Fonds de commerce en droit OHADA : limites et réaménagements de la saisie attribution des créances. Par Florent N'dri N'dah, Juriste.

Fonds de commerce en droit OHADA : limites et réaménagements de la saisie attribution des créances.

Par Florent N’dri N’dah, Juriste.

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La saisie attribution des créances de sommes d’argent diligentée lorsque le fonds de commerce a fait l’objet d’un contrat de location-gérance et de vente au-delà des avantages qu’elle peut procurer au créancier saisissant par la signification de l’acte de saisie au tiers saisi, peut être source d’inquiétude pour le débiteur commerçant, qui peut se retrouver être débiteur de plusieurs créanciers aux statuts différents.

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Perçue comme la voie d’exécution par laquelle un créancier muni d’un titre exécutoire, bloque entre les mains d’un tiers (tiers saisi), les sommes d’argent qui sont dues par celui ci à son débiteur en vue de se les faire attribuer jusqu’à concurrence du montant de sa créance. Autrement dit et ainsi que l’illustre si bien un auteur,

« le saisissant sur le fondement d’un droit de créance dont il est titulaire à l’encontre du débiteur saisi pratique une mesure d’exécution entre les mains d’une personne appelée tiers saisi, débiteur de son propre débiteur : ne parvenant pas, par hypothèse, à recouvrer sa créance auprès de ce dernier, le créancier saisissant peut ainsi se faire payer sur ce qui est dû par une autre personne à son débiteur ».

La saisie attribution en droit OHADA, est réglementée par les articles 153 à 172 AUPSRVE et est mise en œuvre sans l’intervention du juge faisant d’elle une voie d’exécution extrajudiciaire. Contrairement à la saisie arrêt qu’elle a substitué, la saisie attribution est spécifique aux créances de sommes d’argent. Sous l’empire des législations antérieures des Etats parties, la saisie des créances à fin d’exécution était essentiellement connue sous l’appellation de saisie arrêt. Seul le Mali connaissait avant l’entrée en vigueur de l’AUPSRVE, une législation relative à la saisie attribution.

Outre l’exploitation directe, le fonds de commerce peut faire l’objet d’une exploitation par un tiers par le mécanisme de la location gérance. De plus, tout créancier qui ne peut ni exiger le paiement de sa créance, ni bénéficier du privilège grevant le fonds de commerce peut recourir à la saisie attribution. Dans l’un ou dans l’autre cas, il apparait clairement que la saisie attribution des créances de sommes d’argent peut s’appliquer en cas de location gérance et de vente du fonds de commerce même s’il est déplorable que le législateur OHADA, connaissant l’utilité du fonds de commerce ait méconnu de prévoir expressément une procédure de saisie propre au fonds de commerce comme il en est en France. Ainsi, c’est en analysant les dispositions des saisies existantes et le mécanisme de fonctionnement du fonds de commerce, que l’on peut tenter de s’apercevoir que des saisies peuvent s’appliquer au fonds de commerce mais cela en fonction de l’angle sous lequel l’on appréhende le fonds de commerce. L’angle qui nous intéressera ici est celui où le fonds de commerce fait l’objet de location-gérance ou de vente.

La saisie attribution bien qu’apparaissant comme une saisie moins complexe, simple et rapide peut dans sa mise en œuvre présentée des limites (I) et nécessite pour une meilleure application en cas de location-gérance et de vente du fonds de commerce un réaménagement (II).

I- Les limites de la saisie attribution en cas de location-gérance et de vente du fonds de commerce.

Bien que la saisie attribution en cas de location-gérance et de vente du fonds de commerce, soit rapide et simple, celle-ci porte atteinte à l’égalité des créanciers (A) et d’autre part, la prééminence de l’effet attributif immédiat influence considérablement le droit de demande d’un délai de grâce du débiteur commerçant (B).

A- L’atteinte à l’égalité des créanciers.

On ne saurait parler de l’atteinte à l’égalité des créanciers lors de la saisie attribution en cas de location-gérance et de vente du fonds de commerce sans évoquer la manifestation de cette atteinte à l’égalité des créanciers (1). Cependant l’analyse des dispositions de la saisie attribution présente une admission exceptionnelle de concours entre les créanciers, qui malheureusement manque de précision (2).

