Climatiseurs réversibles et nuisance sonore, quelle responsabilité pour le propriétaire ?

Par Christophe Sanson, Avocat.

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Explorer : # nuisances sonores # troubles de voisinage # responsabilité du propriétaire # expertise judiciaire

Comment, pour les voisins d’équipements bruyants (climatiseurs réversibles, pompes à chaleur, VMC), apporter la preuve de l’intensité des nuisances sonores qu’ils subissent, obtenir de la justice d’y mettre fin et se faire indemniser pour les préjudices subis ?
Par un jugement du 5 janvier 2021, le Tribunal judiciaire de Créteil, statuant au fond, a décidé que le propriétaire d’une maison devait être tenu pour responsable, même sans faute, des nuisances sonores résultant du fonctionnement de ses installations bruyantes, en l’espèce, des climatiseurs réversibles.

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Jugement du Tribunal judiciaire de Créteil du 5 janvier 2021, RG n° 19/XXXX.

Au vu de ce rapport et sur le fondement juridique selon lequel « nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage », le Tribunal a condamné le propriétaire des équipements litigieux à indemniser les voisins victimes de ces nuisances. Il l’a fait à hauteur de 19 000 euros pour les préjudices subis, outre le remboursement des dépens d’un montant de 9 649,44 euros dont le rapport d’expertise, soit plus de 28 000 euros au total.

Ce jugement, commenté et reproduit en texte intégral ci-dessous, est riche d’enseignements. Mettant en avant la force probante de l’expertise judiciaire dans le domaine de l’acoustique, il permet de comprendre aussi comment cette expertise peut amener le défendeur à mettre fin au désordre avant même le procès au fond. Il retient enfin que le responsable des nuisances ne saurait valablement appeler en garantie son vendeur sans démontrer l’intention dolosive.

I. Présentation de l’affaire.

1°. Faits.

Les demandeurs avaient acquis, en 1979, une maison individuelle avec jardin.

En 2016, suite au changement de propriétaires de la maison adjacente, non mitoyenne, les demandeurs ont commencé à subir des troubles liés au fonctionnement de deux climatiseurs, de la VMC et de la pompe à chaleur de la piscine, situés à l’extérieur du domicile voisin.

Ces nuisances se traduisaient par des bruits de moteurs et de compresseurs.

2°. Procédure.

Pour faire cesser les troubles dont ils s’estimaient victimes, les propriétaires avaient sollicité du Président du Tribunal de Grande Instance de Créteil (devenu Tribunal judiciaire de Créteil) la désignation d’un Expert judiciaire aux fins d’établir la réalité et l’intensité des nuisances acoustiques résultant de ces équipements.

Le Président du Tribunal avait, par ordonnance en date du 28 février 2017, fait droit à cette demande.

A la suite de sa mission, l’Expert judiciaire avait, le 18 décembre 2018, déposé son rapport définitif.

Il ressortait de ce rapport que

« les nuisances sonores alléguées [étaient] vérifiées dans le jardin, sur la terrasse en limite de propriété par des émergences sonores globales respectives de 5 dB(A) (en régime forcé négatif froid) et de 10,5 dB(A) (en régime forcé positif chaud) qui [étaient] supérieures aux tolérances du décret n°2006-1099 du 31 août (3dB(A) en période diurne et nocturne) ».

Ainsi, l’Expert avait conclu

« qu’en référence au décret n° 2006-1099 du 31 août 2006, le trouble anormal de voisinage lié à la mise en fonctionnement des deux unités de climatisation installées sur le pignon de la propriété [des demandeurs] [était] manifeste de jour comme de nuit ».

A l’inverse, l’Expert n’avait pas constaté de nuisances liées au fonctionnement des climatiseurs depuis l’intérieur de la maison des demandeurs, ou résultant de la VMC et de la pompe à chaleur de la piscine.

