Par une décision du 5 mars 2018, le Conseil d’Etat a repris la solution rendue le 18 janvier 2018 par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) dans l’arrêt Jahin. Nouvelle pierre à l’édifice du contentieux des prélèvements sociaux des non-résidents, cette décision (CE, 5 mars 2018, n°400329) écarte l’exonération de ces prélèvements aux personnes non affiliées à un régime de sécurité sociale au sein d’un État membre de l’Union Européenne ou de Suisse.
Elle permet ainsi de revenir sur l’historique du contentieux lié aux prélèvements sociaux des non-résidents et de faire le point sur le droit positif en la matière.
I. Le contentieux lié aux prélèvements sociaux des non-résidents : un sujet d’actualité depuis 2012
A la suite de l’élection présidentielle de 2012, le législateur français avait soumis les revenus du capital (plus-values immobilières et sur valeurs mobilières notamment) des non-résidents aux prélèvements sociaux (CSG, CRDS, prélèvement social et autres, pour un total à l’époque de 15,5%).
Cette innovation législative avait nourri un contentieux de masse, les contribuables non-résidents arguant principalement du fait que ces prélèvements avaient pour objet le financement du système de sécurité sociale français dont ils ne bénéficiaient pas.
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), saisie d’une question préjudicielle par le Conseil d’État avait précisé que dans le cadre du règlement européen sur la sécurité sociale, les résidents membres de l’UE et de Suisse (qui est liée à l’UE par un accord spécifique sur ce point) ne pouvaient être assujettis qu’à une seule législation et donc, n’être amenés à financer qu’un seul système de sécurité sociale (CJUE, 26 février 2015, C 623/13).
Tirant les conclusions de l’arrêt de la CJUE, le Conseil d’État a jugé dans une décision du 27 juillet 2015 que l’assujettissement des non-résidents membres de l’UE et Suisses à la CSG et la CRDS étaient non conforme au droit de l’UE (CE, 27 juillet 2015, n°334551). Cette décision a conduit un grand nombre de contribuables ayant supporté ces prélèvements à en réclamer le remboursement.
Restait néanmoins la question de l’applicabilité de la solution aux non-résidents non affiliés à un régime de sécurité sociale d’un État membre de l’UE ou de Suisse. C’est cette question qui vient d’être tranchée par le Conseil d’État le 5 mars 2018.
II. Être non-résident et non affilié au sein de l’Union : mauvaise pioche
Des ressortissants français habitant à Monaco contestaient leur imposition au titre des prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine, auxquels ils avaient soumis au titre des années 2007 et 2008.
La question de la résidence fiscale en France des époux ne nous intéresse pas au cas particulier, dès lors que les demandeurs au pourvoi étaient affiliés à la Sécurité sociale à Monaco (donc, hors de l’Union) et non en France.
Le cas d’espèce permettait donc au Conseil d’État de trancher la question qui restait en suspens : le législateur français peut-il faire supporter le financement de la Sécurité sociale française à des personnes n’en bénéficient pas ?
Au cas présent, le Conseil d’État n’a pas eu besoin de faire preuve d’inventivité pour juger que :
- le règlement européen de sécurité sociale ne s’appliquait qu’aux personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État membre de l’UE ou de la Suisse et qui en sont ressortissants ;
- la différence de traitement observée entre les personnes affiliées à un régime de sécurité sociale d’un État tiers et celles affiliées à celui d’un État membre ou de la Suisse était justifiée par la différence de situation objective existant entre ces personnes.
- et donc que les demandeurs au pourvoi n’étaient pas fondés à demander la décharge des prélèvements concernés.
En effet, la CJUE avait déjà jugé que la différence de traitement opérée entre les non-résidents selon qu’ils soient ou non affiliés à un régime de sécurité sociale d’un État membre de l’UE ou de la Suisse était conforme au droit de l’UE (CJUE, C 45/17 du 18 janvier 2018, Jahin).
Si cette décision du 5 mars 2018 semble clore en France le chapitre du contentieux lié aux prélèvements sociaux selon le régime créé en 2012, on peut toutefois s’attendre à ce que l’assujettissement des non-résidents aux prélèvements sociaux continue de susciter le débat (et le contentieux !).
III. Régime actuel des prélèvements sociaux sur les non-résidents : contentieux en vue !
On l’a vu, le droit de l’Union Européenne prohibe que des résidents de l’Union soient assujettis à plus d’un système de sécurité sociale.