1- La manifestation de l’atteinte à l’égalité entre les créanciers du bailleur et du vendeur du fonds de commerce.

Si pendant longtemps l’on a pu affirmé que « le principe de l’égalité est le pilier du droit privé », plus précisément le droit commercial et le droit civil, l’on doit admettre que ce principe ne trouve pas plein effet dans certains domaines comme les voies d’exécution. En effet, ayant pour effet de supprimer tout concours entre les créanciers du débiteur, la saisie attribution entre en conflit avec le principe de l’égalité des créanciers. Ce principe de l’égalité entre les créanciers ne doit pas être confondu avec l’égalité générale qui intervient à l’intérieur de la nation. Ce principe d’égalité entre les créanciers jouent à l’intérieur des groupes restreints. C’est à dire par exemple des créanciers du vendeur du fonds de commerce ou des créanciers du bailleur du fonds. En droit commun et conformément à l’article 2093 du Code civil applicable dans la majeur partie des Etats parties de l’OHADA, « les biens du débiteur sont le gage commun des créanciers ; et le prix s’en distribue par contribution entre eux à moins qu’il n’y ait entre eux des causes légitimes de préférence ». Cette disposition, laisse clairement apparaître l’impérativité du concours entre les créanciers et la prise en compte des causes légitimes de préférence.

Ce qui n’est pas le cas dans le cadre d’une saisie attribution diligentée contre un vendeur du fonds de commerce ou un bailleur du fonds sur les sommes d’argent détenues par l’acquéreur ou le locataire-gérant selon les cas.

Le premier saisissant même s’il est créancier chirographaire prime sur les créanciers de rang préférentiel. La somme objet de la saisie est affectée de droit au saisissant et ni la signification ultérieure d’autres saisies, ni toute autre mesure de prélèvement, même émanant des créanciers privilégiés ne peuvent remettre en cause cette attribution. L’effet attributif immédiat de la saisie attribution est le prix de la course par excellence, le premier qui saisi est le premier payé. La force du principe de l’attribution immédiat de la créance au profit du créancier saisissant est encore plus marqué par l’inefficacité des saisies ou de tout autre prélèvement fait ultérieurement à la première saisie ou aux autres saisies réalisées dans la même journée. Si l’atteinte à l’égalité entre les créanciers semble être perçu, il faut dire que le législateur OHADA n’a quant même pas ignorer le cas de concours entre les créanciers mais qui malheureusement n’est pas précise (2).

2- L’imprécision du législateur OHADA dans l’admission exceptionnelle du concours entre les créanciers dans la saisie attribution.

Le législateur OHADA, loin de s’éloigner de l’idée du concours entre les créanciers que l’on doit prévoir, lors qu’est diligentée une procédure civile d’exécution en l’espèce la saisie attribution à prévue l’hypothèse du concours entre les créanciers.

L’admission de concours intervient dans une circonstance, quant même rare dans la pratique. En effet, c’est lorsque des saisies postérieures à la saisie attribution ont lieu le même jour et que les sommes disponibles ne permettent pas de désintéresser la totalité des créanciers ainsi saisissants. Ceux-ci viennent en concours. Le législateur OHADA en admettant ce concours ne prévoit pas malheureusement les modalités de répartition des sommes disponibles, car l’on peut être confronté à la situation suivante : supposons que des actes de saisie attribution soient signifié le même jour auprès du locataire d’un bailleur, débiteur saisi et que le bailleur soit créancier du locataire pour un montant de 100.000 fr mais débiteur de 4 créanciers dont le montant total est de 200.000 fr et qui se répartissent comme suit : 100 000 pour le créancier X ; 250.000 pour le créancier Y ; 250 000 fr pour le créancier Z ; 500 000 pour le créancier A. La créance objet de saisie ne permettant pas désintéresser l’ensemble des créanciers qui ont pourtant signifié la saisie le même jour et qui doivent venir en concours selon les dispositions de l’acte uniforme sur les voies d’exécution. On peut se demander comment chacun d’entre eux sera satisfait.
Cette interrogation à sa raison d’être, quant on sait que dans le cas de la location-gérance ou de la cession du fonds de commerce étant donné que dans ces deux opérations font l’objet de publicité, des créanciers autres que le créancier saisissant peuvent être informés et engagés des procédures de saisie, qui pourront être signifiées le même jour.

