A la recherche de l'investissement en immobilier fractionné. Par Amaury Ballester, Avocat.

A la recherche de l’investissement en immobilier fractionné.

Par Amaury Ballester, Avocat.

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Explorer : # tokenisation immobilière # blockchain # investissement fractionné # security tokens

En matière d’immobilier, la recherche de financement est bien souvent le nerf de la guerre. Pouvoir permettre de baisser le ticket d’entrée sur un actif qui représente généralement plusieurs centaines de milliers d’euros et rendre plus liquide ce qui ne l’est pas naturellement, telle est l’ambition de nombreux professionnels du secteur.
Article mis à jour par son auteur en mars 2023.

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Cette aspiration rejoint celle d’investisseurs qui souhaitent s’exposer au marché immobilier, mais qui n’ont pas nécessairement une capacité d’emprunt suffisante pour réaliser une acquisition en direct. La technologie blockchain ouvre alors d’intéressantes perspectives qu’il convient de saisir.

1. Qu’est-ce que la tokenisation ?

La tokenisation [1] est l’opération qui permet d’inscrire les droits liés à un actif (immobilier ou autre) sur un token (jeton). On parle alors de security tokens [2] pour les distinguer des utility tokens qui ne confèrent aucun droit, mais donnent accès à un service. Les security tokens sont inscrits sur un dispositif électronique d’enregistrement partagé (DEEP) [3], lequel repose sur un protocole blockchain [4].

Les security tokens sont alors proposés à des investisseurs. Ils peuvent ensuite s’échanger sur un marché secondaire de pair-à-pair, c’est-à-dire sans intermédiaire. Depuis la loi Pacte, ces jetons font l’objet d’une réglementation aux articles L. 54-10-1 et suivants du Code monétaire et financier [5].

2. Qu’est-ce que la tokenisation immobilière ?

En France, la première transaction de ce type a été réalisée le 25 juin 2019 et a porté sur l’hôtel particulier « AnnA » situé à Boulogne-Billancourt. La presse avait qualifié à l’époque cette opération de première vente immobilière via un protocole blockchain [6]. En réalité, il y a d’abord eu une transaction immobilière par acte authentique vers une société par actions simplifiées.

Cette vente fut transcrite de manière très classique au service de la publicité foncière compétent. Dans un deuxième temps, cette société, dont les statuts prévoyaient l’inscription des actions dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP), a émis des security tokens représentant des actions du capital social [7].

3. Une distinction utile entre tokenisation directe et indirecte.

Tokenisation directe de l’immeuble. La tokenisation directe revient à pouvoir transférer directement une quote-part de la propriété d’un bien immobilier et non pas des parts de sociétés. Un tel procédé parait difficilement envisageable en France en raison du système de la publicité foncière, lequel est jugé suffisamment fiable [8], mais également au cadastre, et enfin, puisqu’il s’agit du transfert de propriété d’un bien immobilier, au rôle des notaires pour la sécurisation du contenu de l’acte authentique. La tokenisation directe d’un immeuble en France est donc « impossible » [9], du moins inenvisageable à « court terme » [10].

Tokenisation indirecte de l’immeuble. La tokenisation indirecte est la représentation d’actions de société détenant un immeuble sous forme de security tokens. Ce n’est donc pas directement l’immeuble qui est tokenisé [11]. De nombreux spécialistes de la technologie blockchain, en partenariat avec des cabinets d’avocats et études notariales s’affairent à développer le potentiel encore sous-exploité de la tokenisation indirecte.

4. La tokenisation indirecte a-t-elle un intérêt par rapport à la SCPI ?

La Société civile de placement immobilier (SCPI) permet également à un grand nombre d’investisseurs de s’exposer au marché immobilier sans être directement propriétaires des immeubles détenus. Les investisseurs, à l’instar de la tokenisation indirecte, perçoivent des revenus en fonction de leur quote-part dans la SCPI. De plus, le ticket d’entrée minimum imposé a considérablement diminué par l’effet de la concurrence toujours plus forte entre les différentes SCPI.

En revanche, la tokenisation reprend l’avantage lors de la revente du security token, celui-ci étant plus liquide qu’une part de SCPI. En effet, le security token peut être échangé de pair-à-pair sans l’accord d’un tiers. Alors que pour revendre une part de SCPI, le parcours, loin d’être instantané, nécessite notamment de passer par l’intermédiaire du gestionnaire du fonds. Un carnet d’ordres est tenu au siège de la société de gestion.

5. Quelles solutions pour l’investissement en immobilier fractionné en France ?

Selon le rapport du Congrès des Notaires 2021, les sociétés d’attribution en jouissance (time share) [12] pourraient connaître une seconde jeunesse grâce aux utility tokens. En pratique, il s’agirait de tokeniser le registre des titres d’une SAS « inscrits en DEEP et contenant, via un smart contract, les modalités de jouissance et les semaines de jouissances affectées » [13], et donc de gagner en souplesse. On comprend donc que cela se rapproche plus des modalités de l’utilisation d’un service que véritablement d’un investissement fractionné.