C’est pourquoi dès 2016 le législateur français a souhaité couper tout lien entre les prélèvements effectués sur les plus-values réalisées par les non-résidents et le système de sécurité sociale français.
Ainsi, l’article 24 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a modifié l’affectation budgétaire des prélèvements sociaux sur les revenus du capital. Le législateur a considéré que ne relevaient du système de sécurité sociale que les prestations directement financées par les cotisations versées par les redevables (on retrouve ici le critère de distinction existant entre le système de sécurité sociale - financé par des cotisations individualisées - et le système d’assistance sociale - financé de façon globale par l’impôt -).
Il a donc été décidé par le Parlement de ne plus affecter le produit des prélèvements sur les plus-values à des organismes chargés de verser des prestations considérées par le législateur comme directement financées par des cotisations.
Ainsi :
- la CSG est désormais affectée au Fonds de solidarité vieillesse (FSV) et à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) ;
- la CRDS est affectée à la CADES ;
- le prélèvement social est affecté au FSV et à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) ;
- la contribution de 0,3% est affectée à la CNSA ;
- le prélèvement de solidarité est affecté au FSV.
Pour un montant total de prélèvements de 17,20% à ce jour, la CSG ayant été augmentée de 1,7 points par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.
Les choix d’affectation réalisés par le législateur permettent néanmoins de s’interroger sur l’effectivité de la séparation entre système de sécurité sociale et système d’assistance sociale. Donc, par ricochet, sur la conformité du dispositif actuel avec le droit de l’Union.
En effet, au-delà du caractère contributif ou non des prestations financées par les organismes bénéficiaires, la CJUE semble avoir comme critère de distinction entre les différents prélèvements leur caractère de prélèvement à caractère fiscal ou à caractère social. Cette distinction pousse le niveau de finesse de l’interprétation un peu plus loin que la position qu’a adopté le législateur en 2016.
Ainsi, et par exemple, la CADES (désormais financée par une fraction de CSG et la CRDS) ne verse effectivement pas de prestations à des personnes physiques, puisqu’elle a pour objet le remboursement de la dette sociale : dès lors, on ne peut pas considérer qu’elle verse des prestations à caractère contributif, ce qui était l’objectif affiché par le législateur.
Néanmoins, on sait depuis l’arrêt C-34/98 du 15 février 2000 rendu par la CJUE que les sommes perçues par la CADES servant au remboursement de la dette sociale et donc au financement de la sécurité sociale, elles entrent dans le champ du règlement européen de sécurité sociale.
Ainsi, la soumission de non-résidents membres de l’UE ou Suisses au financement de la CADES via la CSG et la CRDS ne semble pas respecter pas le principe d’unicité de législation prévu par le règlement européen.
On peut dès lors considérer que les non-résidents membres de l’UE ou Suisses seraient fondés à ne pas supporter ces prélèvements.
Conclusion
Eu égard aux montants concernés, il est probable que la question de la conformité du nouveau dispositif au droit de l’Union sera un jour posée devant les juridictions nationales et européennes.
Ces éléments de réflexion devront être pris en compte dans le débat politique actuel sur les modalités de financement de la protection sociale puisque le Président de la République a fait savoir qu’il avait pour objectif d’accroître le financement de la protection sociale par l’impôt au détriment des cotisations sociales.
En tout cas, le contentieux portant sur le régime créé en 2012 arrive à son terme. Il devrait désormais faire place aux critiques du régime datant de 2016.
« Repetition ». Comme un air de David Bowie.
Discussions en cours :
L extraterritorialite de la legislation fiscale et sociale n existe pas en droit public
Cher Maître,
Merci beaucoup pour cette analyse.
Le contentieux est loin d’être terminé.
D’une part, pour les résidents États tiers,
la question reste ouverte de la contrariété aux conventions bilatérales de sécurité sociale, portant coordination des législations de sécurité sociale entre la France et les pays tiers.
D’autre part. pour les résidents États membres,
la Commission européenne a lancé une procédure d’infraction 2013/4168 à l’encontre de la France.
La Commission européenne confirma en janvier denier que, sur la nouvelle allocation des contributions françaises à partir du 1er janvier 2016, la procédure d’infraction contre la France concernant le prélèvement de ces cotisations est toujours ouverte.
En effet :
Les recettes du FSV concourent au financement des régimes obligatoires de base de sécurité sociale -Annexe C, LFSS 2016 2017 2018 ;
Par la reprise de dettes 2016, les recettes de la CADES financent les déficits du régime général -Arrêté 14 sept. 2016, Décret n° 2016-110 ;
La recette de la CNSA, art. L.14-10-4 code de l’action sociale et des familles, relève du champ du règlement n° 1408/71 -CJUE, arrêt C-623/13, point 8.
