La prescription administrative des travaux réalisés sans autorisation et l’article L421-9 du code de l’urbanisme.

Par Victor de Chanville, Avocat.

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Explorer : # prescription administrative # travaux sans autorisation # régularisation urbanistique # infraction pénale

En matière d’urbanisme, la réalisation de travaux sans autorisation est constitutive d’une infraction pénale.

Même si une telle infraction peut bénéficier de la prescription, ce qui empêche toutes poursuites à l’encontre du contrevenant et permet notamment d’éviter d’être condamné au paiement d’une amende pénale et à la remise en état des lieux sous astreinte, cela ne rend pas pour autant le bâtiment légal en considération des règles administratives et d’urbanisme applicables.

Une telle situation peut alors s’avérer pénalisante en cas de dépôt ultérieur d’un permis de construire puisqu’une régularisation d’ensemble est alors exigée.

-

Néanmoins, il existe certaines dispositions légales susceptibles d’atténuer ce principe, notamment celles de l’article L421-9 du Code de l’urbanisme instituant une prescription administrative au bout de 10 ans, à certaines conditions relativement restrictives toutefois.

I/ S’agissant de la caractérisation d’une infraction pénale en cas de réalisation de travaux sans autorisation.

En matière de travaux soumis à autorisation d’urbanisme mais réalisés sans avoir obtenu l’autorisation en question, l’article L480-4 du Code de l’urbanisme sanctionne : « le fait d’exécuter des travaux mentionnés aux articles L421-1 à L421-5 en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements ».

L’infraction en cause est constitutive d’un délit, dont la prescription est de six ans [1].

Autrement dit, lorsque 6 ans se sont écoulés depuis la réalisation de l’infraction sans que des poursuites ne soient intervenues, ou si en cours d’instruction, après que l’infraction a fait l’objet d’un procès verbal, aucun acte de poursuite ou de constatation de l’infraction n’intervient pendant six ans, l’auteur de l’infraction ne peut plus être inquiété.

Concrètement, la Cour de cassation estime de manière constante qu’il convient de déterminer le point de départ de la prescription « en recherchant la date à laquelle l’ouvrage était en état d’être affecté à l’usage auquel il était destiné » [2], la charge de la preuve pesant sur le ministère public [3].

II/ S’agissant de la situation du bâti illégal bénéficiant de la prescription de l’action publique.

Même si une infraction est prescrite au niveau pénale, cela n’a pas pour effet de régulariser au niveau administratif les travaux ou aménagements réalisés sans autorisation : le bâti concerné présente une existence physique mais pas d’existence juridique, ce qui peut poser des difficultés majeures en cas de dépôt ultérieur d’une demande d’autorisation d’urbanisme pour des travaux le concernant, et cela même si l’auteur de l’infraction ne peut plus être condamné pénalement à la démolition.

Ainsi, de manière constante, la jurisprudence administrative exige, pour pouvoir réaliser des travaux sur une construction irrégulière, la régularisation de l’ensemble de ladite construction.

En ce sens, le Conseil d’Etat a rappelé le principe par un arrêt du 6 octobre 2021 (n° 442182) :

« Lorsqu’une construction a été édifiée sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble du bâtiment.
De même, lorsqu’une construction a été édifiée sans respecter la déclaration préalable déposée ou le permis de construire obtenu ou a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé.
Il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation
 ».

Sont ainsi concernés par cette obligation de régularisation d’ensemble non seulement les travaux réalisés sans autorisation d’urbanisme alors que celle-ci était requise, mais également ceux réalisés en méconnaissance de l’autorisation délivrée (lesquels doivent également être analysés comme une infraction pénale s’ils impliquaient une autorisation).

La jurisprudence est sévère : cette régularisation d’ensemble est imposée même si les nouveaux travaux projetés ne prennent pas appui sur la partie illégale du bâtiment.

III/ S’agissant de la prescription administrative prévue par l’article L421-9 du Code de l’urbanisme.

Il existe néanmoins divers aménagements aux obligations de régularisation évoquées ci-avant, et notamment celui posé par l’article L421-9 (anciennement L 111-12) du code de l’urbanisme, lequel dispose que :

« Lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou la décision d’opposition à déclaration préalable ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme.
Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables :
1° Lorsque la construction est de nature, par sa situation, à exposer ses usagers ou des tiers à un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ;
2° Lorsqu’une action en démolition a été engagée dans les conditions prévues par l’article L480-13 ;
3° Lorsque la construction est située dans un parc national créé en application des articles L331-1 et suivants du code de l’environnement ou dans un site classé en application des articles L341-2 et suivants du même code ;
4° Lorsque la construction est située sur le domaine public ;
5° Lorsque la construction a été réalisée sans qu’aucun permis de construire n’ait été obtenu alors que celui-ci était requis ;
6° Dans les zones mentionnées au 1° du II de l’article L562-1 du Code de l’environnement ;
7° Lorsque la construction a été réalisée sans consignation de la somme prescrite par l’autorisation d’urbanisme ».

