Nullité article 803-3 du Code de procédure pénale : au parquet de justifier la nuit au dépôt.

Par Fabrice Helewa, Avocat.

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Explorer : # nullité de procédure # rétention judiciaire # garde à vue # contrôle juridictionnel

La rétention judiciaire après la garde à vue est désormais contrôlée : le parquet doit justifier des circonstances ou contraintes matérielles rendant nécessaire la mise en oeuvre de la mesure de rétention prévue par les articles 803-2 et 803-3 CPP.

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Nous avions signalé une « zone grise » dans la procédure pénale (voir les
références citées et les conclusions de nullité), après la fin de la garde à vue, lorsque la personne est transportée des locaux du commissariat jusqu’au palais de justice et passe la nuit au dépôt (dans les tribunaux qui en bénéficient) avant d’être déférée devant le procureur de la République.
Nous avions remarqué que cette rétention judiciaire, prévue par l’article 803-3 CPP n’était pas contrôlée par les juridictions, laissant au Parquet la possibilité de prolonger sans justification et artificiellement la privation de liberté au delà de la durée maximale prévue textuellement par l’article 63- II CPP limitant la garde à vue.

Certaines chambres correctionnelles avaient fait droit aux nullités déposées visant l’absence de justification de la procédure dérogatoire de rétention judiciaire, mais les Cours d’appel saisies avaient systématiquement rejeté ce moyen de nullité.
Pourtant, le Conseil constitutionnel avait précisé que la rétention judiciaire prévue par l’article 803-3 CPP est conforme à la constitution en raison du contrôle exercé par les juridictions (considérant n° 6 de décision n° 2010-80 QPC du 17 décembre 2010).

La Cour de cassation, saisie de cette question par voie de pourvoi, se prononce pour la première fois et censure une Cour d’appel qui refuse de contrôler les motifs de recours à la rétention judiciaire après la garde à vue.

Nous ne pouvons qu’approuver cette position, conforme à celle du Conseil constitutionnel, à l’esprit du texte qui fait de la rétention judiciaire une mesure dérogatoire et faisant droit aux conclusions in limine litis déposées dans cette affaire. Reste à attendre la réaction des cours d’appel qui ont à se prononcer sur cette même nullité soulevée dans d’autres dossiers pendants, notamment à Paris, souvent dans le cadre d’autres procédures diligentées contre des joueurs de « bonneteau ».

Il faut également être attentif à la réaction du Parquet qui peut être tenté de décaler la fin de la mesure de garde à vue à une heure tardive afin de trouver de facto une justification artificielle au recours à la rétention dérogatoire dorénavant contrôlée. Il conviendra alors de rechercher si les actes de procédure qui décalent la fin de la garde à vue assez tard dans la journée pour justifier un défèrement tardif étaient susceptibles d’être mis en oeuvre avant, en gardant en mémoire qu’une personne gardée à vue n’a pas été jugée et doit bénéficier de la présomption d’innocence qui impose une limite à la privation de liberté décidée unilatéralement par le Parquet.

Ci-joint l’arrêt :

Arrêt n°1290 du 13 juin 2018 (17-85.940) - Cour de cassation - Chambre criminelle - ECLI:FR:CCASS:2018:CR01290
Cassation
Demandeur : M. X...Y... ;


Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 393 alinéa 1er, 802, 803-2 et 803-3 du code de procédure pénale, défaut de motifs et , manque de base légale et vu les articles 41 alinéa 3, 62-3 alinéa 3, 63 II, 63-8 alinéa 1er du code de procédure pénale et la Décision n°2010-80 Q P C du 17 décembre 2010 du Conseil constitutionnel en son considérant 6 ;

Vu les articles 803-2, 803-3 et 593 du code de procédure pénale ;

Attendu qu’il résulte de ces textes que la personne qui fait l’objet d’un défèrement à l’issue de sa garde à vue ne peut être retenue jusqu’au lendemain dans l’attente de sa comparution devant un magistrat qu’en cas de nécessité ; qu’il incombe à la juridiction, saisie d’une requête en nullité de la rétention, de s’assurer de l’existence des circonstances ayant justifié la mise en oeuvre de cette mesure ;

Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué, du jugement qu’il confirme et des pièces de procédure que M. X... Y... a été poursuivi devant le tribunal correctionnel de Paris du chef d’escroquerie pour avoir organisé, avec plusieurs autres comparses ayant les rôles de faux joueurs ou guetteurs, un jeu de "bonneteau", consistant à inciter les passants, après les avoir mis en confiance, à verser des sommes d’argent, dans la perspective de gains éventuels ; que les juges du premier degré l’ont déclaré coupable de ce chef ; que M. X... Y... a relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour rejeter le moyen de nullité tiré de la violation des dispositions des textes précités, l’arrêt énonce qu’il a été mis fin à la garde à vue de M. X... Y... le 9 mars 2017 à 15 heures 45, au terme du délai de 24 heures, et que, par nécessité en raison de contingences matérielles, celui-ci n’a été présenté que le lendemain, 10 mars, à 11 heures 15, soit avant expiration du délai de vingt heures, au magistrat du parquet qui lui a notifié les faits reprochés ainsi que la date d’audience de jugement avant de le laisser libre ; que les juges ajoutent qu’ainsi, M. X... Y... n’était plus sous une mesure de contrainte après la vingtième heure ;

Mais attendu qu’en prononçant ainsi, sans déterminer les circonstances ou contraintes matérielles rendant nécessaire la mise en oeuvre de la mesure de rétention, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision ;

D’où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Paris, du 18 septembre 2017, et pour qu’il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres de la cour d’appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt annulé ;


Président : M. Soulard
Rapporteur : M.Larmanjat
Avocat général : M. Gaillardot

Fabrice HELEWA, Avocat, Docteur en Droit.

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