La Cour de justice de l’Union européenne, dans sa jurisprudence constante, porte son fondement juridique sur le critère déterminant de l’affectation d’une contribution au financement d’un régime de sécurité sociale.
L’existence ou l’absence de contrepartie de prestations -arrêt C-623/13, point 26 ;
La circonstance d’allocation du FSV non contributive -art 3, règlement n° 883/2004.
Est inopérante :
Enfin, il sera relevé la jurisprudence des juges du fond, au regard de l’article 24 LFSS 2016.
Ainsi, le tribunal administratif de Strasbourg a jugé que des affiliés à la sécurité sociale en Suisse, sont fondés à demander la décharge de la contribution sociale généralisée, de la contribution au remboursement de la dette sociale, du prélèvement social, de la contribution additionnelle au prélèvement social et du prélèvement de solidarité, mis en recouvrement en octobre 2016.
(TA Strasbourg, 11 juillet 2017, n° 1700440)
Cher Monsieur,
Merci pour votre réponse qui permet d’enrichir l’analyse.
Concernant les conventions bilatérales de sécurité sociale, je partage votre avis qu’elles permettront de poursuivre un contentieux qui n’est donc pas tout à fait terminé pour les assujettis affiliés à un régime de sécurité sociale au sein d’un pays tiers ayant conclu avec la France une telle convention (ce qui n’est pas le cas de tous les pays).
Le contentieux ne sera donc pas aussi massif qu’il aurait pu l’être si les arguments qui avaient été développés dans les affaire présentées avaient emporté l’adhésion de la CJUE et du Conseil d’Etat.
Sur le FSV, vous indiquez que les recettes du FSV concourent au financement des régimes obligatoires de base de sécurité sociale. On peut s’attendre à ce que l’administration fiscale conteste cette position : en 2016 le législateur a souhaité scinder en deux sections étanches les comptes du FSV entre contributions contributives et non contributives (et peut-être en pratique, entre système de sécurité sociale et système d’assistance sociale). A titre d’exemple, le FSV finance l’allocation de solidarité aux personnes âgées : on peut s’interroger sur la nature exacte de cette allocation (on voit notamment qu’elle dépend de la situation individuelle des bénéficiaires et qu’elle peut être versés sans aucune condition de cotisation préalable, ce qui la fait ressembler à une allocation d’assistance sociale).
Comme je l’indiquais, les débats ne sont donc pas terminés. Le jugement de Strasbourg du 11 juillet 2017 est une première pierre dans le camp de ceux qui entendent contester la conformité du nouveau régime au droit Européen. Il semble toutefois que le gouvernement ait interjeté appel de ce jugement. Affaire à suivre, donc !
Cordialement,
PS : les élèves avocats doivent passer (et réussir !) le CAPA avant de pouvoir prêter serment et enfiler la robe ;)
Cher Monsieur,
Merci beaucoup pour votre message.
(mea culpa sur le statut d’élève-avocat)
S’agissant de la réaffectation FSV non-contributive, l’Administration conteste en effet la position et le moyen sur le financement des régimes.
Mais les faits sont têtus et les dispositions des LFSS limpides.
Ainsi, comme le souligne le rapport d’activité 2016 du FSV, une instruction de la Direction de la Sécurité Sociale du 16 septembre 2016 a prévu que les sommes reversées par le Trésor public à l’ACOSS d’une part, le 23 septembre 2016 au titre des prélèvements sur les revenus du patrimoine et, d’autre part, entre le 18 et 27 octobre 2016, pour les prélèvements sur les revenus des placements, soient directement attribuées à la CNAV.
Et la Cour des comptes, dans son rapport la sécurité sociale 2016, d’affirmer que l’évolution intégrant une rubrique relative au FSV au sein du tableau d’équilibre du régime général et de celui de l’ensemble des régimes de base de sécurité sociale « reconnaît le caractère indissociable du FSV par rapport au régime général et aux autres régimes dont il finance les branches vieillesse ».
S’agissant de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, il convient de noter que cette allocation est listée à l’Annexe X du règlement n° 883/2004 et relève de son champ d’application aux termes de l’article 70 dudit règlement.
L’Administration a en effet interjeté appel du jugement de Strasbourg. A suivre de près.
Bien cordialement.
