Paiement direct du sous-traitant : chronologie de la demande et nature des sommes sollicitées.

Par Cécile Lavisse, Avocat.

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CE 2 décembre 2019, req. n° 425204

Par un arrêt du 2 décembre 2019, le Conseil d’Etat a précisé les modalités de mise en oeuvre de la procédure de paiement direct en ce qui concerne son articulation avec la procédure de règlement des comptes du marché principal. La portée de l’arrêt dépasse également cette problématique, et il est également possible d’en tirer un éclairage sur la nature des sommes à intégrer dans la demande de paiement direct.

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La procédure du paiement direct des sous-traitants applicable en matière de marchés publics est fixée par les dispositions combinées de la loi n° 75-1134 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et du Code de la commande publique [1]. Sa finalité consiste à protéger le sous-traitant d’une éventuelle défaillance de l’entrepreneur principal, en lui permettant d’être rémunéré directement par le maître d’ouvrage pour les travaux sous-traités.

Par un arrêt du 2 décembre 2019, n° 425204, le Conseil d’Etat a précisé l’articulation de cette procédure avec celle de règlement des comptes du marché principal. L’arrêt apporte également un éclairage sur les sommes pouvant être sollicitées au titre du paiement direct.

Dans l’affaire commentée, le département de la Haute-Savoie a confié à une société la réalisation d’une galerie de paravalanche par un marché public de travaux conclu le 13 juillet 1997. Une partie des travaux a été sous-traitée. L’entreprise titulaire a transmis son projet de décompte général de l’ensemble des travaux compris dans son lot, en y incluant les travaux sous-traités, mais également les demandes des sous-traitants relatives aux surcoûts au titre de l’allongement de la durée du chantier et les demandes de rémunération de travaux supplémentaires. Le département a établi le décompte général en excluant l’indemnisation sollicitée.

S’en est suivie une première procédure contentieuse. La société titulaire a contesté le décompte devant le Tribunal administratif qui a condamné le département à l’indemniser au titre des travaux supplémentaires qu’elle avait elle-même réalisés, et a rejeté les demandes au titre des travaux sous-traités. L’entreprise a interjeté appel de ce jugement, appel qui a été rejeté, après quoi le liquidateur de son sous-traitant s’est pourvu en cassation et a lui-même été débouté, faute d’avoir la qualité de partie à l’instance.

Parallèlement à cette instance, le liquidateur judiciaire de la société sous-traitante a adressé une demande de paiement direct au maître d’ouvrage en décembre 2013, plusieurs années après le règlement des comptes, et saisi le Tribunal administratif d’une demande tendant à ce que le département soit condamné, sur le fondement du paiement direct, à l’indemniser de préjudices résultant du déroulement du chantier, ainsi que de travaux supplémentaires. Cette demande a été rejetée en première instance, puis en appel par la Cour administrative d’appel de Lyon, après quoi le liquidateur s’est pourvu en cassation pour le compte du sous-traitant.

Le Conseil d’Etat devait répondre à la question de savoir si la demande de paiement direct, intégrant les sommes au titre des préjudices résultant du déroulement du chantier, bien qu’intervenue après notification du décompte général non définitif en raison d’un litige, est recevable.

I- Paiement direct du sous-traitant : quelle chronologie par rapport au règlement des comptes du marché principal ?

La procédure de paiement direct permet aux sous-traitants acceptés, et dont les conditions de paiement ont été agréées par le maître de l’ouvrage de solliciter directement le paiement de leurs prestations auprès de ce dernier, à la condition que le montant du contrat de sous-traitance soit égal ou supérieur à 600 euros TTC.

