Prise de la décision par le salarié.
Par une décision de principe en date du 25 juin 2003, la Cour de Cassation a jugé que :
« Attendu que lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission. » (Cass. Soc. 25 juin 2003 pourvoi n°01-42679)
Il ressort ainsi de cette décision, toujours confirmée depuis lors, que le salarié qui estime que l’employeur a gravement manqué à ses obligations contractuelles peut prendre acte de ce que son contrat de travail a été rompu à l’initiative de l’employeur, du fait desdits manquements.
A ce stade, il s’agit d’un « pari » pour le salarié puisque, au moment où il prend sa décision, rien ne garantit que le juge judiciaire qu’il doit saisir reconnaisse que sa décision est justifiée par l’attitude de l’employeur et qu’il ne s’agit pas d’une démission du salarié.
A compter de la prise d’acte du salarié, son contrat de travail est rompu de manière immédiate (Cass. Soc. 8 juin 2005 pourvoi n°03-43321 ; Cass. Soc. 4 juin 2008 pourvoi n°06-45757), étant précisé que ce dernier ne peut plus revenir sur sa décision (Cass. Soc. 14 octobre 2009 pourvoi n°08-42878 ; Cass. Soc. 30 juin 2010 pourvoi n°09-41456) et ne peut non plus demander à réintégrer l’entreprise (Cass. Soc. 29 mai 2013 pourvoi n°12-15974).
L’employeur ne peut, au stade de la prise d’acte du salarié, que constater que ce dernier a démissionné et, en conséquence, doit :
• remplir l’attestation Pôle Emploi en précisant qu’il s’agit d’une prise d’acte du salarié (Cass. Soc. 27 septembre 2006 pourvoi n°05-40414),
• donner au salarié son solde de tout compte et une attestation de travail (Cass. Soc. 4 juin 2008 pourvoi n°06-45757).
Procédure devant le juge judiciaire.
La loi n°2014-743 du 1er juillet 2014 relative à la procédure applicable devant le conseil de prud’hommes dans le cadre d’une prise d’acte de rupture du contrat de travail par le salarié a inséré un nouvel article L 1451-1 dans le code du travail qui dispose que :
« Lorsque le conseil de prud’hommes est saisi d’une demande de qualification de la rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié en raison de faits que celui-ci reproche à son employeur, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine. »
Le juge doit, au vu des éléments figurant dans la requête par laquelle le salarié l’a saisi, interpréter la prise d’acte de ce dernier soit comme étant une rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur (licenciement sans cause réelle et sérieuse), soit comme constituant une démission, étant précisé que la jurisprudence considère, à la différence d’une décision de licenciement, que le courrier de prise d’acte « ne fixe pas les limites du litige » (Cass. Soc. 25 juin 2005 pourvoi n°03-42804), seuls les motifs énoncés lors de sa saisine doivent être pris en compte.
Seul un manquement suffisamment grave et récent de l’employeur qui fait obstacle à la poursuite du contrat de travail peut justifier une véritable prise d’acte.
Seul « un manquement suffisamment grave » de l’employeur peut être de nature à justifier la prise d’acte du salarié, c’est-à-dire une faute de l’employeur qui « fait obstacle à la poursuite du contrat de travail » (Cass. Soc. 30 mars 2010 pourvoi n°08-44326).
Si les faits reprochés à l’employeur ne sont pas suffisamment graves pour avoir empêché la poursuite de la relation de travail, il s’agit d’une démission du salarié qui ne lui ouvre droit à aucune indemnité, étant précisé qu’en cas de doute la rupture produit les effets d’une démission (Cass. Soc. 19 décembre 2007 pourvoi n°06-44754).
Il a plus récemment été jugé que :
« (...) la prise d’acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ;
Et attendu que la cour d’appel, qui a retenu que les manquements de l’employeur étaient pour la plupart anciens, faisant ainsi ressortir qu’ils n’avaient pas empêché la poursuite du contrat de travail, a légalement justifié sa décision. » (Cass. Soc. 26 mars 2014 pourvoi n°12-23634).
Il ressort de cette décision, abondamment commentée par la doctrine [1], que seuls des manquements récents et suffisamment graves de l’employeur, c’est-à-dire des manquements qui ne permettent pas la poursuite de la relation de travail, peuvent justifier la prise d’acte du salarié.
Cette position a depuis lors toujours été maintenue par la Cour de Cassation qui a ainsi pu considérer qu’un manquement de l’employeur « ponctuel et isolé » (Cass. Soc. 24 septembre 2014 pourvoi n°13-18091) ou qui n’a duré que deux mois (Cass. Soc. 28 octobre 2014 pourvoi n°13-16821) n’était pas de nature à justifier une prise d’acte.
La Haute Juridiction a encore considéré que :
« (...) les griefs invoqués n’ont manifestement pendant de longues années pas été considérés comme un motif de rupture de la relation de travail, les deux intéressés s’en étant visiblement accommodés, faisant ainsi ressortir qu’ils n’étaient pas d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail » (Cass. Soc. 23 septembre 2014 pourvoi n°13-19900).
En conclusion, le salarié qui entend effectuer une prise d’acte doit être très prudent et bien établir, avant d’écrire à son employeur pour l’informer de sa décision, tant les torts de l’employeur que l’impact de ceux-ci sur la poursuite du contrat de travail.