requête en annulation contre la décision dont la suspension est demandée.
Cette exigence d’un recours contentieux au fond dénote le caractère accessoire du référé suspension. Il est donc important de bien rappeler dans la requête en référé que, préalablement ou concomitamment à cette dernière, une requête en annulation ou en réformation a été introduite devant le tribunal administratif. En outre il faudra toujours veiller à ce que la requête en annulation soit recevable car le caractère accessoire du référé implique le rejet de ce dernier en cas d’irrecevabilité du recours au fond (recours principal). (C.E. 22 septembre 2005, req n°285080)
La seconde condition de forme est de joindre à la requête en référé-suspension la décision dont la suspension est demandée. Cette exigence de forme implique forcement l’existence d’une décision administrative expresse ou implicite. Dans le cadre d’une décision administrative implicite, il conviendra pour pallier l’absence de décision explicite de joindre à la requête en référé la preuve de l’exercice d’un recours administratif préalable qui a généré la décision implicite. En effet, la demande du requérant est irrecevable si ce dernier ne « justifie de l’existence d’aucune décision expresse ou implicite » (CE, 31 janvier 2001, Association Promouvoir, req n°229484). Cette exigence implique pour le requérant d’attendre l’existence d’une décision expresse ou implicite. Si ce dernier introduit une requête en référé et qu’aucune décision expresse ou implicite n’est intervenue, son recours sera déclaré irrecevable (CE, 20 décembre 2005, MEYET, rec LEBON p.586).
Si cette décision n’a pas été reçue, il faut apporter au tribunal la preuve des diligences effectuées pour obtenir communication de cette décision (CE, 27 janvier 2010, requêtes n° 318919 ; N° 318985 et N° 318986).
La troisième condition de forme est la séparation des requêtes au fond et en référé. C’est-à-dire que la requête en référé doit faire l’objet d’une requête distincte du recours contentieux au fond conformément aux exigences de l’article R 522-1 du Code de justice administrative. De plus, le Code de justice administrative impose en son article que la requête fasse apparaitre le terme référé. Le caractère autonome de la requête en référé implique donc l’impossibilité de demander dans le cadre de la requête en annulation des conclusions tendant à l’annulation et à la suspension. Les conclusions à fin de suspension doivent être demandées devant le juge des référés.
La quatrième condition de forme est la nécessité pour le requérant qui sollicite la suspension d’une suspension de produire une copie du recours au fond contre la décision dont la suspension est demandée et ce à peine d’irrecevabilité (CE, 16 août 2001, n° 237077, SIDES). En effet, le requérant étant contraint de justifier de l’existence d’un recours au fond, il incombe à ce dernier d’en apporter la preuve par la production d’une copie de son recours au fond.
La dernière condition de forme est la nécessité d’introduire la requête dans un délai raisonnable. La jurisprudence exige comme condition de fond le caractère urgent à suspendre la décision administrative. Cette condition ne sera donc pas jugée remplie par le juge dans le cas de l’introduction d’une requête en référé après un laps de temps important entre le moment où cette dernière est introduite et le moment où la requête au fond à elle-même été introduite.
Ainsi, le Conseil d’État (C.E. 11 mai 2005, syndicat des avocats de France, n° 279834) a jugé que le requérant qui présente une demande en référé-suspension plus de cinq mois après l’introduction de son recours en annulation ne peut justifier d’une urgence à suspendre la décision attaquée, à moins que ce dernier ne se fonde sur des données qu’il n’aurait pas été à même d’apprécier ou bien de connaître lors de la présentation de ses conclusions principales.
Pour conclure, il est donc toujours conseiller d’introduire le référé dans une requête distincte et le plus rapidement possible, l’idéal étant de l’envoyer ou de la déposer au tribunal concomitamment au dépôt ou à l’envoi de la requête en annulation.
B) Conditions de fond
- La première condition de fond : L’urgence
Dans le cadre du référé-suspension contre la décision 48 SI, la condition d’urgence est très importante. Sans cette dernière, la suspension ne pourra être prononcée par le juge administratif. Il est donc impératif de procéder à une explication précise et corroborée de pièces justificatives pour emporter la conviction du magistrat, afin que ce dernier considère la situation du requérant comme étant urgente.
