Les droits des femmes en Tunisie : un sombre tableau de la situation actuelle.

Par Amir Ammar, Doctorant.

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Explorer : # violence domestique # droits des femmes # participation politique # égalité des genres

Six années se sont écoulées depuis l’adoption de la loi organique n° 2017-58 du 11 août 2017 relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes en Tunisie. Cependant, malgré ces avancées, la mise en œuvre de la loi reste confrontée à des défis majeurs. L’application de la loi reste partielle et de nombreux obstacles entravent sa mise en œuvre effective.

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Parallèlement, le rôle des femmes dans la vie politique connaît une régression préoccupante. Malgré les avancées réalisées, la représentation et la participation des femmes dans les sphères politiques et décisionnelles sont en recul. Seulement 2% des femmes fonctionnaires occupent des postes à responsabilité. Ce qui soulève des inquiétudes quant à la consolidation de l’égalité des genres et à la promotion d’une société plus inclusive.

Une loi relative à l’élimination de la violence à l’égard des femmes ne protège pas les femmes.

L’adoption de la loi 58 contre la violence domestique a été une avancée notable, c’est le fruit d’un long combat contre la violence à l’égard des femmes en Tunisie.
Malgré cette loi, onze femmes ont été tuées par leur conjoint depuis janvier 2023, contre quinze sur l’ensemble de l’année 2022. La mobilisation s’organise à chaque fois que ces meurtres tragiques se répètent, tant du côté des féministes que du côté de l’État. Cependant, ces victimes sont souvent rapidement oubliées, jusqu’à ce que de nouveaux drames surviennent.

Cette loi, adoptée il y a plus de cinq ans, demeure partiellement appliquée et peu de ressources sont disponibles pour sa mise en œuvre. Toutefois, un très grand nombre de femmes continuent à subir de graves violences de la part de leur conjoint et d’autres membres de la famille où elles se trouvent privées de la protection et de l’assistance légalement dues par les autorités.

D’après Human Rights Watch, les femmes qui portent plainte au tribunal pour poursuivre une plainte ou pour solliciter une ordonnance de protection à plus long terme ne bénéficient souvent pas d’un conseil juridique sans frais, comme le prévoit la loi conjugué par un soutien qui peut être qualifié d’une qualité médiocre. Ces difficultés sont aggravées par le fait que les affaires ont tendance à s’éterniser devant les tribunaux, ce qui rend la justice encore plus insaisissable.

La loi-58 a également renforcé le droit des victimes à un soutien, à un suivi médical et psychologique. En revanche, dans la plus grande partie des régions, seuls des certificats médicaux ont été délivrés de manière gratuite. Les frais d’examens médicaux supplémentaires, ainsi que les coûts de transport, risquent de freiner les victimes de violences domestiques.
Le corps médical informe à peine les victimes de leurs droits ou les oriente vers des psychologues ainsi la plupart d’entre eux n’ont pas la formation nécessaire pour constater les preuves de violence, y compris les répercussions physiologiques sur la victime.

Dans ce même ordre d’idée, la loi-58 stipule que les victimes de violence ont le droit à un hébergement d’urgence et à des services de réintégration et de logement à plus long terme.

Cependant, les autorités tunisiennes actuelles ont failli et ne se sont pas suffisamment souciées d’allouer les ressources nécessaires pour aider les femmes, y compris celles qui s’occupent d’enfants, à acquérir une indépendance économique vis-à-vis de leurs agresseurs.

Selon Sana Ben Achour, juriste et présidente de l’association Beity, qui soutient les femmes en leur fournissant une assistance juridique, il existe une complicité implicite entre les autorités et les hommes responsables de violences. Les femmes qui cherchent protection sont souvent négligées et leur parole n’est jamais prise au sérieux. Cette réalité est déplorée par la militante qui constate que lorsqu’une femme dépose plainte, on la renvoie chez elle, on cherche à la dissuader ou à jouer les rôles de médiateurs, mais pour les juges ou les policiers, il n’y a pas de sentiment d’urgence. Cette situation révèle un grave problème dans le traitement des affaires de violence contre les femmes et souligne la nécessité d’une prise de conscience et d’une action immédiate pour garantir la sécurité et les droits des femmes en Tunisie.

La représentativité politique des femmes en Tunisie : "Entre avancées symboliques et défis concrets".

