La nouvelle loi ivorienne sur le mariage, contenu et difficultés d’application.

Par David Nyamsi, Juriste.

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Explorer : # Égalité des sexes # réforme juridique # code civil # application de la loi

« L’homme n’est plus chef de famille », titre le quotidien ivoirien, Le Patriote. Cette réaction, qui n’est pas malheureusement pas la seule, est la conséquence de ce que le journal considère comme « la désintégration de la cellule familiale » ou encore, comme une loi ayant généré plus de problèmes juridiques et sociaux qu’elle n’en résout, puisque pour le quotidien Notre Voie, une loi « qui établit une égalité parfaite entre l’homme et la femme dans le foyer est une loi non africaine ».

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L’adoption, en date du 21 novembre 2012, par les députés, à concurrence de 213 voix pour sur 229 possibles, du projet de loi sur le mariage, continue de faire couler beaucoup d’encre. Tant et si bien que de l’objectif affiché du législateur d’établir non seulement une égalité de fait, mais aussi de droit au sein des ménages ivoiriens d’une part, et d’autre part d’arrimer le droit ivoirien sur la conception contemporaine du mariage et des obligations qui en découlent, a reçu un accueil des plus controversés, par ses détracteurs qui y voient la fin de la famille telle que traditionnellement connue et généralement acceptée par la plupart des ivoiriens.
Pour les défenseurs de cette loi, par le biais d’un article publié en date du 28 novembre 2012, le Dr Alexis Dieth, sur le site Lebanco a un questionnement qui, sur le plan juridique, à toute son importance. En s’interrogeant sur la soi-disant supériorité de l’homme sur la femme brandie par le quotidien notre Voie, il se demande « s’il est vrai qu’une loi qui établit une égalité parfaite entre l’homme et la femme dans le foyer est une loi non africaine ?  », et d’ajouter que « l’histoire et la sociologie des sociétés traditionnelles contredisent les propos selon lesquels les traditions africaines établiraient l’infériorité politique et sociale de la femme et attribueraient la direction de la famille à l’homme. Elles révèlent au contraire que le principe de l’égalité entre l’homme et la femme est une valeur cardinale dans une quantité non négligeable dans ces sociétés qui tendent même à accorder à la femme la supériorité sur l’homme ».

Les appréhensions et positions des défenseurs et détracteurs de la nouvelle loi dûment exposées, il s’agira dans cette mouture de procéder à l’analyse juridique approfondie des textes. Cette analyse aura pour objectif d’une part, d’expliquer la vraie signification juridique des modifications apportées au Code civil, d’en relever les conséquences légales et sociales, de souligner quelles sont les difficultés d’application au sein de la société ivoirienne d’aujourd’hui. De fait, il ressort que le projet de loi a pour objet l’abrogation de l’article 53 du Code civil, ainsi que la modification des articles 58, 59, 60 et 67 de la Loi n°64-375 du 7 octobre 1964 relative au mariage, telle que modifiée par la Loi n°83-800 du 2 août 1983.