Le caractère urgent de la situation en cause ne s’apprécie pas à la date d’introduction de la requête en référé-suspension mais à la date ou le juge statue. Ce qui implique que tous les éléments permettant d’établir l’urgence pourront être versés au fur et à mesure de l’instruction (CE, 24 novembre 2006 req n°277981).
La condition d’urgence a été précisée par la jurisprudence du Conseil d’État.
Dans un premier temps le Conseil d’État (CE Sect. 19 janvier 2001, Recueil Lebon, p. 29 ; AJ 2001, p. 150, chron. M. Guyomar et P. Collin) est venu préciser que l’urgence devait être appréciée in concreto. Cette décision renforce ainsi l’importance de la situation du requérant ainsi que le comportement de ce dernier dans le cadre de cette procédure de référé-suspension.
En vertu de cette jurisprudence l’urgence doit :
Être établie par le requérant avec les justifications fournies par ce dernier
Être appréciée de manière concrète. C’est-à-dire que le Conseil d’État estime que la condition d’urgence doit être considérée comme satisfaite dès lors que « la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ».
Le requérant doit donc prouver à l’appui de pièces justificatives que la décision dont il demande la suspension préjudicie de manière grave et immédiate à la situation, professionnelle, familiale et personnelle du requérant.
Le requérant ne pourra pas invoquer uniquement la lenteur des délais de jugement de la procédure au fond pour établir l’urgence à suspendre la décision 48SI (CE, 16 mai 2002, Manuel Jaffrin). Cependant ce dernier peut tout de même invoquer un tel argument avec d’autres afin de l’aider à caractériser cette urgence qu’il doit prouver devant le juge (CE, 27 juin 2001, GAEC Le Haut de l’Isle : JurisData n° 2001-062605).
Le préjudice doit donc être grave, ce qui signifie qu’une simple gêne pour le requérant n’est pas suffisante. Cependant même si ce dernier est réparable en argent, cela n’empêche pas le juge d’accorder la demande en référé-suspension (C.E. 12 nov. 2001, Sté Expogestion, n° 238018).
Exemple de préjudices :
Perte de l’emploi du salarié
On peut invoquer pour le salarié le risque de perdre son emploi. Cet argument est très important car la chambre sociale de la Cour de cassation considère comme motivé le licenciement du salarié lorsque ce dernier s’est vu annuler son permis de conduire pour solde nul (Cass. soc ; 12 mars 1991, affaire n°0908792)
Il faudra donc montrer que le permis de conduire est l’outil de travail du salarié en produisant le contrat de travail indiquant la nécessité de détenir le permis de conduire, prévoyant des clauses de mobilité, ou encore en produisant des factures et notes de frais issus des déplacements en voiture
Liquidation de la société du dirigeant
Il faut dans ce cas insister sur le fait que le dirigeant de société le risque de devoir stopper son activité, ce qui pourrait entrainer purement et simplement la liquidation de la personne morale et sa disparition. En effet, l’absence de titre de conduire pour un gérant peut atteindre de manière importante le bon fonctionnement de sa société, ce dernier ne pouvant plus se déplacer pour la gestion des affaires courantes ou pour l’entretien des relations professionnelles. En outre, pour certains auto-entrepreneurs indépendants qui travaillent dans le secteur de l’artisanat, le permis de conduire est essentiel pour mener à bien cette activité.
Sur l’absence de permis de conduire du gérant de société qui nuit de manière grave et immédiate à la situation de la société, le juge est venu tempérer cette urgence en jugeant que cette dernière ne demeurait seulement si le requérant justifiait d’une impossibilité à prendre des mesures d’organisation nouvelle afin de pallier à l’absence de son permis de conduire (C.E. 28 décembre 2004 req n°275606). Ainsi il faudra montrer par exemple que le requérant n’a pas les moyens financier et humain pour s’organiser autrement. Par exemple le requérant peut arguer du fait que la société n’a pas assez de ressources pour employer du personnel qui serait lui-même titulaire du permis de conduire, ou encore que seul le gérant à les compétences où l’expérience nécessaires pour effectuer les missions inhérentes à la survie de la société.
Pertes de clientèle (C.E. 18 novembre 2004, syndicat national des fabricants de sucre de France, n°273866)
Atteinte au droit de travailler (C.E. 7 juillet 2004, M. X n° 266548), dans l’espèce un refus d’échange d’un permis étranger portait atteinte de manière grave et immédiate à la pérennité de l’emploi du requérant
Sur le plan personnel et familial, le préjudice est généralement financier, la perte du permis de conduire étant généralement synonyme d’une perte d’emploi ou de baisse subite d’activité, les requérants risquent souvent de se retrouver sans ressources financières pour assurer d’une part les dépenses de la vie courante et d’autre part rembourser les prêts contractés auprès des établissements financiers. Le cas échéant, il est important que le requérant apporte toute une série de pièces explicatives de sa situation familiale et financière. Le préjudice doit également être imminent, ce caractère imminent est important car on considère que c’est la suspension qui sera la seule à même d’éviter ce préjudice qui arrivera de manière certaine dans un futur proche si la suspension de l’acte en cause n’est pas prononcée. Le caractère imminent de l’urgence est assez délicat car il est souvent dépendant du moment où la requête est introduite. En effet, un requérant peu diligent qui introduit de manière tardive sa requête anéantit la caractérisation de la condition d’urgence. Tandis que le requérant trop pressé qui introduit sa requête relativement tôt risque de voir cette dernière rejetée car le juge considèrera que le caractère imminent du préjudice n’est pas assez prononcé pour justifier de la suspension de l’acte ou de la décision en cause.
Dans un second temps le Conseil d’État est venu préciser que l’urgence devait s’apprécier de manière globale c’est-à-dire tant du côté de l’administration qui a pris la décision contestée, que du côté du requérant qui demande la suspension de cette dernière (CE, Sect., 28 février 2001, Préfet des Alpes-Maritimes, n° 229562). Cette seconde condition implique pour le magistrat de faire la balance des intérêts en cause c’est-à-dire des intérêts personnels auxquels la décision 48 SI peut porter atteinte mais également l’intérêt général garantis par cette même décision 48 SI en ce qu’elle retire le droit de conduire à un contrevenant de la route qui, eu égard aux multiples infractions commises par ce dernier, peut représenter un danger pour les autres usagers de la route. Un tel comportement s’analyse donc comme contraire aux prescriptions dictées par la sécurité routière. C’est ainsi que le Conseil d’État a jugé dans un arrêt (C.E. 8 septembre 2006, M. B, req n°289436) que la gravité et le caractère répété des infractions au code de la route commises par le requérant sur une période de temps relativement brève s’oppose à ce qu’il y ait urgence à suspendre la décision 48 SI portant invalidation de son permis de conduire, alors même que cette décision invalidant le permis de conduire du requérant portait une atteinte grave et immédiate à l’exercice de sa profession.
Le Conseil d’État juge donc que l’urgence invoquée par le requérant même si elle existe, ne suffira pas à permettre la suspension de la décision 48 SI dès lors que le comportement de l’intéressé compromet « les exigences de protection et de sécurité routière » par le caractère répété des infractions qu’il commet. (CE, 23 mars 2001 req n°23055) Dans le cadre de cette appréciation globale de l’urgence, le juge administratif dispose d’un réel pouvoir discrétionnaire. L’appréciation globale de l’urgence soulève donc le problème de l’absence de dangerosité du requérant. En effet l’ordonnance de référé favorable ne pourra pas être accordée dans le cas où l’annulation du permis de conduire pour solde nul résulte de la gravité des infractions commises par le requérant. Dans ce cas, il n’y aura pas d’urgence à suspendre la décision 48 SI mais il y aura plutôt urgence à son maintien. Le juge considère que le requérant a lui-même crée la situation dans laquelle il se trouve de par son comportement contraire aux exigences de la sécurité routière (CE, 9 janvier 2001 req n°228928).
On comprend donc que le requérant devra prouver que la détention de son permis de conduire n’est pas contraire aux objectifs et exigences de la sécurité routière.
