La preuve de la discrimination dans le processus de recrutement.

Par Myriam Adjerad et Margaux Hartard, Avocats.

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Explorer : # discrimination à l'embauche # preuve statistique # requalification de contrat # politique de recrutement

Une discrimination à l’embauche fondée sur l’origine des salariés peut être caractérisée par l’analyse statistique du registre unique du personnel. L’employeur qui ne rapporte pas la preuve que le refus d’une candidature à un poste repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination peut être condamné à payer des dommages et intérêts au salarié dont la candidature a été rejetée [1].

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Devant le juge prud’homal, la charge de la preuve en matière de discrimination incombe aux parties en cause [2] :

  • le salarié présente les éléments qui laissent supposer qu’il a été victime d’une discrimination directe ou indirecte ;
  • l’employeur expose les raisons qui ont justifié la décision en cause de manière objective et étrangère à toute discrimination.

Dans un arrêt récent de la Cour de cassation, un salarié intérimaire avait réalisé, sur des postes de pré-monteur et monteur, plusieurs contrats de missions liés à un accroissement temporaire d’activité au sein d’une entreprise industrielle entre 2015 et 2019.

En février 2019, le salarié répondait à une offre d’emploi publiée par l’entreprise mais sa candidature est rejetée.

Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de diverses demandes, contestant à la fois ses différents contrats de missions et le refus de l’entreprise de le recruter en contrat de travail à durée indéterminée.

D’une part, il demandait la requalification de ses différents contrats de mission en contrat à durée indéterminée et sollicitait diverses sommes, notamment une indemnité de requalification et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La cour d’appel comme le Conseil de prud’hommes ont fait droit à cette demande de requalification en raison du non-respect par l’employeur des conditions de renouvellement des différents contrats.

D’autre part, s’estimant victime d’une discrimination à l’embauche en raison de son âge et de son nom à consonnance extra européenne, il réclamait des dommages et intérêts.

Sur la base du registre unique du personnel de l’année 2018 communiqué par l’entreprise et de l’organigramme de cette dernière, le salarié a réalisé une analyse statistique des recrutements de l’entreprise de salariés en contrat de mission et en contrat à durée indéterminée.

Ainsi, le salarié relève que :

  • parmi les salariés ayant été recrutés en intérim, 18,07% des salariés ayant un nom à consonnance européenne se sont vu accorder un CDI par l’entreprise contre 6,9% des salariés disposant d’un nom à consonnance extra-européenne.
  • les salariés à patronyme extra-européen représentent 8,17% de l’ensemble des salariés recrutés en intérim mais ne représentent que 2,12% des salariés recrutés en CDI pour les mêmes postes.
  • sur l’ensemble du personnel salarié de l’entreprise, 80,93% des salariés disposent d’un nom à consonnance européenne contre 21,43% des salariés à consonnance extra-européenne.

La cour d’appel a estimé que cette analyse et les résultats qui en découlent laissaient présumer l’existence d’une discrimination à l’embauche à l’encontre du salarié [3].

Dans son pourvoi, l’entreprise reprochait à la cour d’appel d’avoir jugé extra petita : le salarié n’avait pas précisé le motif de discrimination dans le dispositif de ses conclusions et la cour d’appel s’était fondée sur une seule pièce produite pas le salarié (l’analyse statistique) pour retenir la discrimination en raison de la race ou de l’origine.

Sur le fond, la requérante estimait que la seule comparaison du pourcentage de salariés ayant un patronyme à consonnance européenne et des salariés ayant un patronyme à consonnance extra-européenne n’était pas suffisante pour présumer de l’existence d’une discrimination, et ce d’autant qu’il n’était pas expliqué en quoi le nom du salarié pouvait être assimilé à un « patronyme non-européen ».

Enfin l’entreprise justifiait le choix du recrutement de l’offre d’emploi non sur l’origine ou le nom de famille du candidat retenu mais sur la politique de l’entreprise de privilégier des candidats « plus jeunes qui n’étaient pas encore entrés sur le marché de l’emploi ».

Sur le premier point, la Cour de cassation a estimé que pour constater si le salarié avait fait l’objet d’une discrimination, la cour d’appel avait dû réaliser « une interprétation nécessaire des conclusions ambiguës du salarié ».

Confirmant en tout point la décision d’appel, les justifications apportées par l’entreprise, notamment les exemples qui avaient pu être donnés pour démontrer l’absence de discrimination, n’ont pas emporté la conviction de la Haute juridiction qui a estimé que les éléments produits par le salarié étaient suffisants à caractériser la discrimination dans le processus de recrutement.

Consciente de la difficulté pour les salariés de démontrer l’existence d’une discrimination à l’embauche, la Cour de cassation semble accepter au cas d’espèce, une nouvelle méthode pour déceler la discrimination, après celle du « testing » [4].

Toutefois ce mode de preuve n’est pas sans difficulté pour le candidat à l’embauche qui devra, sauf à ce que l’employeur le produise, solliciter auprès du juge la communication du registre du personnel et sans certitude que l’analyse puisse démontrer l’existence d’une discrimination.

Myriam Adjerad,
Margaux Hartard,
Adjerad Avocats, Avocats au Barreau de Lyon
contact chez adjeradavocats.fr
https://www.linkedin.com/company/adjerad-avocats/

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Notes de l'article:

[1Cass. soc., 14 déc. 2022, n° 21-19.628.

[2Art. L1134-1 c. trav.

[3Cour d’appel de Chambéry, 20 mai 2021, n° 20/00391.

[4Cass. crim., 11 juin 2002, n°01-85.559.

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