Introduction.
1. Le titre d’une œuvre n’est pas un simple élément accessoire. « Il rallie l’admirateur ou l’amateur, voire le client, comme la marque rallie la clientèle » [1]. Il constitue souvent la première interaction entre une œuvre et son public et joue un rôle crucial à plusieurs niveaux.
Le titre est la première chose que le public voit et entend concernant une œuvre. Il sert de première impression et de porte d’entrée pour attirer l’attention. Un titre bien choisi peut capter l’intérêt, susciter la curiosité et inciter le public à explorer davantage l’œuvre. Il agit comme un identifiant unique, facilitant la reconnaissance et la mémorisation de l’œuvre parmi une multitude d’autres. Ainsi, un titre distinctif peut grandement influencer le succès commercial et artistique d’une création.
Le titre d’une œuvre peut aussi être un outil de marketing puissant, s’il contribue à la stratégie de branding de l’auteur ou de l’éditeur par la création d’une image de marque cohérente et reconnaissable. Un bon titre peut être mémorable et facile à rechercher, augmentant ainsi la visibilité de l’œuvre dans les moteurs de recherche et les plateformes de vente.
Un titre efficace peut aussi très bien véhiculer des émotions, des thèmes ou des intrigues, donnant au public un avant-goût de ce à quoi s’attendre et créant un lien émotionnel avant même de consommer l’œuvre.
D’un point de vue créatif, le titre est souvent une partie intégrante de l’œuvre elle-même. Il peut refléter le thème central, l’intrigue, ou l’atmosphère générale de l’œuvre, ajoutant une couche supplémentaire de signification et enrichissant l’expérience du public. Un titre bien pensé peut intriguer, provoquer la réflexion et enrichir la compréhension globale de l’œuvre.
2. De l’importance du titre découle l’importance de sa protection. C’est une question centrale dans le droit de la propriété intellectuelle. A partir du moment où le titre peut constituer un élément essentiel de l’identité et de la reconnaissance auprès du public et qu’Il vise à individualiser l’œuvre et à attirer et à prévenir toute confusion ou exploitation non autorisée qui pourrait nuire à l’auteur ou aux ayants droit de l’œuvre, sa protection de toute atteinte et exploitation non autorisé devient primordial.
3. Bien que la législation tunisienne protège le titre des œuvres de l’esprit spécifiquement par les dispositions de la loi relative aux droits de propriété littéraire et artistique et aux droits voisins [2], cette protection reste selon nous très floue et mériterait une intervention législative pour dissiper toute mauvaise compréhension ou interprétation (Paragraphe premier).
Le titre des œuvres de l’esprit bénéficie aussi de protections par le biais de dispositions législatives à caractère plutôt économique, c’est dans ce sens que le titre peut être protégé par la loi relative aux marques de fabrique, de commerce et de services (paragraphe deuxième).
La protection du titre ne se limite pas à ces deux cadres juridiques. Elle s’étend également aux principes de la concurrence déloyale et du parasitisme qui visent à sanctionner les comportements commerciaux déloyaux et à préserver l’intégrité des œuvres contre des utilisations frauduleuses (paragraphe troisième).
Nous examinerons donc cette triple protection des titres d’une œuvre de l’esprit.
Paragraphe premier : la protection du titre par le droit d’auteur : une protection aux contours flous.
4. Selon les dispositions de l’article 1e de la loi tunisienne relative aux droits d’auteur « Le droit d’auteur couvre toute œuvre originale littéraire, scientifique ou artistique quels qu’en soient la valeur, la destination, le mode ou la forme d’expression, ainsi que sur le titre de l’œuvre. Il s’exerce aussi bien sur l’œuvre dans sa forme originale que sur la forme dérivée de l’original ».
5. A première vue, le titre est protégé au même titre que l’œuvre elle-même puisque l’article précise que le droit d’auteur couvre l’œuvre elle-même ainsi que son titre.
Seraient ainsi protégés les titres des œuvres originales quelle que soit l’œuvre. Il peut donc s’agir du titre d’un roman, d’un film, d’une composition musicale, d’un jeu vidéo, d’une œuvre d’art, voire d’un site internet…
6. Cette formulation est néanmoins ambiguë. Il aurait été préférable de prévoir une disposition spécifique à la protection du titre de l’œuvre à l’instar de plusieurs législations comparées.
