Smart SAS : une Société par Actions Simplifiée dans la Blockchain.

Par Abdoulaye Diallo, Doctorant.

1407 lectures 1re Parution: 5  /5

Si les contrats paraissent être le domaine d’application privilégié de la technologie des "smart contract", on constate depuis ces derniers mois que ces derniers peuvent aussi autonomiser plusieurs aspects de véritables sociétés. Cet article se veut être un aperçu, en droit français, des bénéfices que peuvent tirer une société par actions simplifiée administrée par une "DAO".

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On compare souvent les blockchains dites de seconde génération comme Ethereum à des « ordinateurs mondiaux ». Cette image, malgré ses limites [1], évoque assez bien le fait que ces blockchains soient plus que des registres mais des véritables environnements virtuels, dans lesquels peuvent fonctionner des programmes informatiques immuables (mal nommés smart contract).
Rapidement, on a eu l’idée d’utiliser ces programmes pour créer des organisations, appelées DAO, dont le fonctionnement repose sur la blockchain.

Comme beaucoup de termes dans ce milieu, la définition d’une DAO (decentralised autonomous organisation) ne fait pas encore consensus. On retiendra, avec réserves, qu’elle désigne tout ensemble de smart contract destiné à faciliter la coordination entre un groupe d’individus ; en somme une organisation codée dans la blockchain.

Quel est l’intérêt de créer une DAO ?

Créer une DAO revient à conférer à son organisation les mêmes vertus que la blockchain [2] sur laquelle elle est codée. Une DAO est en effet :
- transparente (son fonctionnement quotidien est auditable par tous) ;
- globale (chacun peut la joindre, peu importe son lieu de vie) ;
- immuable / résistante à la censure (= quasiment impossible à détruire ou arrêter) ;
- et autonome [3], au sens qu’aussitôt ses règles codées et déployées dans « l’ordinateur mondial », elles deviennent auto-exécutantes et ne nécessitent pas d’organe dédié à leur mise en œuvre.

Illustration. Imaginons un groupe de développeurs dispersés aux 4 coins du monde qui souhaitent travailler ensemble. Ils déploient une DAO sur la blockchain Ethereum. Chacun lui apporte des cryptomonnaies et se voit automatiquement rétribué par des tokens [4] représentant leur adhésion. Par l’intermédiaire de la DAO, les membres peuvent voter l’acceptation d’une mission, recevoir les paiements en cryptomonnaies et se voir répartir les gains entre eux ; le tout de manière autonome, fiable et transparente.

Limites d’une DAO.

Les DAO sont des programmes, elles sont donc susceptibles de comporter des bugs mettant à risque les fonds de leurs membres [5]. Ensuite, elles créent d’importants risques légaux pour ces derniers.

En effet, ces organisations n’ont pas de personnalité juridique ; leur régime applicable est donc celui des sociétés de fait [6].

Illustration. Dans notre DAO de développeurs, un client mécontent pourrait poursuivre n’importe quel membre de la DAO (s’il l’arrive à l’identifier) et ce dernier pourrait être responsable sur l’ensemble de son patrimoine personnel pour toute l’organisation (on parle de responsabilité indéfinie et solidaire).

En sus, faute de personnalité légale, les DAO ne disposent pas d’interlocuteur officiel : tout membre qui souhaiterait la représenter s’engagerait personnellement et indéfiniment avec un cocontractant.

Partant de ces constatations et du regain d’intérêt pour les DAO ces derniers mois, beaucoup ont eu l’idée de créer des organisations hybrides : c’est-à-dire prenant avantage de caractéristiques sus-évoqués des DAO mais avec les compromis nécessaires pour qu’elles puissent constituer des sociétés à responsabilité limitée. On peut citer korporatio, openlaw, dorg…

SAS administrée via une DAO.

C’est dans cette démarche que s’inscrit l’exercice auquel nous nous sommes astreints, avec l’objectif suivant : créer une société par actions simplifiée tirant suffisamment profit des propriétés d’une DAO afin de la rendre plus efficace et attrayante qu’une SAS ordinaire.

Dans notre expérience, nous avons choisi la SAS en raison de la flexibilité qui la caractérise et de la possibilité de représenter ses actions par des tokens.
Nos statuts proposent donc une « smart SAS permettant aux associés :
- d’apporter des cryptomonnaies à la SAS et être automatiquement rétribués en « actions tokenisées » ;
- de transférer librement ces actions dans la blockchain ;
- d’exprimer exclusivement et valablement leurs décisions collectives par vote dans la DAO.

Ces trois seuls éléments rationalisent considérablement la vie sociale d’une SAS. Aux assemblées générales lourdes et chronophages sont substituées [7] des votes simples, rapides et sécurisés prenant lieu dans la DAO. Cette dernière donne indication, à tout moment, des actions que chacun détient et tient valablement office de registre de mouvements de titres sociaux [8]. Les associés peuvent alors légalement transférer leurs actions aussi aisément qu’on fait circuler des cryptomonnaies.

Illustration : Nos développeurs n’ont plus à craindre d’être poursuivis et responsables sur leur patrimoine personnel puisque la SAS fait écran. Un président, qu’il nomme et révoque par vote dans la DAO, représente la société et constitue leur interlocuteur avec le monde fiat. Ils peuvent vendre leurs actions sur la blockchain et des nouveaux associés peuvent rejoindre leur société de manière totalement numérique. [9]

Abdoulaye Diallo | Consultant Legaltech et Blockchain | Doctorant en Droit
www.abdoulayediallo.fr

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Notes de l'article:

[1Les machines virtuelles de ces blockchains sont très limités. L’expression “ordinateur mondial” peut laisser entendre, à tort, que tout programme turing complet peut y tourner.

[2On vise ici que les blockchains publiques.

[3Il s’agit plus d’une caractéristique des smart contract que de la blockchain en tant que telle.

[4Un actif numérique qui existe uniquement dans la blockchain.

[5On a tous en tête le fameux incident de TheDAO.

[6Si on considère que la DAO est une organisation à fin lucrative. Ce qui n’est pas du tout forcément le cas.

[7L’article L227 –9 du code commerce permet d’écarter la tenue “classique”d’une assemblée générale dans une SAS.

[8Conformément à l’article L211–3 du code du code monétaire et financier.

[9Lien github vers une première ébauche de statuts de “smart” SAS.

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