I – la négociation informelle réellement gage de sécurité juridique ?
A titre préliminaire, il est important de souligner que les parties peuvent négocier et conclure un contrat sans qu’il soit nécessairement encadré par un document contractuel préalable.
En effet, en application de l’article 1113 du Code Civil, la conclusion d’un contrat ne nécessite que la rencontre entre l’offre et l’acceptation.
Ainsi, l’offre doit se caractériser par une manifestation de volonté claire, non équivoque et précise, comme l’exige l’article 1114 du Code civil. De même, l’acceptation doit refléter la volonté de s’engager dans les termes définis par l’offre, selon l’article 1120 du Code civil.
Cependant, une question se pose en cas de rétractation de l’offrant avant l’expiration du délai octroyé à l’acceptant pour manifester sa volonté.
Il convient de rappeler ici, que pour être valide, l’offre doit répondre aux conditions de validité énoncées ci-dessus. Elle est donc le gage de la volonté « inébranlable » de l’offrant d’être lié par le contrat.
Ainsi, dès le début des négociations, l’offrant manifeste sa volonté d’être liée par un contrat définitif dans les conditions prévues par l’offre.
C’est donc en vertu de la force juridique octroyer à l’offre que l’article 1116 alinéa 1er interdit la rétraction de l’offrant tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire.
Cette interdiction a pour effet de renforcer l’engagement de l’offrant et de rassurer l’acceptant quant à ses motivations.
Toutefois, le législateur a immédiatement tempéré cette interdiction en prévoyant à l’article 1116 alinéa 2 que :
« La rétractation de l’offre en violation de cette interdiction empêche la conclusion du contrat ».
Cette position du législateur semble raisonner comme une sanction pour l’acceptant qui n’aurait pas énoncé sa volonté assez rapidement.
Le raisonnement tenu est l’absence de rencontre des volontés. En effet, si l’offrant se rétracte avant que l’acceptant ne se soit manifesté, alors aucun contrat ne pourra être formé.
Quid de la sécurité juridique pour l’acceptant ?
En conséquence, il y a un conflit entre deux notions fondamentales du droit des contrats : la liberté contractuelle et la sécurité juridique. Il est clair que le choix du législateur est de privilégier la liberté contractuelle au détriment de la sécurité juridique.
Bien que des sanctions soient prévues en cas de rétractation de l’offrant (l’engagement de la responsabilité extracontractuelle), ces dispositions risquent de fragiliser la valeur de l’engagement de l’offrant et engendrer d’une instabilité juridique.
Qu’en est-il alors lorsque les négociations se déroulent dans un cadre formel ?
II – La négociation formelle : Une alternative judiciaire efficace ?
Il convient de rappeler que même en période précontractuelle, les parties ont la possibilité de conclure des avant-contrats, autrement appelé contrat préparatoire au contrat définitif.
Ces avant-contrats permettent de définir un cadre pour les négociations et ainsi garantir les échanges des futurs contractants.
Ces contrats tels que le pacte de préférence ou encore la promesse unilatérale ont respectivement été intégrés aux articles 1123 et 1124 du Code civil à l’issue de l’ordonnance du 10 février 2016.
Le pacte de préférence peut-être défini comme le contrat par lequel le promettant s’engage à proposer prioritairement la conclusion du contrat au bénéficiaire du pacte.
En revanche, la promesse unilatérale est le contrat par lequel, le promettant s’engage à contracter dans des conditions d’ores et déjà définies et dont il ne manque que le consentement du bénéficiaire pour la conclusion du contrat.
Ces deux contrats ont force obligatoire et créent des obligations uniquement à la charge du promettant à savoir soit proposer prioritairement le contrat, soit laisser le temps au bénéficiaire de manifester sa volonté.
Pourtant, leurs régimes en cas d’inexécution de l’obligation du promettant diffèrent considérablement.
En effet, en application de l’article 1123 du Code civil, si le promettant décide de conclure un contrat avec un tiers, en violation du pacte de préférence, le bénéficiaire ne pourra demander l’annulation ou se substituer.
Cependant, l’article limite cette possibilité en exigeant du bénéficiaire la double preuve cumulative : de la connaissance par le tiers du pacte de préférence et de l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir.
Cette position du législateur fait suite à l’arrêt du 26 mai 2006 de la Cour de Cassation estimant que :
« le bénéficiaire d’un pacte de préférence est en droit d’exiger l’annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d’obtenir sa substitution à l’acquéreur » [1].
Toutefois, il est vrai que prouver à la fois la connaissance du tiers du pacte de préférence et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir peut s’avérer difficile, ce qui limite considérablement les possibilités d’actions du bénéficiaire en cas de violation du pacte.
Par conséquent, même s’il dispose d’un contrat ayant force obligatoire, le bénéficiaire ne pourra ni obtenir l’annulation du contrat conclu en violation du pacte, ni se substituer au tiers.
La sanction semble sévère.
Il est évident que le bénéficiaire d’un pacte de préférence n’a aucune garantie que le promettant respecte son engagement de lui proposer prioritairement le contrat. Cette incertitude peut remettre en question la valeur juridique du contrat et la protection qu’il offre au bénéficiaire.
Ainsi qu’en est-il de la valeur juridique de ce contrat ?
Par opposition, la solution serait radicalement différente si le bénéficiaire était détenteur d’une promesse unilatérale.
En effet, dans cette situation, l’article 1124 du Code civil prévoit l’impossibilité pour le promettant de révoquer sa promesse dans le temps laissée au bénéficiaire pour lever l’option. Mais plus encore, la violation de cette règle n’empêchera pas la formation du contrat.
Ainsi, même si le promettant revenait sur sa parole avant l’expiration du délai laissé au bénéficiaire pour lever ou non l’option, cela n’aura pas pour effet d’empêcher la formation du contrat.
Il est donc apparent que la position du législateur quant à la valeur juridique des promesses unilatérales est nettement plus favorable pour le bénéficiaire que celle des pactes de préférence.
Cette position a été réaffirmé à plusieurs reprises par les Hauts Sages de la Cour de Cassation [2]
La chambre Commerciale de la Cour de Cassation a également confirmé cette position dans un récent arrêt du 15 mars 2023 en considérant que :
« le promettant signataire d’une promesse unilatérale de vente s’oblige définitivement à vendre dès cette promesse et ne peut pas se rétracter, même avant l’ouverture du délai d’option offert au bénéficiaire, sauf stipulation contraire » [3].
La divergence de traitement entre le pacte de préférence et la promesse unilatérale de vente s’explique en grande partie par la différence de nature de leurs engagements respectifs. Tandis que le promettant d’un pacte de préférence s’engage uniquement à proposer prioritairement le contrat, celui d’une promesse unilatérale s’oblige à conclure le contrat définitif. Cette distinction est essentielle, car elle explique les différences de régime en cas d’inexécution de l’obligation du promettant.
En tout état de cause, cette divergence des solutions établit une hiérarchie entre ces deux contrats. La promesse unilatérale de vente apparaît ainsi plus "sécuritaire" que le pacte de préférence, car elle confère au bénéficiaire un droit plus robuste et plus facilement opposable au promettant. Il convient donc de bien peser les avantages et les inconvénients de chacun de ces contrats avant de s’engager.