La législation marocaine prévoit par exemple un article spécifique à la protection du titre [3].
C’est à peu près la même logique qu’à adopter le législateur français [4].
D’ailleurs la loi française va plus loin que cette séparation entre le titre et l’œuvre en précisant que même si la protection de l’œuvre elle-même n’est plus acquise, l’usage du titre ne pourrait être autorisé si un risque de confusion peut exister.
Ces précisions permettent d’individualiser le titre et de mettre l’accent sur l’importance du titre des œuvres. Individualiser la protection du titre pourrait avoir un effet psychologique et faire mieux appréhender l’importance du titre aux titulaires du droit mais aussi aux praticiens que sont les avocats et les juges.
7. L’ambiguïté et le flou des dispositions concernant la protection du titre s’étendent d’ailleurs à la notion cardinale du droit d’auteur à savoir l’originalité.
L’article 1e de la loi sur le droit d’auteur ne précise nullement que le titre doit être originale pour pouvoir jouir de la protection au titre du droit d’auteur. Seul est prévue l’originalité de l’œuvre, or il est fréquent que le titre ne revête aucune originalité.
8. Il ne s’agit pas d’une hypothèse d’école puisque les juridictions tunisiennes ont eu à se prononcer sur une question se rapportant à la protection du titre pour un site internet.
Dans l’affaire « Ma yfootek chay », la Cour d’appel de Tunis [5] s’était fondée sur l’originalité du site internet et en a déduit que le fait d’utiliser un titre semblable au titre du site en question constituait une atteinte au droit d’auteur sans examiner l’originalité du titre en question [6].
9. Cette position est contraire à la jurisprudence française qui définit la contrefaçon du titre comme étant « la reprise des mots et formules qui le constituent pour en faire la locution distinctive sous laquelle une autre œuvre sera divulguée » [7] et exige pour la protection du titre de l’œuvre qu’il soit original indépendamment de l’originalité de l’œuvre en elle-même.
C’est dans ce sens que la dénomination « Le chardon » pour une publication à caractère publique et politique et qui est d’ordinaire l’appellation d’une plante « à feuilles bractées et épineuses et, appliquée à un journal, n’est ni descriptive ni générique et présente un caractère d’originalité » [8].
Dans une autre affaire, et alors que l’œuvre elle-même avait été jugée originale, le titre ne l’a pas été. Il s’agissait dans cette affaire dite de « l’ours polaire » d’une action en contrefaçon pour l’atteinte à une œuvre des arts appliqués.
L’usage du titre d’un canapé et d’un fauteuil « Ours polaire » et de sa traduction en langue anglaise « Polar bear » n’ont pas été jugé comme constituant une contrefaçon de droit d’auteur [9].
Il a aussi été jugé que le titre du film « la Haine » n’est pas suffisamment orignal pour être protégé par le droit d’auteur et que « le succès critique et public du film "La haine" n’est pas de nature à conférer une originalité particulière à son titre » [10]. Il a aussi été jugé que le titre « hôtel de charme » manque d’originalité [11].
L’originalité du titre ne s’apprécie pas indépendamment du contenu de l’œuvre elle-même, elle reste fortement liée à l’œuvre. C’est ce qu’à décider la cour de cassation française dans l’affaire de « la route du Rhum ». Dans cet arrêt la cour de cassation avait infirmé une décision d’une cour d’appel ayant distingué entre l’œuvre et le titre [12] pour rappeler que la recherche de l’originalité du titre d’une œuvre doit être effectuée en rapport avec le contenu de l’œuvre [13].
10. Hormis cette exigence de l’originalité, les tribunaux français s’assurent que le titre ne risque pas de prêter à confusion et d’induire le public en erreur. C’est notamment la position du Tribunal Judiciaire de Paris dans l’affaire de « la planète des singes » ou les juges avaient interdit la publication d’un livre ayant pour titre « la planète des singes » car cet usage présente un risque de confusion pour le public et constitue une contrefaçon du titre [14].
