L'obligation de paiement des loyers et l'exception d'inexécution. Par Bekens Joseph, Juriste.

L’obligation de paiement des loyers et l’exception d’inexécution.

Par Bekens Joseph, Juriste.

8510 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # exception d'inexécution # obligations contractuelles # gravité des manquements # paiement des loyers

Si l’exception d’inexécution est un outil intéressant pour le locataire dans la mesure où il peut lui permettre de contraindre son bailleur à cesser ses manquements, sa mise en œuvre ne demeure pas moins risquée, la valeur du fonds de commerce étant en jeu.

-

Le locataire peut-il valablement refuser de payer ses loyers lorsqu’il reproche à son bailleur un manquement à ses obligations ?

Aux termes de l’article 1219 du Code civil, une partie à un contrat peut refuser d’exécuter son obligation, quand bien même elle serait exigible, dès lors que l’inexécution dont son cocontractant se rend coupable est « suffisamment grave ».

Le contrat de bail est un contrat synallagmatique [1], c’est-à-dire un contrat qui met à la charge des parties des obligations réciproques. En l’occurrence, le paiement des loyers pour le locataire, la délivrance conforme et la jouissance paisible pour le bailleur. Ainsi, le locataire peut tout à fait se prévaloir de la disposition précitée. C’est d’ailleurs la position de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, et ce, depuis bien avant l’ordonnance du 10 février 2016 [2].

Toutefois, un simple manquement par le bailleur de ses obligations ne suffit pas à justifier la suspension du paiement des loyers dus en vertu du bail. Comme indiqué précédemment, le législateur exige une inexécution « suffisamment grave » [3]. Cette condition n’étant pas précisée, et à défaut d’intervention préalable du juge, le locataire est invité de manière autonome à analyser finement les faits reprochés au bailleur, avant de lui opposer l’exception d’inexécution. Etant précisé qu’en cas d’erreur d’appréciation sur le degré de gravité du comportement du bailleur, le locataire s’expose à une mise en œuvre de la clause résolutoire du bail dont les conséquences peuvent être très importantes (perte du droit au bail, de l’indemnité d’éviction, dévaluation du fonds de commerce) [4].

En effet, ce n’est que dans le cadre d’une procédure en paiement des loyers impayés et/ou en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire, initiée par le bailleur, que le juge du fond va apprécier la gravité des manquements allégués par le locataire. À ce stade, les dés sont jetés, il n’y a que deux solutions possibles, à moins que le bailleur se contente d’agir uniquement en paiement des loyers. Soit le juge considère que les manquements sont suffisamment graves, soit il considère qu’ils ne le sont pas.

Dans la première hypothèse, le refus de paiement des loyers est justifié et proportionné. Le bailleur devra alors s’exécuter afin de permettre un retour à une relation contractuelle normale consistant à une exécution réciproque. La procédure n’aura dans ce cas aucune incidence sur le maintien du locataire dans les lieux, par extension sur la valeur du fonds de commerce compte tenu du maintien du droit au bail.

En revanche, dans la seconde hypothèse, le bailleur sera bienfondé à se prévaloir de la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers. Le locataire perdra non seulement son droit au bail, il devra en outre verser au bailleur une indemnité d’occupation.

Il est opportun de préciser que le juge du fond apprécie la gravité des manquements reprochés au bailleur à l’aune d’un contrôle de proportionnalité exercé par la Cour de cassation qui a sensiblement évolué [5].

Dans un premier temps, la Cour de cassation a exigé que lesdits manquements entrainent une « impossibilité absolue pour le locataire d’exercer son activité dans les lieux loués » [6].

Dans un second temps, elle a abandonné la notion d’« impossibilité absolue » qui était assez sévère et exigeait simplement que les locaux soient devenus « impropres à l’usage auquel ils étaient destinés » [7]. Cette dernière position a été confirmée dans un arrêt récent en date du 6 juillet 2023.

Ainsi, les manquements du bailleur ne seront considérés comme suffisamment graves que lorsqu’ils rendent les locaux impropres à la destination contractuelle, c’est-à-dire que le locataire n’est pas en mesure d’utiliser normalement les lieux loués pour l’exercice de son activité.

Cependant, malgré cette évolution, la difficulté demeure identique dans la pratique pour le locataire. Il s’agit d’une question de fait, et celui-ci ne saura toujours pas apprécier le degré de gravité suffisant pour justifier la mise en œuvre de l’exception d’inexécution. De ce fait, si cette évolution est théoriquement louable, cela ne change rien à la situation précaire du locataire. L’aléa judiciaire demeure aussi important qu’il ne l’était avant la décision du 27 février 2020.

Ce raisonnement est également transposable au bail d’habitation, des manquements mineurs ne justifient pas la suspension du paiement des loyers par le locataire.

En tout état de cause, il est conseillé au locataire tant commercial que non commercial de privilégier une voie alternative afin de sécuriser son bail.

Bekens Joseph
Juriste droit immobilier - Elève avocate à l’HEDAC

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

6 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Art 1106 du Code civil.

[2Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

[3Art 1219 du Code civil.

[4Arts L145-8, L145-14 et L145-17 du Code de commerce.

[5Avis de Cassation de Mme Morel-Coujard, Avocate Générale - Arrêt n° 534 du 6 juillet 2023, n° 22-15.923.

[6Cour de cassation - Troisième chambre civile - 21 novembre 1995 - n° 94-11.806.

[7Cour de cassation - Troisième chambre civile - 27 février 2020 - n° 18-20.865.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27838 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs