Reconnaissance judiciaire du « bore-out » comme constitutif d’un harcèlement moral.

Par Myriam Adjerad, Avocat et Clara Galdeano, Élève-avocat.

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Explorer : # harcèlement moral # bore-out # santé au travail # licenciement abusif

Cour d’appel de Paris, 2 juin 2020, 18/05421

Le bore-out, jusqu’alors reconnu par certains professionnels de santé, s’invite désormais à la table des juges, qui le reconnaissent comme une forme de harcèlement moral dans cet arrêt de la Cour d’appel de Paris.

Le rôle protecteur de l’employeur eu égard à la santé-sécurité de ses salariés est réaffirmé.

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En 1880, Paul Lafargue publie le Droit à la paresse dans le journal l’égalité de Jules Guesde.

Ouvrage révolutionnaire et étonnant qui vise à démystifier la valeur travail et « l’étrange folie » de l’homme pour le travail qu’il décrit comme « la cause de toute dégénérescence intellectuelle, de toute déformation organique ».

L’auteur poursuit ainsi : « Les philosophes de l’antiquité enseignaient le mépris du travail, cette dégradation de l’homme libre ; les poètes chantaient la paresse, ce présent des Dieux (…) Jéhovah, le dieu barbu et rébarbatif, donna à ses adorateurs le suprême exemple de la paresse idéale ; après six jours de travail, il se repose pour l’éternité. »

Et pourtant, aujourd’hui et dans notre société moderne, la valeur travail est si primordiale que celui qui s’en trouve privé peut se retrouver en situation de détresse psychologique profonde.

Notamment, les arrêts France Telecom ont pu mettre en exergue la technique de la « mise au placard », à dessein, pour inciter les salariés à démissionner…

Bien que notre langue française soit si belle et si riche, les commentateurs ont trouvé un anglicisme pour qualifier ce phénomène : le « bore-out », défini comme un syndrome d’épuisement professionnel par l’ennui, par opposition au burn-out, plus communément connu et causé par un excès de travail.

Le bore-out, jusqu’alors reconnu par certains professionnels de santé, s’invite désormais à la table des juges, qui le reconnaissent comme une forme de harcèlement moral dans cet arrêt de la Cour d’appel de Paris.

Le rôle protecteur de l’employeur eu égard à la santé-sécurité de ses salariés est réaffirmé.

Le harcèlement moral est défini comme des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel [1].

La charge de la preuve en la matière est partagée [2]. Le salarié établit des faits permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral. A charge pour l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que les décisions prises reposaient sur des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l’espèce, le salarié, embauché en qualité de responsable des services généraux, a été licencié pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif, à la suite de six mois d’absence, consécutive à ce qu’il considérait, dans ses écritures d’appel, comme un bore-out.

Pour la Cour d’appel, le salarié a démontré avoir subi, pendant quatre années :
- Une mise à l’écart caractérisée par la poursuite des relations contractuelles, sans se voir confier des tâches correspondant à sa qualification professionnelle et à ses fonctions, attestée par plusieurs salariés témoins visant une « mise au placard », le besoin pour le salarié de se voir confier des tâches « pour qu’il se sente utile et utilise ses compétences comme on aurait dû les utiliser », l’ennui et le manque d’activité ;
- L’affectation à « des travaux subalternes » (homme à tout faire ou concierge privé des dirigeants de l’entreprise) : sont notamment évoqués la configuration de l’IPad du dirigeant, la réparation de sa centrale vapeur, l’accueil d’un plombier à son domicile ;
- La dégradation de ses conditions de travail, de son avenir professionnel et de sa santé qui s’est traduite par une crise d’épilepsie au volant, qui fut le point de départ de sa longue période d’absence et par un état de profonde dépression.

Étaient ainsi établis des faits de harcèlement moral.

En défense, l’employeur invoquait l’absence de contestation orale et écrite de la part du salarié avant la saisine du Conseil de prud’hommes. En vain.

Il n’a pas été en mesure de démontrer la matérialité des tâches confiées au salarié, en lien avec ses fonctions contractuelles. Pire, il avait connaissance de son état de santé et n’a pas fait bénéficier au salarié des visites périodiques auprès de la médecine du travail.

Faute pour l’employeur de démontrer le caractère étranger à tout harcèlement moral du bore-out, le harcèlement moral est établi.

Ainsi, dans la mesure où l’absence a été considérée comme étant la conséquence du harcèlement moral, le licenciement pour absence prolongée du salarié désorganisant l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif, est frappé de nullité. L’employeur se trouve dans l’impossibilité de se prévaloir de la perturbation du fonctionnement de l’entreprise du fait de cette absence.

L’employeur a en l’espèce été condamné au versement de :
- 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
- 35 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
- 8 050 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents.

Retenons que le salarié invoquait le besoin de se voir confier du travail « afin de se sentir utile » : la valeur travail reste primordiale dans notre société bien au-delà des réelles et évidentes nécessités financières.

Nous attendons avec impatience et intérêt la position de la Cour de cassation sur la question du « bore-out ».

Myriam ADJERAD, Avocat
Clara GALDEANO, Élève-avocat
ADJERAD AVOCATS, Avocats au Barreau de Lyon
contact chez adjeradavocats.fr
https://fr.linkedin.com/in/myriam-adjerad-473903121

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Notes de l'article:

[1Article L.1152-1 du Code du travail.

[2Article L. 1154-1 du Code du travail.

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