11. Autre question à laquelle la loi tunisienne et la jurisprudence tunisienne n’apportent pas encore de réponse est celle du moment d’appréciation de l’originalité. Ici aussi le recours à la jurisprudence française pourrait avoir un certain apport puisque les tribunaux français avaient eu l’occasion de se déclarer et ont jugé que l’originalité s’appréciait au jour de la création [15].
Le flou de la loi tunisienne pourrait être dissipé par une intervention législative précisant simplement que le titre est protégé s’il est original. C’est d’ailleurs ce que prévoient certaines lois sur le droit d’auteur comme la loi égyptienne [16].
Paragraphe deuxième : la protection du titre par les lois économiques.
12. La protection du titre peut se faire non seulement à travers la loi sur le droit d’auteur mais aussi à travers certaines législations à caractère économique. Le titre peut être protégé par la loi sur les marques (I) ainsi que par les dispositions relatives à la concurrence déloyale et le parasitisme (II).
I. Protection des titres par le droit des marques.
13. Selon l’article 2 de la loi relative aux marques de fabrique, de commerce et de services [17] « La marque de fabrique, de commerce ou de services est un signe visible permettant de distinguer les produits offerts à la vente ou les services rendus par une personne physique ou morale ».
Le titre d’une œuvre de l’esprit peut donc faire l’objet d’une protection par le droit des marques s’il vise à distinguer un produit ou un service et qu’il n’est pas contraire à l’ordre public [18].
14. Il est par exemple aujourd’hui admis que la protection des titres de journaux et des périodiques puisse être protégée par le droit des marques [19]. C’est le même raisonnement qui prévaut pour les titres des émissions télévisuelles ou radiophoniques comme les séries et les émissions de télévisions.
C’est dans ce sens que plusieurs émissions et séries télévisuelles [20] ou radiophoniques tunisienne [21] ont procédé à la protection de leur titre par le droit des marques en procédant à un dépôt à l’INNORPI.
15. L’auteur d’une œuvre de l’esprit peut donc protéger son titre en le déposant comme marques. Mais même sans ce dépôt le titre reste protégé contre les agissements visant à déposer et à protéger comme marque un droit de propriété intellectuelle antérieur.
L’article 5 de la loi relative aux marques de fabrique, de commerce et de services prévoit en effet que « Ne peut être adopté comme marque, un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment … aux droits d’auteur… ».
Ceci dit, les examinateurs de l’INNORPI ne pourront pas refuser l’enregistrement d’une marque contraire au droit d’auteur. En effet l’article 8 de la loi relative aux marques ne prévoit pas parmi les motifs d’examens des marques le contrôle de la contrariété à un droit antérieur. Le titulaire du droit d’auteur pourra néanmoins s’opposer à l’enregistrement par un recours en nullité du dépôt [22].
L’action doit être portée devant le tribunal compétent à savoir le tribunal de première instance de Tunis dans un délai de cinq ans [23].
16. Le titre protégé par le droit d’auteur peut aussi être cédé à des tiers pour être utilisé comme marque. Ainsi le titre de l’œuvre de Jules Renard, Poil de Carotte, a été cédé par les héritiers de l’auteur pour désigner une marque de Camembert [24].
II. Protection par la concurrence déloyale et le parasitisme.
17. Le titre de l’œuvre peut aussi être protégé en vertu du droit commun par les dispositions relatives à la concurrence déloyale. L’article 92 du code des obligations et des contrats tunisien prévoit une formulation pouvant inclure la protection des titres des œuvres de l’esprit. Cet article énonce que « peuvent donner lieu à des dommages-intérêts, sans préjudice de l’action pénale, les faits constituant une concurrence déloyale, et par exemple … » [25].
L’article cite quelques exemples de faits pouvant constituer une concurrence déloyale. Faits se rapportant de façon générale à des fausses indications et fausses informations. Il n’est donc qu’indicatif ce qui permet d’y faire inclure tout fait constituant une concurrence déloyale.
L’utilisation d’un titre d’une œuvre pourrait à notre avis donner lieu à une action en concurrence déloyale sur la base de l’article 92 du C.O.C.
Et pour que cet article trouve à s’appliquer, il faut qu’il y ait une faute, un dommage et le lien de causalité. Il suffit de l’existence d’une faute, pas nécessairement intentionnelle pour que la faute soit caractérisée [26].