En outre, il est conseillé dans le cas de petites infractions de mettre en avant la faiblesse de ces dernières. En effet, si le requérant n’a commis que de petits excès de vitesse n’entrainant qu’une perte d’1 point, il est intéressant de le soulever. On peut également mettre en avant la longue période au cours de laquelle le requérant n’a commis aucune infraction.
- La dernière condition de fond : le doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée
Le requérant devra invoquer le plus souvent la violation par l’administration de l’obligation d’information du contrevenant. Cette obligation trouve son siège aux articles L 223-3 et R223-3 du Code de la route.
Ces articles impose à l’administration que le requérant ait été informé de toute une série d’information énumérées dans le Code de la route et qui figure sur les procès-verbaux d’infraction.
L’administration doit dans certains cas prouver la réception de ces informations. Il faut ici noter que la jurisprudence est devenue très restrictive :
« Considérant, d’autre part, qu’au vu des pièces que le ministre de l’intérieur a versées au dossier devant le Conseil d’État à la suite de la communication qui lui a été faite du pourvoi de M. B..., les moyens tirés de ce que l’intéressé n’aurait pas bénéficié, lors de la constatation des infractions commises les 6 et 21 mars 2014, des informations prévues par la loi ne suscitent pas un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ; que, s’agissant de l’infraction commise le 20 juillet 2012, le ministre de l’intérieur, qui a reçu le pourvoi le 29 janvier 2015, établit avoir, le 11 février 2015, saisi l’officier du ministère public compétent afin d’obtenir un document établissant le paiement par l’intéressé d’une amende forfaitaire majorée, qu’il n’aurait pu acquitter qu’à l’aide d’un document comportant les informations requises par la loi ; qu’eu égard aux preuves apportées par le ministre, dans le délai très bref qui lui était imparti, pour deux des trois retraits de points en cause, et à la justification des démarches engagées afin d’établir la réalité de l’information en ce qui concerne le troisième retrait, le moyen tiré de ce que ce retrait aurait été effectué à l’issue d’une procédure irrégulière, qui ne repose que sur les assertions de l’intéressé, ne suscite pas davantage, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée » (CE, 18 mars 2015, N° 386394)
C) Voie de recours
Les décisions du juge des référé suspension sont rendues conformément à l’article L523-1 du Code de justice administrative en premier et dernier ressort et peuvent faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’État dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l’ordonnance du juge des référés, rendue en premier et dernier ressort. L’exercice d’une telle voie de recours implique le recours aux services d’un avocat au conseil.
Bien que cette possibilité ne constitue pas une voie de recours, une nouvelle requête en référé peut être introduite à conditions de justifier de l’existence d’un élément nouveau créant ou aggravant l’urgence à bénéficier de la suspension de l’exécution de la décision 48 SI (CE, 15 février 2001, req n°230312). « Lorsque le juge des référés rejette, en application de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, une demande de suspension au motif qu’en l’état des justifications présentées par les requérants, la condition d’urgence n’est pas remplie, la décision de rejet ne fait pas obstacle à ce que lui soit présentée une nouvelle demande de suspension dans l’hypothèse où de nouvelles circonstances de fait, survenues avant qu’il soit statué sur la requête en annulation, créeraient une situation d’urgence. »
Cela peut être le cas pour un chercheur d’emploi qui vient de trouver du travail, ou bien encore pour un gérant de société qui voit celle-ci mise sous le coup d’une procédure de sauvegarde ou de liquidation.
Aspects pratiques
Il est intéressant de noter que la plupart du temps, lorsque le requérant qui demande la suspension du permis de conduire s’est vu condamné au pénal pour des délits, ce dernier ne voit jamais sa demande de suspension aboutir pour la bonne et simple raison que ce dernier sera considéré par le juge comme ayant lui-même créer sa situation d’urgence.
Le référé est une procédure à la fois écrite et orale, par conséquent, si la requête passe la procédure de tri et qu’une audience est fixée, la présence, l’assistance ou représentation du requérant est importante à l’audience afin de permettre un dialogue entre ce dernier et le juge.