Pendant plus d’un siècle, le Président de la République a été élu pour une durée de 7 ans.
A l’époque de la mise en œuvre de ce mandat, il s’agissait d’une solution temporaire destinée à préparer un retour à la monarchie.
La constitution de 1958 y a vu une manière d’installer le Président dans le temps long, c’est-à-dire dans une durée supérieure au mandat parlementaire. Rendant ainsi le chef de l’Etat moins politique et davantage arbitre.
La vision du général de Gaulle s’est appuyée sur cette « tradition républicaine », bien que le régime n’ait pas été continu depuis l’adoption de cette durée de mandat par la loi du 20 novembre 1873.
Et puis, par référendum du 24 septembre 2000, la loi constitutionnelle du 6 octobre 2000 a opéré une double modification :
- La réduction du mandat présidentiel ramené de 7 à 5 ans.
- La mise en place des élections législatives en continuité immédiate de l’élection présidentielle.
Ce faisant, cette réforme constitutionnelle a modifié la manière dont nos institutions fonctionnaient jusqu’alors en supprimant l’étape de l’élection intermédiaire durant le mandat présidentiel.
Actualité oblige, ce qui constituait le subtil équilibre de la réforme constitutionnelle de 2000, vient d’être rompu par la dissolution du 9 juin 2024 [1].
Une légitimité renforcée.
Ce qui était visé dans la mise en œuvre du quinquennat ce n’est pas seulement de revenir aux urnes plus souvent s’agissant de l’élection maîtresse de nos institutions.
Ce n’est pas même l’élimination de la possibilité de cohabitation, certes, traumatisante pour nos élus, beaucoup moins pour les électeurs qui ont pu y voir une forme de tempérance des excès de la personnalisation du pouvoir.
Ce qui a été recherché, et obtenu, c’est un accroissement du poids présidentiel par la conjugaison de deux moments électoraux majeurs, de sorte de renforcer le Président de la République par une majorité à l’Assemblée Nationale.
Le point important de cette réforme est en fait une question de calendrier électoral et de préséance, autant que de concomitance, entre l’élection du Président et celle des Députés.
Et cela a fonctionné pendant près de 25 ans. A chaque nouveau Président, les Français ont donné une large majorité à celui-ci, lui conférant les moyens institutionnels de sa politique.
À un tel point que les électeurs, bien conscients finalement de ce fonctionnement, se sont désengagés du scrutin, y participant bien moins qu’auparavant.
Cette nouvelle organisation de nos institutions, et donc avant tout de calendrier électoral, a rendu le régime encore plus « présidentiel » et, si l’on veut rechercher un modèle, plus équivalent au système des États-Unis d’Amérique dans lequel le président, bien qu’élu différemment, ne peut guère agir s’il n’emporte pas la majorité au congrès.
Point besoin de congrès en France puisque nos institutions sont ainsi faites que l’Assemblée Nationale prévaut sur le Sénat.
Il suffit, mais c’est une condition, que le Président puisse compter sur une majorité à l’Assemblée pour pouvoir gouverner.
Fusil à deux coups donc, en mai élection du Président, en juin élection des Députés et parfaite corrélation entre les deux.
À une exception près.
Que ce soit pour Jacques Chirac [2] , Nicolas Sarkozy, François Hollande ou Emmanuel Macron [3] , les institutions issues de la loi du 6 octobre 2000 ont toutes fonctionné dans le même sens : celui de donner les marges de manœuvres nécessaires au Président nouvellement élu.
Avec cependant une conséquence d’un Président plus exposé ne lui permettant pas d’atteindre un second mandat.
L’exception est constituée par le Président Macron qui est le premier a emporter un second mandat consécutif à son premier depuis 2002.
Lorsque le fusil se grippe.
Les élections législatives qui suivent la réélection du Président le 14 mai 2022, ne lui donnent pas de majorité absolue au soir du second tour le 19 juin 2022.