I- Contenu juridique et explications de la nouvelle loi sur le mariage

Il est un truisme de constater qu’un texte, non expliqué, mal expliqué, ou encore mal compris et mal interprété peut être sujet à de graves controverses. Les modifications du législateur, au vu des remous sociopolitiques ayant suivi l’adoption du texte par le parlement ivoirien n’échappent pas à cette règle.
L’article 58 ancien de Code civil ivoirien dispose de façon directe et claire, que l’homme est le chef de la famille. Et à ce titre, il exerce cette fonction, dans l’intérêt commun du ménage et enfants. Il est évident que la formulation ancienne du Code civil ivoirien, qui était identique à l’actuelle disposition du Code civil d’un autre pays africain, le Cameroun, et selon lequel, à son article 213, le mari est considéré comme étant le chef de la famille, consacrait la conception paternaliste du mariage, et du foyer conjugal, dirigé par l’homme et dans lequel, la femme n’a qu’un rôle d’assistance et de soutien, de participation aux charges du ménage dans la limite de ses capacités, sans obligation, puisque l’obligation repose sur le mari.
Il ressort que la nouvelle formulation du législateur ivoirien change la donne. Désormais, le mari n’aura plus le titre de chef. Ce qui, de facto, équivaut à un partage de l’exercice de l’autorité parentale à part égale au sein du foyer. De plus, la nouvelle formulation entraine de facto et de jure, une codirection morale et matérielle de la famille, puisque celle-ci est conjointement dirigée par les époux. De manière plus précise, une codirection entraine un meilleur équilibre juridique dans les décisions du ménage. Elle entraine aussi deux visions, qui, en cas de désaccord du fait de la différence des époux par fait leur éducation, religion, personnalité, origine, pourrait transformer le couple, plus en lieu de désorientation qu’en un havre de paix et d’épanouissement, tant de la femme que des enfants, qui est l’objectif du législateur ivoirien.
La nouvelle formulation, mal interprétée par les détracteurs, donne aussi, d’après eux, la difficulté, de la primauté du nom. Et de fait, pour ceux-ci, dans l’ancien code, il allait de soi que les enfants portent le nom de leur père, ou encore mieux, que la femme porte le nom de son mari lorsqu’elle s’engage avec lui dans les liens du mariage. La nouvelle formulation sur l’autorité paternelle changerait cette donne. Rien n’oblige plus aux femmes mariées de prendre le nom de leur mari si elles ne le souhaitent nullement. Elles ont tout aussi bien le droit de le superposer au leur, et d’obtenir la même chose si des enfants viennent à naitre au sein du couple, sans oublier la question de la primauté du nom. Or il n’en est rien. Les modifications ne portant nullement sur l’article 57 de l’ancien Code civil, celui ne devrait nullement porter à discussion, la disposition restant pleinement aussi applicable qu’avant l’adoption de la nouvelle loi.
Et sur le plan juridique, l’on ne saurait valablement faire de lien juridique entre l’égalité et l’épanouissement de la femme au sein du couple, et la considération de la possibilité du non usage du nom du mari comme un obstacle, ou embûche. Cet article dispose très clairement que « la femme a l’usage du nom du mari  ». Autrement dit, déjà, dans l’ancien Code, le législateur n’a nullement imposé le nom du mari à la femme. Lui en avoir donné le droit d’usage impliquant nécessairement qu’elle a aussi le droit de ne pas en user, si elle le souhaite.

Pour l’ancien article 59, l’obligation d’assumer les charges du mariage n’est plus la seule responsabilité du mari. En effet, la femme, à hauteur de ses moyens et capacités, a le devoir, au même titre que le mari, de participer aux charges financières du ménage. Toutefois, la loi ne précise pas ce qui serait le baromètre des capacités de chaque conjoint (les bulletins de salaire n’étant valables que pour les couples effectivement salariés, ce qui laisse un vide à ceux qui exercent des activités indépendantes non salariées, mais rémunératrices, tout comme au conjoint qui, par choix, décide de n’exercer aucune activité professionnelle) tout en précisant que, le conjoint défaillant peut-être contraint par l’autre, à remplir ses obligations financières envers la famille, par décision judiciaire.
La nouvelle formulation ne précisant pas quels sont les états respectifs des conjoints qui ne sauraient engendrer une coercition judiciaire, elle laisse la part belle à des actions en justice toutes les fois qu’un conjoint estimera que l’autre ne remplit pas ses obligations. Auparavant il incombait aussi au mari du fait de son autorité sur le couple, de fournir à la femme tout ce qui est nécessaire pour les besoins de la vie, selon ses facultés et son état. Avec la nouvelle formulation, cette obligation s’évanouit, puisque le mari d’une part, peut désormais à bon droit exiger la même chose de la femme, ou, d’autre part, estimer que cette obligation ne lui incombe plus, du fait de la codirection financière, et morale de la famille.
D’un autre côté, il convient de relever que les femmes, bénéficiant d’une plus grande sécurité au sein de la famille, se voient aussi dorénavant mises plus à contribution au sein de celle-ci. De facto, il est des familles dans lesquelles les femmes ont des capacités intellectuelles, financières, plus importantes que celles de leur conjoint. La nouvelle loi ne leur donne plus de latitude de ne pouvoir participer que dans la mesure de leur volonté.
Désormais, elles se doivent, au risque d’en être contraintes par le juge, de participer aux charges de la famille en fonction de leurs moyens. La latitude étant donnée au juge d’apprécier pour les conjoints salariés, quels sont leurs moyens réels en consultant leur bulletin de salaire respectif. Cette faculté permet aussi au juge de rechercher quelles sont les activités principales, annexes de la femme, de nature à générer des revenus financiers qui rentreraient alors dans l’assiette de ce qui sera considérée comme sa capacité. L’état, mentionné dans l’article, ne concerne que la condition physique et psychologique d’un conjoint, au moment de la saisine du juge par l’autre.