Cher Monsieur,
La CAA de Nancy, n° 17NC02124 du 31 mai 2018, rejette le recours de l’Administration,
(cons. 20) les contributions sociales et les prélèvements sociaux affectés au FSV, entrent dans le champ du règlement n° 883/2004 et sont donc régis par le principe d’unicité de la législation applicable posé par l’article 11 dudit règlement ;
et confirme :
Renvoi préjudiciel CJUE sur la question portant sur la CNSA :
" Les prélèvements affectés à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui contribuent au financement des prestations litigieuses susmentionnées, présentent-ils un lien direct et suffisamment pertinent avec certaines branches de la sécurité sociale énumérées à l’article 3 du règlement (CE) n° 883/2004 et entrent-ils par suite dans le champ d’application de ce règlement du seul fait que ces prestations se rapportent à l’un des risques énumérés audit article 3 et sont octroyées en dehors de toute appréciation discrétionnaire sur la base d’une situation légalement définie ’ ".
A suivre de près.
Bien cordialement.
Bonjour,
Le 7 juin 2018, la CAA de Nancy a effectivement déposé devant la CJUE la question préjudicielle suivante (Affaire C-372/18) :
"Les prélèvements affectés à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui contribuent au financement des prestations litigieuses, présentent-ils un lien direct et suffisamment pertinent avec certaines branches de la sécurité sociale énumérées à l’article 3 du règlement (CE) no 883/2004 et entrent-ils par suite dans le champ d’application de ce règlement du seul fait que ces prestations se rapportent à l’un des risques énumérés audit article 3 et sont octroyées en dehors de toute appréciation discrétionnaire sur la base d’une situation légalement définie ?"
Sachant que les prestations litigieuses sont l’APA (Allocation Personnalisée d’Autonomie) et la PCH (Prestation Compensatoire d’Handicap)
Cordialement,
Bonjour,
A noter que l’Administration ne tient pas compte de l’arrêt Dreyer, CAA Nancy.
Position formelle DDFiP au 2 octobre 2018 (rescrit) : "La législation française ayant ainsi été mise en conformité avec le droit de l’Union européenne tel qu’interprété par la CJUE, les revenus du patrimoine d’une personne affiliée à un régime de sécurité sociale d’un autre Etat membre de l’Union Européenne ou de l’Espace Economique Européen sont soumis aux prélèvements sociaux.
En conséquence, bien qu’affilié au régime de sécurité social de (...), vous ne pouvez donc pas bénéficier de l’exonération des prélèvements sociaux selon la jurisprudence De Ruyter".
Bien cordialement.
Bonjour,
Saisie d’une question préjudicielle [n° 17NC02124, CAA Nancy], la Cour de justice de l’Union européenne, par l’arrêt Dreyer (aff. C-372/18) du 14 mars 2019, a dit pour droit :
« L’article 3 du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens que des prestations, telles que l’allocation personnalisée d’autonomie et la prestation compensatoire du handicap, doivent, aux fins de leur qualification de « prestations de sécurité sociale » au sens de cette disposition, être considérées comme étant octroyées en dehors de toute appréciation individuelle des besoins personnels du bénéficiaire, dès lors que les ressources de ce dernier sont prises en compte aux seules fins du calcul du montant effectif de ces prestations sur la base de critères objectifs et légalement définis ».
Il s’ensuit que de telles prestations de sécurité sociale entrent dans le champ d’application du règlement (CE) n° 883/2004, et, par conséquent, les impositions qui les financent.
Dès lors, ces impositions affectées à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), qui entrent dans le champ du règlement (CE) n° 883/2004, sont soumises au respect du principe d’unicité de la législation applicable posé par l’article 11 dudit règlement.
Bien cordialement.
Bonjour
Je suis parti vivre chez mon fils suisse depuis 2011 car avec ma petite retraite française depuis 2006 je faisais que survivre ....a la limite du sociale ..j’ai donc loué mon F2 qui me rapporte peu 4000 € quand les locataires payent sans détruire les lieux mais les impôts me prélève dessus 20% + 17,2% de CSG soit 37,2 % ,cotisant sur mes retraites ma protection sociale .
Ce petit revenus foncier me permet une vie décente car avec 850€ de retraite et 200€ mensuel de complémentaire maladie pour 2 part ... c’est pas le paradis mais pourtant permet de contribuer à la consommation principalement en France voisine qui est prétendu le baromètre de la prospérité mais si sa continue il y aura plus rien ?
Cette politique permissives permet pour des soit disant inaccessibles de s’enrichirent plus au détriment de tout les sédentaires plus vulnérables
Cdt