Sous le régime du quinquennat, cela est une première, et le Président de la République en a été entravé dans son action.
Mais, notre constitution prévoit ce genre de circonstances, en la rédaction du célèbre article 49-3 qui permet au gouvernement d’agir et de contraindre avant tout sa propre majorité à le soutenir, puisque nous nous trouvons là dans le cadre de la procédure législative au cours de laquelle le gouvernement peut engager sa responsabilité sur un texte.
Et ici encore, cela fonctionne, ce n’est d’ailleurs pas nouveau puisque le rédacteur de la Constitution, Michel Debré l’a lui-même utilisé 4 fois et que bon nombre de premiers ministres s’en sont également servis par la suite. À un tel point qu’une autre réforme constitutionnelle est venue en limiter l’usage [4].
Malgré cette limitation, le gouvernement d’Elisabeth Borne a tenu [5] en usant de cette procédure, l’utilisant plus d’une fois par mois en moyenne. Et sans que jamais, malgré l’usage de la mesure de rééquilibrage prévue par le texte de la motion de censure, son gouvernement ne fut renversé.
Y compris concernant le texte très controversé de la réforme des retraites au printemps 2023.
Si un gouvernement tient dans ces circonstances, il est probable qu’il tienne dans les autres cas.
Il se dit toutefois qu’après les résultats des élections au Parlement européen du 9 juin 2023, que le gouvernement de Gabriel Attal n’aurait pas résisté au vote du budget 2025. Or, le droit constitutionnel est ainsi fait que tant qu’un événement ne s’est pas produit, on ne se sait pas s’il pourrait se réaliser.
En tout état de cause, certes, la majorité relative était grippée dans son fonctionnement. Elle aurait peut-être été désavouée par une motion de censure votée à un moment donné. Mais, les institutions parlementaires ne se trouvaient pas à être entravées dans leur fonctionnement. Et, finalement, le Président n’était pas non plus empêché d’agir.
L’institution présidentielle, n’aurait été limitée qu’en cas de cohabitation. Et encore en cette hypothèse, les exemples précédents et désormais anciens [6] ont démontré que nos institutions, dans leur globalité, continuaient de fonctionner en ces circonstances, malgré une fonction présidentielle amoindrie, mais disposant toutefois de ce que les constitutionnalistes ont dénommé un « domaine réservé » sur le fondement des articles 5, 14, 15 et 52 de la Constitution.
Lorsque le fusil devient inutile.
Le fonctionnement, si ce n’est l’esprit de la réforme de 2000, est désormais altéré.
Le décalage entre le mandat présidentiel et celui des députés est de nouveau installé.
Cette dissolution a donc affaibli la fonction présidentielle, ce que les critiques du pouvoir présidentiel n’ont d’ailleurs pas encore vu.
Les périodes de cohabitation redeviennent possibles et nécessaires si le Président ne peut pas compter sur une majorité à l’Assemblée.
Ce fusil à deux coups est donc désormais inutilisable sauf à ce que le Président remette son mandat et qu’un nouvel élu opère une dissolution pour s’assurer d’une majorité. Et encore faudrait-il que les deux événements se produisent dans un an puisque l’article 12 est très clair quant à la durée minimale entre deux dissolutions de l’Assemblée Nationale.
Autant dire que l’on ne voit pas ce qui pourrait permettre de revenir à l’état initial, ni pourquoi le Président actuel remettrait en place ce qu’il a défait.
Il a donc changé la règle du jeu, semble-t-il en conscience [7], pour lui-même et ses successeurs.
Et a rendu, par la même occasion, le pays très probablement ingouvernable dans l’immédiat puisqu’aucune majorité n’est atteinte, et dépendant de facteurs (la dette) et d’institutions qui lui sont extérieurs (l’Union Européenne, l’OTAN, voire le FMI) donnant une tournure nouvelle et xénocratique à nos règles politiques.
À rebours de l’esprit fondateur de la Ve République.