Sur le fondement de ce rapport, et de différents constats d’huissier, les plaignants avaient assigné, devant le Tribunal judiciaire de Créteil, statuant au fond, les propriétaires des équipements litigieux (une personne physique et une SCI) et avaient demandé à la juridiction :
1. de condamner les propriétaires à faire réaliser une mesure acoustique de réception des travaux réalisés permettant de prouver que les objectifs prévus par le rapport d’expertise judiciaire avaient bien été atteints ;
2. de les condamner à faire intervenir, à leurs frais, un technicien afin de mettre fin aux nuisances sonores liées au fonctionnement de la VMC ;
3. et de les condamner à 4 000 euros au titre de leur préjudice de santé ;
4. ainsi qu’à 3 000 euros au titre de leur préjudice moral ;
5. 5 118 euros au titre de leur préjudice financier ;
6. 55 682 euros au titre de leur préjudice de jouissance ;
7. 20 642,43 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile comprenant les frais d’avocat, les frais d’huissier de justice ainsi que les frais liés à l’intervention du BET pour la réalisation de l’étude réparatoire ;
8. et de les condamner à la somme de 9 659,44 euros au titre des dépens comprenant les frais d’expertise judiciaire.

Les défendeurs, quant à eux, concluaient au rejet de ces demandes et sollicitaient la condamnation des demandeurs à leur verser la somme de 8 169 euros au titre des travaux de mise en conformité de leur système de climatisation, 12 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, comprenant notamment les frais d’avocat, ainsi qu’aux dépens.

A titre subsidiaire, ils demandaient à la juridiction que les vendeurs de leur maison, à savoir les anciens propriétaires à l’origine de l’installation des équipements litigieux, soient condamnés à les garantir des condamnations prononcées à leur encontre.

3°. Décision du juge.

Sur le fondement de la théorie du trouble anormal de voisinage, le juge, statuant au fond a, par décision du 25 janvier 2021, indemnisé les demandeurs des principaux préjudices subis.

Il a ainsi condamné les actuels propriétaires à payer aux demandeurs les sommes :
- de 15 000 euros au titre de leur préjudice de jouissance ;
- de 4 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et notamment au titre de leurs frais d’avocat ;
- ainsi qu’à la prise en charge des dépens et notamment des frais d’expertise.

La juridiction a cependant rejeté le surplus des demandes.

II. Observations.

A) Sur la preuve du trouble anormal de voisinage.

En droit, la théorie du trouble de voisinage s’exprime sous la forme du principe selon lequel : « nul ne doit causer à autrui de trouble anormal de voisinage » [1].

La qualification du trouble anormal de voisinage est conditionnée à la preuve de différents éléments, à savoir :
- l’existence d’un lien de voisinage ;
- l’anormalité du trouble ;
- le préjudice ;
- un lien entre ces deux éléments [2].

La charge de la preuve du caractère anormal des nuisances sonores incombe aux victimes [3].

Cependant, il est important de noter que la victime n’a pas à prouver la faute de l’auteur du bruit, mais seulement le fait que ce bruit est anormal car dépassant, notamment par son intensité, un certain seuil de nuisances apprécié objectivement par l’expert judiciaire indépendamment des normes applicables.

En l’espèce, s’agissant de maisons adjacentes, l’existence du lien de voisinage ne posait aucun problème. Le débat portait sur l’existence des troubles invoqués par les demandeurs, et la preuve de leur intensité.

En droit français, la preuve étant libre, celle de l’anormalité du trouble peut être rapportée par tout moyen et notamment par des procès-verbaux de constat d’huissier ou des attestations de témoignage.

Cependant, dans le cadre d’une telle procédure concernant une source de bruit technique, un rapport d’expertise judiciaire revêt une force probante particulière.

C’est ce que vient rappeler ici la juridiction.

En effet, si, aux termes de l’article 246 du Code de procédure civile, « le juge n’est pas lié par les constatations ou conclusions du technicien », la force probante d’un tel rapport est indéniable.

En ce sens, la juridiction a indiqué que

« s’il est exact qu’un procès-verbal d’huissier fait foi jusqu’à inscription de faux, il n’en demeure pas moins que les mesures acoustiques faites par un huissier sont moins fiables que celles effectuées par un acousticien expert ».

C’est donc sur le seul fondement du rapport définitif d’expertise que le juge a considéré que

« les nuisances sonores anormales causées par les deux climatiseurs [dans] [le] jardin [des requérants] et sur leur terrasse en limite de propriété leur [causaient] indéniablement un préjudice de jouissance qu’il [convenait] d’évaluer à 15 000,00 euros ».

