Rapport de l'Inspection générale de la justice : les préconisations concernant les procédures d'appel. Par Benoit Henry, Avocat.

Rapport de l’Inspection générale de la justice : les préconisations concernant les procédures d’appel.

Par Benoit Henry, Avocat.

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Explorer : # réformes procédurales # procédures d'appel # représentation obligatoire # célérité judiciaire

L’inspection générale de la Justice (IGJ) a dressé le 21 novembre 2019 le bilan des réformes de la procédure d’appel en matière civile, commerciale et sociale.

Ces travaux ont été effectués en parallèle de ceux menés par la commission présidée par M. Henri Nallet sur les modalités d’une réforme du pourvoi en cassation dont le rapport a été remis à Madame le ministre le 7 novembre dernier [1].

Dans son rapport, l’inspection dresse une liste de 22 préconisations, 11 concernent les procédures contentieuses ordinaires avec représentation obligatoire.

Que propose t-elle de faire ?

-

I - La mission de l’Inspection générale de la Justice (IGJ).

L’IGJ était chargée de :

1. Dresser le bilan des réformes de l’appel depuis 2011 et plus spécifiquement du décret de 2009 relatif à la procédure d’appel avec représentation obligatoire en matière civile (D. n° 2009-1524, 9 déc. 2009, dit décret Magendie), du décret de 2012 relatif à la fusion des professions d’avocat et d’avoué près les cours d’appel (D. n° 2012-634, 3 mai 2012) et du décret de 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile (D. n° 2017-891, 6 mai 2017, dit Magendie 2).

Notamment, l’Inspection devait mesurer la collégialité au sein des cours d’appel et estimer l’incidence de ces réformes sur les conditions dans lesquelles les avocats exercent leurs missions de représentation et d’assistance des parties en première instance et en appel ;

2. Evaluer le fonctionnement des procédures d’appel.

3. Dresser une approche comparatiste, pour chacun des points précédents, au regard des cours administratives d’appel et des cours étrangères, notamment en matière de délai de traitement.

Les travaux ont porté sur l’activité de l’ensemble des cours d’appel de 2009 à 2018.

L’IGJ constate que les réformes procédurales successives, en matière civile, commerciale et sociale, ont constitué depuis 2011, une avancée, sous réserve de certains ajustements.

Elles n’ont pourtant pas atteint l’objectif de célérité, n’étant pas parvenues à réduire le stock des affaires en cours).
Ces réformes ont toutefois fait évoluer les méthodes de travail et les organisations, qui gagneraient cependant à être encore dynamisées.

II - Dans son rapport, l’inspection dresse une liste de 22 préconisations, 11 concernent les procédures contentieuses ordinaires avec représentation obligatoire.

Elle propose de :

1. poursuivre le recentrage de l’appel sur la critique du jugement et en conséquence modifier le CPC pour prévoir que l’appel dit « total » ou « général » soit sanctionné par une irrecevabilité prononcée d’office ou à la demande des parties par le président de chambre, le magistrat délégué par le président et/ou le conseiller de la mise en état (CME). Cette nouvelle irrecevabilité pourrait être intégrée à l’article 914 du CPC.
Elle bénéficierait ainsi du mécanisme de purge institué par l’alinéa 2 de ce texte. Les magistrats, comme l’IGJ, considèrent qu’en l’état actuel de la rédaction des articles 562 et 901 du CPC, la finalité de l’appel limité n’est pas atteinte ;

2. au stade de l’orientation des affaires, permettre aux présidents de chambre de prononcer d’office la nullité de la déclaration d’appel (DA) et l’irrecevabilité de l’appel sans avoir à recueillir les observations des parties ni à organiser un débat. Laisser néanmoins à ces dernières la possibilité de contester ces ordonnances par voie de déféré. Un contrôle de l’acquittement du droit de timbre, dont le régime est insuffisamment maîtrisé, doit également être exercé à ce stade (recommandation n° 2) ;

3. augmenter les pouvoirs du CME afin de lui permettre de prononcer d’office ou à la demande des parties, l’irrecevabilité des prétentions nouvelles. L’article 914 du CPC pourrait être complété à cette fin. Le mécanisme de purge institué par son second alinéa permettrait, là encore, de sécuriser la procédure en amont de l’audience (recommandation n° 3) ;

4. prévoir que les parties ne sont plus recevables à soulever un incident, fondé sur les dispositions des articles 770 et 771 du CPC, après l’expiration des délais réglementaires pour signifier et conclure. Ce délai pourrait expirer à la fin des délais « Magendie ». Il permettrait au CME d’être certain que la date de clôture qu’il s’apprête à fixer ne sera pas remise en cause. Des manœuvres dilatoires seraient ainsi évitées (recommandation n° 4) ;

5. modifier les règles de signification et notification de la DA (en procédure ordinaire avec représentation obligatoire) (recommandation n° 5) :
- en cas de constitution de l’intimé dans le délai imparti pour signifier la DA, l’appelant serait dispensé de toute signification ou notification de la DA (et modifier ainsi les articles 902, 905-2 et 1037-1 du CPC). La mission estime, en effet, qu’il faut aller encore plus loin que la Cour de cassation dans 3 avis du 12 juillet 2018.
La deuxième chambre civile a considéré que l’obligation faite à l’appelant de notifier la DA à l’avocat que l’intimé a préalablement constitué n’est pas prescrite à peine de caducité de la DA (Cass. 2e civ., avis, 12 juill. 2018, n° 18-70.008, P+B+R+I : JurisData n° 2018-013123) ;
- signification conjointe de la DA et des conclusions rendue possible dans les formes et délai de l’article 911 du CPC. L’acte d’huissier indiquerait à l’intimé qu’il dispose d’un délai de 15 jours pour constituer avocat. Le délai qui lui serait imparti pour conclure commencerait à courir, à compter : soit de la date de la notification des conclusions à l’avocat constitué ; soit à défaut de constitution, à l’expiration du délai de 15 jours qui lui était imparti pour constituer avocat ;
- le président de chambre et le magistrat désigné par le premier Président (circuit court) et le CME (circuit long) pourraient, en cas de force majeure, écarter la caducité de la DA pour non-respect des délais de signification des articles 902, al. 3 et 905-1, al. 1er du CPC ;