Le sous-traitant doit, pour ce faire, respecter le formalisme prévu par la loi n° 75-1134 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et le code de la commande publique :
- Il doit d’abord adresser sa demande de paiement libellée au nom du pouvoir adjudicateur au titulaire du marché par lettre recommandée avec accusé de réception ou la remettre en main propre contre récépissé, accompagnée de pièces justificatives. Lorsque le sous-traitant utilise le portail de facturation Chorus, prévu à l’article 2 de l’ordonnance n° 2014-697 du 26 juin 2014, il y dépose sa demande de paiement sans autre formalité.
- En parallèle, le sous-traitant doit également adresser au maître d’ouvrage la demande de paiement qu’il a notifiée à l’entreprise titulaire avec les pièces justificatives et l’accusé réception ou le récépissé attestant que le titulaire a bien reçu la demande ou l’avis postal attestant que le pli a été refusé ou non réclamé.
- Il appartient à réception au maître d’ouvrage d’envoyer sans délai la demande de paiement qui lui a été faite au titulaire du marché accompagnée des pièces justificatives. Il doit ensuite informer le titulaire du paiement direct du sous-traitant auquel il a procédé pour les prestations exécutées par ce dernier.
- Le titulaire dispose quant à lui d’un délai de quinze jours pour contrôler la demande et les pièces justificatives, et notifier son refus motivé ou son acceptation. Passé ce délai, il est réputé avoir accepté la demande de paiement et le maître d’ouvrage peut procéder au paiement direct.

En pratique, il est très fréquent que ce formalisme ne soit pas respecté, et que l’entreprise principale procède directement au règlement de ses sous-traitants. Le sous-traitant conserve néanmoins son droit à paiement direct, mais les sommes versées viennent alors en déduction de celles restant à devoir au titre des travaux sous-traités [2].

Dans ce cas, le sous-traitant doit faire preuve d’une vigilance renforcée et d’une grande réactivité s’il n’a pas été réglé de toutes ses prestations après achèvement des travaux et entend bénéficier du paiement direct par le maître de l’ouvrage.

En premier lieu, il doit veiller à respecter scrupuleusement le formalisme fixé par les textes législatifs et réglementaires, sous peine de voir sa demande rejetée :
- une demande de paiement adressée directement au maître d’ouvrage, sans justification de ce que l’entreprise titulaire du marché a bien été saisie au préalable, ne saurait être recevable [3].
- une demande qui n’est pas adressée en parallèle au maître d’ouvrage, ou sans les pièces justificatives n’est pas recevable [4].

Enfin, le sous-traitant doit encore avoir adressé sa demande « en temps utile » au maître de l’ouvrage.

Précisant cette notion de "temps utile" dans son arrêt du 2 décembre 2019, le Conseil d’Etat a considéré qu’« une demande adressée après la notification du décompte général du marché au titulaire de celui-ci ne peut être regardée comme ayant été adressée en temps utile ».

Les juges du Palais Royal ont déjà eu l’occasion de juger « qu’une demande adressée avant l’établissement du décompte général et définitif du marché doit être regardée comme effectuée en temps utile » [5]. La décision commentée est cependant singulière.

Pour rappel, dans cette affaire, l’entreprise principale avait non seulement réglé directement son sous-traitant, mais également intégré dans son projet de décompte final les sommes réclamées par ce dernier en fin de marché.

De plus, un litige entre le titulaire du marché et le maître d’ouvrage portant sur le décompte empêchait celui-ci de revêtir un caractère définitif à la date de la demande de paiement direct.

Il en découle que le sous-traitant doit formaliser sa demande de paiement direct dès l’achèvement de ses travaux, au risque de la voir ultérieurement rejetée comme tardive, et ce, y compris dans l’hypothèse où l’entreprise principale aurait intégré ses demandes dans son projet de décompte.

Une telle célérité s’impose dès lors que, n’étant pas partie au contrat principal, le sous-traitant n’est pas obligatoirement tenu informé de l’état d’avancement de la procédure de règlement des comptes du marché, et ne dispose d’aucune maîtrise sur sa mise en œuvre.

Le maître d’ouvrage doit quant à lui veiller à ne pas régler l’entreprise titulaire du marché des prestations sous-traitées avant la notification du décompte, sauf à s’être assuré que le sous-traitant a été réglé des travaux qu’il a réalisés. Dans le cas contraire, il pourrait être condamné à verser à nouveau au sous-traitant le montant des prestations réalisées par ce dernier [6].

En l’absence de demande de paiement direct du sous-traitant à la date à laquelle il notifie le décompte général, l’acheteur public n’aura pas à se soucier d’une éventuelle créance du sous-traitant.

Le sous-traitant ne saurait, en ce qui le concerne, se contenter des démarches entreprises pour son compte par le titulaire dans le cadre du règlement des comptes du marché principal.

II- Paiement direct quelles sommes doivent être sollicitées dans le cadre de la demande ?

L’arrêt commenté apporte également un éclairage sur la nature des sommes pouvant être sollicitée par le sous-traitant dans le cadre du paiement direct.

