Ordonnances Macron et prescription : qu’est-ce qui change pour les salariés et cadres ?

Par Frédéric Chhum et Camille Bonhoure, Avocats.

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Explorer : # prescription # licenciement # rupture du contrat de travail # ordonnances macron

L’article 6 de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 modifie le délai de prescription pour les demandes portant sur la rupture du contrat de travail, passant ainsi d’un délai de 24 mois à 12 mois.
Depuis 2008, le législateur s’emploie à réduire les délais de prescription applicables en droit du travail.

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Ainsi, alors que la prescription de l’action en justice était de 30 ans avant 2008, la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 avait drastiquement réduit les délais, les fixant à 5 ans quelles que soient les demandes (rupture du contrat de travail, rappels de salaire, discrimination, harcèlement etc.).

La loi n°2013-504 du 14 juin 2013 a poursuivi ce travail de réduction des délais de prescription qui dépendaient désormais de la nature de la demande, à savoir :
- 12 mois : contestation d’un licenciement pour motif économique, litige relatif à une rupture conventionnelle, contestation sur la rupture du contrat faisant suite à l’adhésion au CSP ;
- 2 ans : action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail, reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ;
- 3 ans : rappels de salaires (heures supplémentaires, rémunération variable…) ;
- 5 ans : discrimination, préjudice résultant d’une discrimination, harcèlement moral, harcèlement sexuel, dommage corporel causé à l’occasion de l’exécution du contrat de travail.

1) La réduction du délai de contestation des licenciements pour motif personnel

L’ordonnance Macron n°2017-1387 du 22 septembre 2017 fixe désormais à 12 mois le délai de prescription pour les actions portant sur la rupture du contrat de travail (article L.1471-1 du Code du travail).

D’une part, l’ordonnance opère une distinction entre les actions portant sur l’exécution du contrat de travail et les actions portant sur la rupture du contrat.
D’autre part, l’ordonnance précise désormais le point de départ du délai de prescription pour les actions portant sur la rupture du contrat de travail, à savoir la notification de cette rupture.

En effet, jusque-là, l’article L.1471-1 du Code du travail issu de la loi du 14 juin 2013 se contentait de préciser que le délai de prescription courrait « à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit ».

Désormais, en précisant que le délai de prescription court à compter de la notification du licenciement, l’ordonnance met un terme à toute possibilité de contestation sur le terme de la prescription et aux effets incertains des délais de prescription « glissants ».

2) Le délai de contestation de 12 mois est-il affecté par une éventuelle demande de précisions sur les motifs du licenciement ?

Le décret n°2017-1702 du 15 décembre 2017, pris en application de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, fixe le délai dans lequel un salarié peut demander à son employeur des précisions quant aux motifs invoqués à l’appui de son licenciement.

Ainsi, le salarié bénéficie d’un délai de 15 jours suivant la notification du licenciement pour demander des précisions à l’employeur qui lui-même disposera d’un délai de 15 jours après réception de cette demande pour y répondre (article R.1232-13 du Code du travail).

En pratique, un salarié peut n’avoir connaissance des motifs précis de son licenciement qu’un mois après sa notification.

Dès lors, la question se pose de savoir si ce délai d’un mois a pour effet de reporter le délai de prescription de 12 mois d’autant ?

A priori, il semblerait que la demande de précisions n’impacte pas le délai de prescription.
En effet, le nouvel article L.1471-1 du Code du travail précise que ce délai ne commence à courir qu’à compter de la « notification du licenciement ».

Néanmoins, les juges du fond devront très certainement trancher cette question.

3) Point de départ du délai de contestation d’une rupture conventionnelle

Concernant le cas particulier des ruptures conventionnelles individuelles, la Cour de cassation s’est récemment prononcée dans un arrêt du 6 décembre 2017 (n°16-10.220).
Aux termes de cet arrêt, la Haute Juridiction a considéré que le point de départ du délai de prescription de 12 mois courait à compter de la date d’homologation, même implicite, de l’Inspection du travail et ce quand bien même le salarié n’aurait pas eu connaissance de la date exacte de l’homologation.

4) La « sécurisation » du délai de contestation d’un licenciement pour motif économique

Avant les ordonnances du 22 septembre 2017, l’article L.1235-7 du Code du travail disposait que : « Toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d’entreprise ou, dans le cadre de l’exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci. Ce délai n’est opposable au salarié que s’il en a été fait mention dans la lettre de licenciement. »

Cette disposition faisait l’objet d’interprétations divergentes par les juges du fond et par la Cour de cassation.

En effet, la Cour de cassation estimait que ce délai de 12 mois n’était applicable qu’aux « contestations susceptibles d’entraîner la nullité de la procédure de licenciement collectif pour motif économique, en raison de l’absence ou de l’insuffisance d’un plan de sauvegarde de l’emploi » (Cass.soc., 15 juin 2010, n°09-65.062 ; 09-65.064).