L’alinéa n° 5, relatif au jeu de la prescription administrative lorsque la construction a été réalisée sans qu’aucun permis de construire n’ait été obtenu alors que celui-ci était requis, paraît particulièrement intéressant, mais la jurisprudence a interprété cette disposition dans un sens restrictif qui réduit les possibilités d’en bénéficier.

La cour administrative d’appel de Marseille a récemment récapitulé la situation dans un arrêt du 19/01/2023 (n° 20MA03627) dont il résulte ce qui suit.

- Peuvent bénéficier de la prescription administrative définie par l’article L 421-9 du code de l’urbanisme les travaux réalisés, depuis plus de dix ans, lors de la construction primitive ou à l’occasion des modifications apportées à celle-ci, sous réserve qu’ils n’aient pas été réalisés sans permis de construire en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables.
A la différence des travaux réalisés depuis plus de dix ans sans permis de construire, alors que ce dernier était requis, peuvent bénéficier de cette prescription ceux réalisés sans déclaration préalable.

Ce point est fondamental : contrairement à ce que laisse à penser la rédaction de l’article L421-9 du code de l’urbanisme, les travaux réalisés sans permis de construire alors que celui-ci était exigible ne bénéficient pas de la prescription administrative ; en revanche, il est notable que les travaux réalisés sans déclaration préalable en bénéficient.

Les non-conformités mineures, à savoir les travaux réalisés sans respecter l’autorisation obtenue n’empêchent pas de bénéficier de la prescription administrative à partir du moment où ils n’étaient pas en tant que tels soumis à permis de construire.

Il appartient au pétitionnaire de démontrer la réalisation des travaux depuis plus de 10 ans, la preuve lui en incombant selon la jurisprudence.

- Lorsqu’une construction a été édifiée sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble du bâtiment.
 
De même, lorsqu’une construction a été édifiée sans respecter la déclaration préalable déposée ou le permis de construire obtenu ou a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé.
 
Il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l’édifice réalisée sans autorisation.
 
Dans l’hypothèse où l’autorité administrative est saisie d’une demande qui ne satisfait pas à cette exigence, elle doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l’ensemble des éléments devant être soumis à son autorisation. Cette invitation, qui a pour seul objet d’informer le pétitionnaire de la procédure à suivre s’il entend poursuivre son projet, n’a pas à précéder le refus que l’administration doit opposer à une demande portant sur les seuls nouveaux travaux envisagés.

Autrement dit, une régularisation d’ensemble - à savoir de l’ensemble des constructions ou parties de constructions illégales - est imposée, même si les travaux ne les concernent pas, le service instructeur de la commune sur le territoire de laquelle la demande d’autorisation d’urbanisme a été déposée doit être vigilant et inviter le pétitionnaire à procéder ainsi.

Cela rejoint la jurisprudence du Conseil d’Etat précédemment évoquée.

- Il appartient à l’autorité administrative, saisie d’une telle déclaration ou demande de permis, de statuer au vu de l’ensemble des pièces du dossier d’après les règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision.
 
Si elle doit tenir compte, le cas échéant, de l’application des dispositions de l’article L421-9 du Code de l’urbanisme qui prévoient la régularisation des travaux réalisés depuis plus de dix ans à l’occasion de la construction primitive ou des modifications apportées à celle-ci, sous réserve, notamment, que les travaux n’aient pas été réalisés sans permis de construire en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, c’est, en tout état de cause, à la condition qu’elle soit saisie d’une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble du bâtiment ou des éléments de celui-ci qui n’ont pas déjà été autorisés.
 
Dans l’hypothèse où les travaux ont été réalisés sans permis de construire, si l’ensemble des éléments de la construction mentionnés au point précédent ne peuvent être autorisés au regard des règles d’urbanisme en vigueur à la date de sa décision, l’autorité administrative a toutefois la faculté, lorsque les éléments de construction non autorisés antérieurement sont anciens et ne peuvent plus faire l’objet d’aucune action pénale ou civile, après avoir apprécié les différents intérêts publics et privés en présence au vu de cette demande, d’autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à la préservation de la construction et au respect des normes.

Ce dernier point apporte un peu de souplesse au principe assez rigide de l’obligation de régularisation d’ensemble mais, au regard de la jurisprudence (assez peu abondante sur la question au demeurant), les deux conditions cumulatives tenant à la préservation de la construction et au respect des normes sont appréciées de manière stricte et leur réalité doit être justifiée par le pétitionnaire qui espère pouvoir en bénéficier.