6. porter à 2 mois le délai pour conclure dans la procédure contentieuse ordinaire à bref délai (CPC, art. 905 à 905-2) (recommandation n° 6) ;

7. donner compétence au président de chambre et au magistrat désigné par le premier Président instruisant l’affaire en circuit court pour (recommandation n° 7) :
- déclarer l’appel irrecevable et trancher à cette occasion toute question ayant trait à la recevabilité de l’appel ;
- déclarer les actes de procédures irrecevables (CPC, art. 930-1) ;
- prononcer les irrecevabilités sanctionnant le principe de concentration des prétentions (CPC, art. 910-4) et même l’interdiction des prétentions nouvelles (CPC, art. 564) ;
- constater la conciliation, même partielles des parties ;
- constater l’extinction de l’instance ;
- homologuer, à la demande des parties, l’accord qu’elles lui soumettent.

8. compléter l’article 954 du CPC par l’obligation de récapituler les moyens formulés au soutien des prétentions, dans un paragraphe distinct (recommandation n° 8).

9. modifier l’article 50 du décret de 1991 sur l’aide juridictionnelle (AJ) afin que la décision d’admission totale à l’AJ soit notifiée par voie électronique et, par défaut, par lettre recommandée (recommandation n° 9).

10. supprimer la procédure de l’appel du jugement statuant uniquement sur la compétence (CPC, art. 83 à 89), et intégrer ces jugements à la liste des décisions dont l’appel relève de droit, de la procédure ordinaire à bref délai (CPC, art. 905 à 905-2) (recommandation n° 10).

L’IGJ a en effet relevé qu’un contentieux s’était développé autour de la mise en œuvre des dispositions de l’article 84 alinéa 2 du CPC, les avocats n’ayant pas tous assimilé l’obligation de saisir, dans le délai d’appel et à peine de caducité, le premier Président d’une requête en autorisation d’assigner à jour fixe.

Les greffes soulignent, pour leur part, que cette nouvelle procédure, jugée complexe, multiplie les diligences chronophages puisque la DA et la requête sont traitées selon deux circuits informatiques distincts donnant lieu à délivrance de deux numéros de RG.

C’est pourquoi, elle se range à l’avis de plusieurs magistrats qui ont proposé une suppression pure et simple des dispositions des articles 83 à 89 et l’intégration des jugements statuant sur la compétence de la liste des décisions dont l’appel relève de droit de la procédure ordinaire à bref délai.

11. étendre la procédure écrite avec représentation obligatoire à l’ensemble des contentieux traités par les cours d’appel en matière civile, commerciale et sociale. Sauf pour certains contentieux, notamment relatifs aux libertés individuelles et aux droits fondamentaux (recommandation n° 12).

Enfin, l’IGJ rappelle que le décret de 2017 a supprimé la procédure obligatoire du contredit. Un régime spécifique d’appel applicable aux jugements dans lesquels le juge se prononce sur la compétence sans statuer sur le fond a été instauré (CPC, art. 83 à 89).
Relèvent également de ce régime les jugements statuant sur la compétence et ordonnant une mesure d’instruction ou une mesure provisoire. Or, les cours d’appel s’opposent sur la question de savoir si les recours contre les ordonnances des juges des référés et de la mise en état, statuant sur une exception d’incompétence, relèvent de la procédure ordinaire à bref délai ou de la procédure d’appel des jugements statuant exclusivement sur la compétence sus-évoquée.
L’IGJ ne souhaite pas prendre position mais invite le Gouvernement à trancher le litige, par voie réglementaire, dans les meilleurs délais. La sécurité juridique de nombreuses procédures en dépend.

L’inspection propose également de modifier les textes afin d’unifier le lieu de la DA au greffe de la cour d’appel (recommandation n° 11).
Certaines mesures concernent la charge de travail des magistrats. La mission propose notamment d’élaborer un référentiel d’activité des magistrats de cours d’appel qui intègre une évaluation de la charge de travail (recommandation n° 13).

Sur cette base, contractualiser avec chaque cour d’appel un plan de résorption des stocks prévoyant l’octroi des moyens idoines (recommandation n° 14).

Il serait également nécessaire d’actualiser et de rénover "Outilgref" afin d’objectif de réduire la charge de travail des greffes (recommandation n° 16). L’inspection propose également d’amplifier le recrutement des juristes assistants et de confier leur formation à l’ENM (proposition n° 20).

Benoit Henry, bhenry chez recamier-avocats.com
Avocat Spécialiste de la Procédure d’Appel
Barreau de Paris
http://www.reseau-recamier.fr/
bhenry chez recamier-avocats.com
Président du Réseau Récamier
Membre de Gemme-Médiation
https://www.facebook.com/ReseauRecamier/

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Notes de l'article:

[1Sur cette dernière réforme, il convient de se reporter aux récents articles publiés par Benoit Henry, Avocat sur le Village de la Justice les 29 avril et 30 avril 2019 et les 2 mai et 6 mai 2019 sur le projet de réforme de la Cour de Cassation relatif au traitement des pourvois en matière civile.

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