Les juges du fond estimaient quant à eux que ce délai n’était pas opposable à « un salarié qui conteste à titre individuel le caractère réel et sérieux de son licenciement en évoquant l’absence de difficultés économiques de la société au moment de son licenciement et de recherches sérieuses de reclassement. » (Cour d’appel de Paris, Pôle 6 – Chambre 6, 2 novembre 2016, n°14/11912).

Désormais, le texte ne donne plus lieu à débat.

En effet, le nouvel article L.1235-7 du Code du travail dispose : « Toute contestation portant sur le licenciement pour motif économique se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité social et économique ou, dans le cadre de l’exercice par le salarié de son droit individuel à contester le licenciement pour motif économique, à compter de la notification de celui-ci. »

Il n’y a donc plus lieu de distinguer entre les contestations susceptibles de rendre le licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse.

Quelle que soit le fondement invoqué par le salarié (insuffisance du PSE, absence de difficultés économiques, non-respect de l’obligation de reclassement, etc.), ce dernier disposera d’un délai de 12 mois suivant la notification du licenciement pour le contester.

5) Les dispositions transitoires prévues par l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017

L’article 40, II de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 dispose que « les dispositions prévues aux articles 5 et 6 s’appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de publication de la présente ordonnance, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. Lorsqu’une instance a été introduite avant la publication de la présente ordonnance, l’action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne y compris en appel et en cassation. »

A l’instar des dispositions transitoires prévues par la loi du 14 juin 2013, l’application de ces dispositions peut être source de difficultés.

Dans un arrêt du 7 décembre 2017 (n°16-22.276), la Cour de cassation s’est prononcée sur l’application des dispositions transitoires de la loi du 14 juin 2013.

Aux termes de cet arrêt, la Haute Juridiction a censuré les juges du fond pour avoir considéré prescrites les demandes salariales formulées antérieurement au 20 septembre 2010, pour une saisine au 20 septembre 2013.

Les dispositions transitoires de l’ordonnance du 22 septembre 2017 étant identiques à celles de la loi du 14 juin 2013, il conviendra d’appliquer les jurisprudences rendues en la matière (voir pour exemples (CA Paris, 2 février 2017 ; CA Paris, 18 janvier 2017 ; CA Paris, 29 juin 2016 ; CA Paris, 6 avril 2016 ; CA Versailles, 26 janvier 2016 ; CA Paris, 4 novembre 2015, CA Poitiers, 5 avril 2017, CA Chambéry, 3 janvier 2017).

Aussi, il conviendra d’appliquer aux prescriptions en cours le nouveau délai de prescription (12 mois) à compter de la publication de l’ordonnance, soit à compter du 23 septembre 2017.

Cependant, la durée totale de la prescription ne devra pas excéder la durée prévue par la loi ancienne (24 mois).

6) Deux exemples pratiques

6.1) Exemple 1 : Salarié licencié le 15 septembre 2017 : jusqu’à quand peut-il saisir les prud’hommes pour contester son licenciement ?

Monsieur X s’est vu notifier son licenciement le 15 septembre 2017.

A cette date, la prescription des actions portant sur la rupture du contrat de travail était de deux ans ; Monsieur X pouvait donc agir jusqu’au 15 septembre 2019.

Au regard des dispositions transitoires de l’ordonnance du 22 septembre 2017, le nouveau délai de prescription de 12 mois s’applique à Monsieur X à compter de la promulgation de l’ordonnance (le 23 septembre 2017), sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi ancienne.

Il convient donc d’appliquer le nouveau délai (12 mois) à compter du 23 septembre 2017, soit un délai de prescription au 24 septembre 2018 (le 23 septembre 2018 étant un dimanche).

Monsieur X peut donc contester son licenciement jusqu’au 24 septembre 2018.

6.2) Exemple 2 : Salarié ayant démissionné le 10 août 2016 : jusqu’à quand peut-il saisir les prud’hommes pour contester sa démission ?

Madame Y a démissionné le 10 août 2016.

A cette date, la prescription des actions portant sur la rupture du contrat de travail était de deux ans ; Madame Y pouvait donc agir jusqu’au 10 août 2018.

Au regard des dispositions transitoires de l’ordonnance du 22 septembre 2017, le nouveau délai de prescription de 12 mois s’applique à Madame Y à compter de la promulgation de l’ordonnance (le 23 septembre 2017), sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi ancienne.

Madame Y aurait donc jusqu’au 23 septembre 2018 pour contester sa démission.

Or, cela reviendrait à accorder à Madame Y un délai de plus de 2 ans pour agir, et donc une durée totale de prescription supérieure à la durée prévue par la loi ancienne.

Madame Y peut donc contester sa démission jusqu’au 10 août 2018.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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