Une nouvelle piste semble prendre de l’ampleur. Certaines sociétés proposent désormais, après avoir obtenu un agrément d’intermédiaire en financement participatif délivré par l’Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (Orias), d’investir dans un actif immobilier précis à partir de quelques euros. En pratique, une société de gestion est créée, laquelle va détenir l’actif immobilier en vue de continuer son exploitation. Il peut s’agir aussi bien d’immobilier résidentiel que tertiaire, à partir du moment où le bien génère des revenus locatifs.

L’investisseur peut alors souscrire avec cette société de gestion un contrat de cession de revenus futurs adossés à des opérations de financement de biens immobiliers (une partie de l’actif immobilier restant financé par un crédit immobilier). Sur le papier, cela a plusieurs avantages. D’une part, l’investisseur n’est pas associé de la société de gestion, d’autre part, les revenus qu’il retire de cet investissement sont imposés à l’impôt sur le revenu. Il n’y a donc ni démembrement de l’actif immobilier, ni de plus-value immobilière, simplement une imposition à la flat tax, et aucun tiers authentificateur n’est requis, l’investisseur n’étant pas directement propriétaire de l’immobilier. Ensuite, l’investisseur peut céder ce contrat via une marketplace dont l’objet et de mettre en relation cédant et cessionnaire.

Il n’y a donc ici aucune tokenisation. Toutefois, implémenter un protocole blockchain permettrait de pouvoir garder une trace non modifiable de l’ordre des investisseurs, ce qui aura un intérêt en cas d’éventuelle procédure collective de la société de gestion. En effet, lorsqu’un bien est proposé, celui-ci est souvent ventilé en quelques minutes - via le contrat de cession de revenus - entre plusieurs milliers de petits investisseurs.

L’objectif d’extrême liquidité d’un bien immobilier frugifère semble donc atteint. On relèvera néanmoins que cette pratique d’investissement en royalties (profit sharing) n’est pas nouvelle, mais au contraire bien connue de la production artistique [14]. L’innovation réside finalement dans sa transposition à l’investissement immobilier, qui se distingue nettement du financement en fonds propres des promoteurs immobiliers et marchands de biens via le crowdfunding dont l’essor s’est considérablement accru ces dernières années.

Encore plus récemment, il est désormais possible d’investir dans l’immobilier physique en France via les NFTs. Dans une solution actuellement proposée, le titulaire du NFT ne sera pas titulaire d’une part de la foncière qui a fait l’acquisition du bien immobilier, ni même d’une part de la société qui contrôle cette foncière et qui va émettre le NFT, mais plus justement d’un smart contract où se trouve le « Revenue-based Finance Decentralised » [15] lequel permet au détenteur de recevoir notamment une partie des loyers perçus par la foncière (les loyers étant diminués des charges d’exploitation et financières). Il ne s’agit donc pas de « land » dans un des Metavers, mais d’immobilier bien réel.

En conclusion, ces solutions offrent une alternative aux investisseurs qui ne peuvent pas/plus lever de la dette pour réaliser un achat immobilier en direct, mais qui souhaitent néanmoins avoir un sous-jacent immobilier dans leur portefeuille d’investissement. Notaires, professionnels de la gestion de patrimoine et/ou de l’immobilier doivent s’y intéresser.

6. La mise en garde de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).

S’agissant de l’activité des plateformes de partage de revenus futurs (royalties), l’Autorité des marchés financiers (AMF) est venue rappeler fin décembre 2022 [16] qu’

« au regard de leurs caractéristiques juridiques et économiques, de tels instruments, offerts à un large public par l’intermédiaire de ces plateformes, relèvent de la catégorie des titres de créance, et notamment des valeurs mobilières représentatives d’un droit de créance telles que visées à l’article L228-36-A du code de commerce ».

L’autorité de régulation a pris la peine de préciser que

« les plateformes qui offrent ces instruments au public doivent respecter les différentes réglementations qui en découlent, et notamment les réglementations relatives aux offres au public de titres financiers (Règlement (UE) n°2017/1129 du 14 juin 2017 ; articles 212-43 et s. du règlement général de l’AMF) et, selon le cas, au statut de prestataire de services en financement participatif (Règlement (UE) n°2020/1503 du 7 octobre 2020) ou au statut de prestataire de services d’investissement (articles L531-1 et suivants du code monétaire et financier). Ces réglementations prévoient des règles protectrices des intérêts des investisseurs en termes d’information mais aussi, le cas échéant, d’application de règles de bonne conduite à leur égard. Ces qualifications ne sont pas exclusives de l’application, le cas échéant, d’autres réglementations telles que par exemple celles relatives à la gestion de fonds d’investissement alternatifs (FIA) » [17].