La désignation de Najla Bouden en tant que première femme Premier ministre du monde arabe est un événement symbolique qui cherche à renforcer le rôle des femmes dans la prise de décision en Tunisie. Cependant, cette nomination est teintée d’une contradiction troublante. Bien que la désignation d’une femme à un poste de pouvoir élevé puisse sembler progressiste, l’absence totale de l’engagement de son parlement en faveur des droits des femmes et de l’égalité en général la rend vide de tout impact significatif sur la scène politique et sociale du pays. Au contraire, cela crée un sentiment d’impuissance et d’embarquement, ce qui risque d’être perçu par les Tunisiens comme un échec des femmes dans la gestion des affaires publiques. Cette situation souligne l’importance de ne pas se contenter de gestes symboliques, mais de garantir une véritable défense des droits des femmes et une promotion de l’égalité au sein du gouvernement et de la société dans son ensemble.

En effet, La présence progressive réduite des femmes tunisiennes au sein des parlements au fil des années est une préoccupation majeure en termes d’égalité des sexes et de participation politique. Dans le nouveau parlement, on compte seulement 22 femmes parmi les 129 hommes, ce qui représente 17% de la composition totale. Ce chiffre est en net recul par rapport aux 23% de femmes présentes dans le parlement de 2019 et aux 36,40% de femmes siégeant en 2014.

Étant donné auparavant comme un pionnier régional en matière de représentation politique des femmes, la décision du président Tunisien Kais Saied de promulguer une loi électorale sans aucune stipulation relative à la parité entre les sexes est l’une des causes principales de cette diminution alarmante de la présence des femmes dans le nouveau parlement.

En outre, la nouvelle loi non seulement éradique l’obligation d’alternance entre les sexes sur les listes de candidats, mais elle impose également des exigences supplémentaires qui affectent de manière discriminatoire les femmes qui souhaitent se présenter aux élections.

Cet abandon de la parité intervient à un moment préoccupant pour les femmes dans un pays qui s’est longtemps présenté comme le plus féministe de la région.
Inscrit dans la loi depuis l’aube de la nation indépendante en 1956, un ensemble de droits fondamentaux des femmes, dont l’interdiction de la polygamie et des divorces unilatéraux forcés, a été développé au cours des décennies suivantes. De nombreux militants sont aujourd’hui incarnés par le sentiment selon lequel les progrès ont été freinés.

La Tunisie, en dépit de ces déceptions, s’est généralement montrée plus progressiste en ce qui concerne la promotion des droits des femmes.
Néanmoins, les activistes se plaignent aujourd’hui que, sous prétexte d’une présence renforcée des femmes au sein du gouvernement actuel, les politiques gouvernementales visent à instrumentaliser les femmes à des fins politiques plutôt qu’à les valoriser.
D’ailleurs, le président et son gouvernement, n’ont pas ratifié certains textes internationaux qui protègent les femmes contre la violence, comme la Convention d’Istanbul relative à la violence domestique. De fait, les femmes tunisiennes sont actuellement au bord du gouffre où elles souffrent d’une explosion de la violence à leur égard, d’une régression de leur rôle dans la vie sociale et politique et de l’absence d’une réelle volonté politique de renforcer leurs droits et leur protection.

Conclusion.

Nonobstant les avancées législatives réalisées en Tunisie, notamment avec l’adoption de la loi sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, il reste encore de nombreux défis à relever. La mise en œuvre de cette loi demeure partielle, les ressources allouées sont insuffisantes et de nombreux obstacles entravent la protection des femmes. Parallèlement, la représentation politique des femmes a connu une diminution alarmante, avec une présence de seulement 17% de femmes dans le nouveau parlement.
Cette dégradation notable des droits des femmes et la montée de la violence à leur égard soulèvent de sérieuses interrogations quant aux autres dispositions légales discriminatoires qui doivent encore être réformées, telles que l’inégalité en matière d’héritage, les relations entre personnes de même sexe, ainsi que les droits des différentes minorités sexuelles et religieuses qui sont encore incertains.
« La femme en Tunisie n’est plus une cause omniprésente mais plutôt une affaire camouflée ».

Amir Ammar, Doctorant,
Chercheur en droit public, faculté de droit de Sfax
amirammarofficiel chez gmail.com

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