En ce qui concerne les articles 60 et 67 nouveaux concernent le pouvoir de décision sur le choix de la résidence du couple pour le premier, et la décision d’occuper un emploi différent de celui du mari pour le second, qui désormais, n’appartient plus au mari. Autrement dit, la femme a dorénavant la faculté de s’opposer au choix qui lui serait désormais proposé, et non plus imposé ou dicté par son mari, et vice versa. Elle peut aussi avec la nouvelle formulation, sans avoir besoin de quérir l’approbation, ou l’autorisation de son mari, accepter ou occuper l’emploi de son choix, ce qui démontre bien le souci de modernisation du législateur ivoirien, à contrario, pour illustration, du législateur Camerounais, sur le même point.
Bien que cette disposition puisse limiter avec doigté l’influence de l’homme au sein des ménages et permettre un meilleur épanouissement, et une plus grande liberté d’action de la femme au sein du couple, elle permet aussi, malheureusement par son absence de précisions sur les modalités de la prise de décision, l’ambiguïté. En effet, les différences des gouts de chaque conjoint participent largement de la décision à prendre sur le lieu d’habitation.
En plus, la part belle est donnée au juge, qui, en cas de désaccord des conjoints, pourra s’immiscer dans la vie privée des familles, et déterminer, au vu des éléments ou des arguments qui lui auront été présentés, de ce qui serait le meilleur intérêt du couple, contraignant ainsi le conjoint mécontent de ce choix, soit à accepter à contre cœur ce choix et à vivre dans une ambiance non voulue, ce qui ne favorisera pas l’unité tant recherchée au sein des couples, soit à rejeter la décision du juge d’instance, ce qui sur le plan juridique, entrainera d’autres conflits juridiques et judiciaires dont un couple devraient pouvoir éviter en début de vie commune.

II- Les embûches à l’application de la nouvelle loi sur le mariage

La principale embûche de la loi est, au vu des positions des tenants et des détracteurs de celle-ci, la loi elle-même. En effet, sur le plan juridique, la terminologie retenue par le législateur ivoirien correspond parfaitement à l’objectif visé. L’égalité au sein du couple. Toutes les failles juridiques que nous avons mentionnées plus haut ne sont pas insurmontables si les textes ont meilleur étayement.
Il conviendrait de rendre plus précis le texte, ses modalités et champs d’application, et au besoin, de mener des campagnes d’explication en vue de démontrer qu’une égalité au sein du couple n’est pas, sur le plan juridique, un démembrement de la famille, mais une consolidation de celle-ci. Les abus consacrés dans les Codes civils d’autres pays africains à l’instar du Cameroun qui pourtant a ratifié la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, montre le net souci de réforme juridique adapté du législateur ivoirien, parce que, aujourd’hui, selon le Code civil camerounais, l’homme peut librement choisir son régime matrimonial, qu’il soit polygamique ou monogamique, le mari ayant le droit exclusif de choisir la résidence de la famille aux termes de l’article 108 et 215 du Code civil, peut s’opposer avec succès à ce que sa femme travaille dans « l’intérêt du ménage » qu’il est souverain à déterminer.
Ces quelques aspects discriminatoires du droit camerounais, comme de l’ancien Code civil ivoirien que cherche à gommer son législateur sont louables, puisque reposant essentiellement sur la place prépondérante qu’occupent les coutumes et les traditions, selon que l’on est d’origine Baoulé, Ebrié, Malinké, Bété Sénoufo, etc. Les divergences existentielles dans la société ivoirienne s’avèrent donc être la seconde embûche à l’application de la nouvelle loi. Parce que, de manière pratique, l’on ne peut pas dire qu’il existe une culture ivoirienne, mais des cultures ivoiriennes au sein desquelles la place de la femme n’est pas identique.
L’intérêt général, le souci d’apporter un meilleur équilibre au sein des familles étant des valeurs plus importantes que les considérations coutumières, il va de soi que des campagnes d’explication de la loi par permettra certainement une meilleure acception de celle-ci. La rédaction des circulaires d’application détaillant les conditions ou modalités d’application de la nouvelle loi la rendront moins ambigüe et ne donneront pas sur le plan juridique, sujet à des différends qu’une compréhension adéquate du projet de loi aurait balayés.

Secrétaire Général du Centre d\’Arbitrage du Gicam
Enseignant-Chercheur
Consultant

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