L’AMF ne vise pas directement la « Tokenisation » d’actions de sociétés, mais plus précisément le modèle de partage de revenus futurs (royalties - encore appelées « redevances » dans les contrats). En effet, une société « véhicule d’investissement » peut faire l’interface entre l’investisseur et une autre société qui elle détient effectivement la propriété de l’immobilier. De sorte qu’in fine l’investisseur n’est pas titulaire d’un droit réel sur le bien immobilier mais actionnaire d’une société d’investissement, ce qui n’est pas la même chose.

Dans le même temps, certaines de ces plateformes se sont regroupées au sein de la Fédération des plateformes de partage de revenus (F2PR) afin de favoriser l’essor de ce modèle et d’en assurer la défense. Cette fédération propose d’ailleurs de ne plus employer le terme de « royalties » qui « tend à créer une confusion avec une pratique généralement propre au droit de propriété intellectuelle ». On notera que l’AMF n’a pour l’instant pas tenu compte de cette préconisation. Par ailleurs, au titre des bonnes pratiques, la F2PR recommande également la mise en place d’une foncière par opération afin de ségréguer le risque. Par ailleurs, ces plateformes devront obtenir pour continuer d’exercer leur activité l’agrément en qualité de prestataire de services de financement participatif (PSFP) en raison du règlement (UE) 2020/1503 du 7 octobre 2020 qui un nouveau cadre européen pour le financement participatif. L’exercice illégal de cette activité, sans agrément, sera pénalement répréhensible [18].

Ce modèle de plateformes de partage de revenus futurs appliqué à l’immobilier locatif est donc dans l’œil du régulateur et devrait être amené à évoluer à court terme.

Quoiqu’il en soit, ces plateformes devront être extrêmement vigilantes dans la rédaction du contrat qui les lie aux investisseurs en les informant de manière très précise sur la nature juridique de ce droit de créance et les risques inhérents à celui-ci.

Surtout, les investisseurs devront également prendre soin de bien comprendre s’ils ont ou pas un droit réel sur le bien immobilier, et sur la façon dont est présenté le taux de rentabilité interne. En effet, il peut arriver que certaines projections tiennent compte d’une évolution constante des prix de l’immobilier pour « gonfler » le tri. Or, en période de forte d’inflation, ces projections peuvent s’avérer erronées. Autrement dit, il est impératif de comprendre ce qui se cache derrière les pourcentages affichés - ou plutôt d’analyser précisément la manière dont ils sont construits.

Amaury Ballester
Avocat, Docteur en droit, Diplômé Notaire, ICCF HEC Paris
https://www.linkedin.com/in/amaury-ballester/

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Notes de l'article:

[1Titrisation en cyberjetons, Vocabulaire de l’économie et de la finance (liste de termes, expressions et définitions adoptés), JORF n°0018 du 22 janvier 2022.

[2Association pour le développement des actifs numériques (Adan) (avec l’Association française des marchés financiers (AMAFI), l’Association Française des Professionnels des Titres (AFTI) et Gide 255), Security tokens, Towards a suitable european regulatory framework, juill. 2020. - V. égal. AMF, « État des lieux et analyse relative à l’application de la réglementation financière aux security tokens », mars 2020.

[3C. mon. fin., art. L552-2.

[4Sur la question, v. not. A. Barbet-Massin et al., Droit des crypto-actifs et de la blockchain : LexisNexis, coll. Droits & Professionnels, 2020.

[5V. not. D. Legeais, Actifs numériques et prestataires sur actifs numériques : JCl. Commercial, fasc. 535.

[6V. not. G. Raymond, Première vente immobilière via blockchain en France : Capital, 24 juin 2019. - E. Ruffenach, Acheter un immeuble en cryptomonnaie, comment ça marche ? : Figaro immobilier, 4 juillet 2019.

[7C. Larée, Trois questions à Bilal El Alamy : JCP N 2019, n° 39, act. 765. - F. Bertoïa, La tokenisation des actifs immobiliers : l’exemple d’Equisafe : Revue de Droit bancaire et financier, 2020, n° 3, dossier 11.

[8C. Pommier, A. Cazalet et V. Mamelli, Publicité foncière et numérique : état des lieux et perspectives La publicité foncière digitalisée, de l’informatisation à la dématérialisation des flux : JCP N, n°26, 2021, ét. 1240.

[9Congrès des Notaires de France, Le numérique, l’homme et le droit. Accompagner et sécuriser la révolution digitale, 2021, p. 456, n° 2643.

[10Ibid., p. 460.

[11Dans le cas de l’hôtel particulier « AnnA », il s’agit bien d’une tokenisation indirecte.

[12L. n° 86-18 du 6 janvier 1986 relative aux sociétés d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé : JO du 8 janvier 1986, p. 382.

[13Congrès des Notaires de France, op. cit., p. 466, n°2673.

[14Ph. Didier, Les financements alternatifs : le cas du financement participatif : Revue de Droit bancaire et financier, 2018, n° 3, dossier 17.

[17Articles L214-24 et suivants du code monétaire et financier.

[18Articles L573-12 et suivants du code monétaire et financier.

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