Il est admis classiquement qu’il puisse demander le règlement :
- des prestations qu’il a exécutées au titre de son contrat et qui sont mentionnées et chiffrées dans l’acte spécial de sous-traitance, sous réserve du pouvoir de contrôle dont dispose le titulaire et le maître de l’ouvrage à ce titre [7].
- des travaux supplémentaires réalisés qui ont été indispensables à la réalisation de l’ouvrage, mais également, des dépenses résultant de sujétions techniques imprévues qui ont bouleversé l’économie générale du contrat (le bouleversement étant apprécié au regard du montant du marché principal), et ce, dans les mêmes conditions que pour les prestations mentionnées dans l’acte spécial de sous-traitance [8].

En l’espèce, le sous-traitant avait intégré à sa demande, outre la rémunération des prestations supplémentaires indispensables exécutées, la réparation des préjudices ayant résulté du déroulement du chantier (notamment, les changements dans l’importance des diverses natures d’ouvrage et l’allongement de la durée du chantier).

Une telle demande d’indemnisation ne constitue pourtant pas la contrepartie directe de travaux exécutés par le sous-traitant, mais correspond à l’indemnisation des préjudices causés par une ou des fautes imputables à la personne publique et engageant la responsabilité quasi-délictuelle de cette dernière, faute de relation contractuelle entre elle et le sous-traitant.

L’arrêt commenté ne permet pas de déterminer le caractère fondé ou non de cette demande, la demande de paiement direct ayant été considérée comme tardive et rejetée à ce titre.

Il est donc prudent de considérer que toute demande indemnitaire du sous-traitant à l’encontre du maître d’ouvrage doit être intégrée dans la demande de paiement direct, et adressée avant la notification du décompte général au titulaire du marché.

Une telle solution a du sens : le titulaire du marché et le maître de l’ouvrage pourront ainsi prendre en compte et intégrer les demandes du sous-traitant dans le décompte du marché, avant que le décompte général ne soit devenu intangible et définitif.

Cependant, la responsabilité du maître de l’ouvrage, qu’elle soit contractuelle à l’égard du titulaire du marché ou quasi-délictuelle à l’égard du sous-traitant, ne saurait être engagée et donner lieu à indemnisation, à défaut de démonstration d’une faute commise par l’acheteur public.

Depuis l’arrêt du Conseil d’Etat du 6 juin 2013, Région Haute Normandie, le maître de l’ouvrage ne joue plus le rôle de « guichet unique » [9].

Le sous-traitant ne saurait donc valablement intégrer à sa demande de paiement direct des indemnités en réparation de préjudices relevant de la responsabilité d’autres intervenants au chantier, sous peine de voir celles-ci écartées. Il lui appartiendra, le cas échéant, de se retourner contre les intervenants concernés, à défaut de faute commise par le maître de l’ouvrage.

Cécile Lavisse, Avocat au Barreau de Lyon.
c.lavisse.avocat chez gmail.com

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[1Articles L.2193-10 et suivants et R. 2193-10 et suivants (marchés publics classiques).

[2CE 23 mai 2011, n° 338780.

[3CE 19 avril 2017,n°396174.

[4CAA de Versailles, 1er juin 2011, Société JCI, req. n° 09VE01379 ; CE 5 octobre 2007, req n°268494.

[5CE 3 juin 2005, société Jacqmin, req. n° 275061, CE 23 octobre 2017, société Colas Ile-de-France, n°410235.

[6CE, 23 oct. 2017, n° 410235.

[7CE 28 avril 2000, req. n°181604 ; CE 9 juin 2017, req. n°396358.

[8CE 13 février 1987, Société Ponticelli Frères, req.n° 67314 ; CE 24 juin 2002, Département de la Seine-Maritime, req. n° 240271 ; CE 3 mars 2010, Société Presspali, req. n° 304604 ; CE 24 juin 2002, Département de la Seine-Maritime, req. n° 240271 ; CE 1er juillet 2015, Régie des eaux du canal de Belletrud, req. n° 383613.

[9CE 5 juin 2013, req n° 352917, Région Haute-Normandie, précité ; CE 12 novembre 2015, req n° 384716, Société Tonin ; CE 6 janvier 2016, Eiffage Construction, req. n° 383245.

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