A l’inverse, le juge a écarté les procès-verbaux de constat d’huissier contraires aux constatations de l’Expert et sur la foi desquelles les demandeurs prétendaient (contredisant sur ces points le rapport d’expertise) que les travaux réparatoires entrepris par les défendeurs n’avaient pas mis fin au désordre acoustique immobilier et que le bruit était gênant à l’intérieur de leur maison.

Les voisins victimes des nuisances sonores ont cependant obtenu 15 000 euros de dommages et intérêts au titre de leur préjudice de jouissance lié au fonctionnement des climatiseurs, 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que la prise en charge de leurs frais d’expertise et autres dépens (dont 9 649,44 euros pour le seul rapport d’expertise).

B) Sur la responsabilité du vendeur.

La juridiction vient également rappeler ici le principe de la responsabilité du vendeur pour dol.

L’article 1116 du Code civil définit le dol comme des

« manœuvres pratiquées par l’une des parties [telles] que sans ces manœuvres l’autre partie n’aurait pas contracté ».

Deux conditions doivent ainsi être réunies afin de qualifier l’existence d’un dol : il doit porter sur une information essentielle et être intentionnel.

La jurisprudence entend par manœuvre toute action, mais aussi toute inaction qui vicie le consentement d’une partie : un mensonge par action ou par omission peut être ainsi assimilé à un dol [4].

C’est d’ailleurs ce que rappelle la juridiction en énonçant que

« selon la jurisprudence, le fait de s’abstenir volontairement de fournir une information constitue un dol à condition que la preuve soit rapportée que cette abstention procède d’une intention dolosive ».

En l’espèce, comme indiqué précédemment, les nouveaux propriétaires avaient, à titre subsidiaire, demandé à la juridiction de condamner les anciens propriétaires, vendeurs de la maison, à garantir des condamnations prononcées à leur encontre.

En effet, ils soutenaient que les équipements à l’origine des nuisances sonores avaient été installés par les anciens propriétaires.

Ici, la juridiction a examiné la condition relative au caractère intentionnel.

Plus précisément, elle a indiqué que, au regard de la présence de la pompe à chaleur et de celle des deux climatiseurs lors des visites, « il pouvait s’imaginer que ces installations étaient susceptibles de faire du bruit » et que « ce fait n’[avait] pu lui être dissimulé ».

Elle a également précisé que les anciens propriétaires n’avaient eu aucun différend avec les demandeurs concernant ces équipements et n’avaient donc aucune raison d’attirer l’attention des acquéreurs sur

« le fait [que les installations bruyantes] pouvaient causer de telles nuisances et être à l’origine d’un litige avec les demandeurs ».

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la juridiction a énoncé qu’aucun dol n’était caractérisé de la part des vendeurs ; seuls les propriétaires actuels des équipements litigieux ont été condamnés à indemniser leurs voisins des préjudices subis.

Conclusion.

Cette décision s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle des tribunaux civils qui, à la demande des riverains, font cesser et indemniser les nuisances sonores constitutives de troubles anormaux de voisinage.

Elle illustre l’importance de l’expertise judiciaire dans le cadre d’une telle procédure concernant des équipements techniques.

Le jugement vient expressément affirmer la force probante particulière d’un rapport d’expertise, par rapport notamment aux procès-verbaux de constat d’huissier que les demandeurs avaient également produits pour contredire en partie le rapport et compléter ses conclusions.

La question se posait également de la responsabilité du vendeur pour dol en matière de nuisances sonores, l’acquéreur des climatiseurs réversibles bruyants ayant appelé son vendeur en garantie.

En ce sens, le jugement analysé considère, même s’il ne fait pas application de ce principe à l’espèce, que, dans une vente immobilière, la dissimulation de troubles anormaux de voisinage peut constituer un dol justifiant une réduction du prix d’une vente.

Christophe Sanson,
Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine

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Notes de l'article:

[12ème Civ., 19 novembre 1986, Bull. 1986, II, n° 172, pourvoi n° 84-16.379 ; jurisprudence constante, voir également 3ème Civ., 13 avril 2005, Bull. 2005, III, n° 89, pourvoi n° 03-20.575.

[2Cass., 1ère ch. civ., 12 nov. 1985 : JCP 1986, IV, 40.

[3Cass. 2ème civ. 9 juill. 1997, M. Regnard, n° 96-10.109.

[4Civ. 3ème, 15 janv. 1971 : Bull. civ. III, n° 38.

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