Il est utile ici de rappeler que la version française du texte est différente de la version arabe, celle qui fait foi, puisque le texte arabe exige pour s’appliquer que les faits de la concurrence soient basés sur une tromperie ou une ruse.
La concurrence déloyale ne peut résulter que d’actes intentionnels contraires aux usages loyaux et impliquant une faute établie.
18. La convention de Paris de 1883 constituant une union internationale pour la propriété industrielle, et qui a été ratifié par la Tunisie, le 07 juillet 1884, contient un article 10 bis relatif à la concurrence déloyale qui prévoit que « 1) Les pays de l’Union sont tenus d’assurer aux ressortissants de l’Union une protection effective contre la concurrence déloyale.
2) Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.
3) Notamment devront être interdits :
1° tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n’importe quel moyen avec l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent ;
2° les allégations fausses, dans l’exercice du commerce, de nature à discréditer l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent ;
3° les indications ou allégations dont l’usage, dans l’exercice du commerce, est susceptible d’induire le public en erreur sur la nature, le mode de fabrication, les caractéristiques, l’aptitude à l’emploi ou la quantité des marchandises »
Le premier alinéa impose aux Etats d’assurer une protection effective « par des recours légaux appropriés pour réprimer efficacement » tous les actes de concurrence déloyale.
Même si cet article n’a pas, semble-t-il pas fait l’objet de recours sur son fondement, les tribunaux tunisiens pourraient s’y fonder pour les recours sur la base de la concurrence déloyale surtout que plusieurs décisions judiciaires avaient rappelé dans leur dispositif la convention de Berne comme fondement de la protection.
19. Faute d’une consécration constitutionnelle du principe de la liberté de commerce et d’industrie, le recours en concurrence déloyale ne peut qu’être fortement restreint. D’ailleurs nous voyons mal comment un auteur pourrait agir alors même que son titre est dépourvu certes d’originalité a été indument usurpé.
Dans des cas pareils, la jurisprudence française avait rappelé cette possibilité « Considérant que le principe de la liberté du commerce implique que le titre d’une revue, qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle, peut être librement reproduit, sous certaines conditions, tenant notamment en une faute consistant à créer intentionnellement ou par imprudence ou négligence un risque de confusion dans l’esprit du consommateur entre deux titres individualisant des œuvres d’un même genre » [27].
Le titre dénué d’originalité ou qui serait tombé dans le domaine public peut donc parfaitement être protégé par les règles de la concurrence déloyale. Ceci dit, il n’existe pas en Tunisie une disposition spécifique de la loi relative à la propriété littéraire et artistique prévoyant expressément cette possibilité [28]. Le recours au droit commun, à savoir l’article 92 du COC est donc le seul fondement possible.
Cet article peut aussi fonder une action en en concurrence déloyale pour agissements parasitaires que l’on peut qualifier comme « l’acte d’un commerçant ou d’un industriel qui, même sans avoir l’intention de nuire, tire ou s’efforce de tirer profit du renom acquis légitimement par un tiers et sans qu’il y ait normalement confusion entre les produits et les établissements » [29].
Conclusion.
20. Il est clair que la loi tunisienne protège le titre d’une œuvre de l’esprit contre toute atteinte et toute utilisation non autorisée. Cette protection reste ceci-dit imparfaite.
La loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins octroi cette protection sous réserve de l’originalité de l’œuvre, sans préciser que le titre lui-même doit aussi revêtir une certaine originalité et sans aucune mention des critères de détermination de cette originalité. D’ailleurs, le recours à la jurisprudence n’est ici d’aucun secours de par la rareté des décisions et de par le manque de motivations des rares décisions disponibles.
La loi relative aux marques de fabrique, de commerce et de services permet quant à elle de protéger les titres des œuvres de l’esprit comme marque si les conditions sont remplies et spécifiquement la distinctivité. Elle permet aussi à tout titulaire des droits de contester tout dépôt de leurs titres comme marques.
Enfin, le droit commun à savoir le Code des obligations et des contrats interdit tout usage du titre conduisant à une concurrence déloyale.