L’ancienneté de la construction concernée doit bien entendu être démontrée.

En conclusion, il n’est pas évident de faire évoluer un bâtiment illégalement édifié en totalité ou en partie, tout dépendant de la teneur exacte des travaux réalisés sans autorisation et, en conséquence, de l’autorisation requise à la date de leur réalisation. Cette date à prendre en considération n’est d’ailleurs pas négligeable puisque la réglementation a pu depuis évoluer.

Un aménagement a été prévu par la jurisprudence - travaux anciens ne pouvant plus faire l’objet d’une action pénale ou civile et projet tenant à la préservation de la construction et au respect des normes - mais il n’est pas fréquemment invocable.

Il est toutefois permis d’imaginer que d’autres possibilités interviendront dans le futur afin de permettre la réalisation de travaux sur le bâti illégal assez conséquent situé en zones non constructibles aux documents d’urbanisme, en particulier en zones naturelles et agricoles, mais cela reste hypothétique.

Par conséquent, même si normalement entre le devoir d’information du vendeur et le devoir de conseil du notaire l’acquéreur d’un bien immobilier est protégé, il convient de se montrer vigilant lors de l’acquisition d’un bien.

Victor de Chanville
Avocat au Barreau de Marseille
https://www.dechanville-avocat.fr/
www.dechanville-avocat.fr

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Notes de l'article:

[1Article 8 du Code de procédure pénale : « L’action publique des délits se prescrit par six années révolues à compter du jour où l’infraction a été commise ».

[2Ce principe ayant encore été rappelé relativement récemment dans une décision du 25 juin 2019, n° 18-83.843.

[3La cour de cassation l’ayant rappelé ici aussi par une décision du 10 septembre 2019, n° 18-80.373 : « il appartient aux juges du fond, sur la preuve que leur en apporte le ministère public, de s’assurer du moment où les délits ont été consommés pour fixer le point de départ de la prescription ».

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  • Bonjour

    Pour compléter mon commentaire précédent, il aurait souhaitable également d’informer les services instructeurs de la jurisprudence qu’il leur appartient de :
    "statuer au vu de l’ensemble des pièces du dossier, en tenant compte, le cas échéant, de l’application des dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme issues de la loi du 13 juillet 2006 emportant régularisation des travaux réalisés depuis plus de dix ans"
    conformément à l’arrêt du Conseil d’Etat du 13/12/2013 n° 349081, publiée au recueil Lebon.

    Bien cordialement

  • par FERTIL , Le 16 janvier à 15:23

    Bonjour,

    Je trouve regrettable que le texte suivant :

    "De même, lorsqu’une construction a été édifiée sans respecter la déclaration préalable déposée ou le permis de construire obtenu ou a fait l’objet de transformations sans les autorisations d’urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé.",

    cité au paragraphe II/ traitant de la prescription de l’action publique, soit cité à nouveau au paragraphe III/ traitant de la prescription administrative prévue par l’article L421-9 du Code de l’urbanisme.

    Il est vrai qu’il apparait également au point 7 de l’arrêt de la cour administrative d’appel de marseille du 19/01/2023 (n° 20MA03627) mais la prescription administrative y figure au point 6 et n’y est donc pas directement associée.

    En citant à nouveau ce texte au paragraphe III/, tout laisse à penser que "lorsqu’une construction a été édifiée sans respecter ... le permis de construire obtenu ... il appartient au propriétaire qui envisage d’y faire de nouveaux travaux de présenter une demande d’autorisation d’urbanisme portant sur l’ensemble des éléments de la construction ..."

    Ceci est en totale contradiction avec l’esprit même de l’article L. 421-9 qui prescrit les travaux réalisés avec un permis de construire et surtout avec des non conformités car, en leur absence, la prescription décennale est inutile.
    Bien entendu, ces non conformités doivent rester "raisonnables".

    Dans mon analyse des 170 jugements récents des tribunaux adminitratifs et des cours administratives d’appel mentionnant l’article L. 421-9 du code de l’urbanisme, je n’ai trouvé aucun jugement qui refuse la prescription décennale en raison de travaux non conformes non régularisés.

    Par contre, au niveau de services instructeur de commune, je peux vous confirmer qu’il y a bien des déclarations préalables et des permis de construire pouvant bénéficier de la prescription décénnale qui sont refusées au prétexte que leur demande ne régularise pas les travaux non conformes.

    C’est pour éviter celà qu’il me semble nécessaire de clarifier cet article.

    Bien cordialement

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