En l’absence de jurisprudence en droit OHADA, l’on peut se référer à la jurisprudence française qui elle même ignore la prise en compte des causes légitimes de préférence. En effet, la jurisprudence française a opté pour l’application de la distribution au marc le franc dans une telle situation, chacun des créanciers sera désintéressé proportionnellement à sa créance et sans qu’aucun compte ne soit tenu du caractère privilégié ou non de celle-ci.

L’égalité entre les créanciers et la règle posée par l’article 2093 du Code civil, s’en trouvent remise en cause dans la mesure où celle-ci prévoit une égalité qui prend en compte les causes légitimes de préférence même si l’on pourrait voir là une volonté législative de promouvoir l’équité en vue d’encourager de la même manière, les créanciers ayant manifesté le même degré de diligence.

En dehors, de cette idée, une autre limite de la saisie attribution en cas de location-gérance et de vente du fonds de commerce est liée à la prééminence de l’effet attributif immédiat sur le délai de grâce du débiteur commerçant (B).

B- La prééminence de l’effet attributif immédiat sur le délai de grâce du débiteur commerçant.

Dans cette partie, il est très important pour nous de montrer d’abord que l’effet attributif immédiat dévolu à la saisie attribution est incommode avec le délai de grâce qu’un débiteur commerçant peut demander (1) puis que cette idée est conforté par la jurisprudence en droit OHADA (2).

1- L’incommodité de l’effet attributif immédiat sur le délai de grâce du débiteur commerçant.

L’effet attributif immédiat reconnu à la saisie attribution met en mal la demande d’un délai de paiement du débiteur saisi, lorsqu’il traverse des difficultés économiques ou financières.

En principe, le débiteur commerçant qui traverse des difficultés financières ou économiques et qui rapporte la preuve de ses prétentions peut demander à la juridiction compétente que lui soit accordé un délai de paiement. Ce délai prend le nom en voies d’exécution de délai de grâce.

Dans un tel cas, la juridiction compétente saisi peut en tenant compte de la situation du débiteur et des besoins du créancier, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues dans la limite d’une année. Ce délai octroyé par le juge au débiteur saisi prend le nom de délai de grâce en matière de voies d’exécution.

Ce délai qui s’identifie à un délai supplémentaire s’avère impertinent en matière de saisie attribution lorsqu’il y a location-gérance ou vente du fonds de commerce.

En effet, la saisie attribution a pour effet de transmettre la propriété des fonds au créancier saisissant. Ce faisant, lorsque l’acte de saisie est signifié au tiers séquestre détenteur du prix de vente du fonds de commerce, ce montant est supposé, sorti du patrimoine du débiteur pour intégrer celui du créancier. Ce dernier devient automatiquement le créancier du tiers saisi. Certains auteurs admettent même que le paiement peut à cet instant effectué et que la remise matérielle des fonds ne constituent qu’une simple formalité d’usage. Dans cette optique, la saisie ayant produit son effet, il n’y a plus rien à suspendre et le délai de grâce apparait théoriquement impossible. La jurisprudence OHADA ne s’est pas écarté de cette idée (2).

2- Le maintien jurisprudentiel de la prééminence de l’effet attributif immédiat sur le délai de grâce du débiteur commerçant en droit OHADA.

Il faut reconnaitre qu’en l’état actuel, la jurisprudence en droit OHADA est toujours sur l’idée que l’on ne peut admettre le délai de paiement en cas de saisie attribution. Le juge ne peut pas suspendre les effets de la saisie attribution en accordant des délais de paiement.

En outre, pour la jurisprudence, le paiement fait par le tiers saisi au créancier saisissant en vertu de la saisie attribution pratiquée par celui ci ne peut être remis en cause par l’octroi au débiteur d’un délai de grâce. Dans une autre affaire récente le juge de la Cour d’appel de Bangui a pu affirmer que l’article 155 AUPSRVE donne la priorité au premier saisissant, lorsque la signification intervient à une autre date ultérieure, même si ce créancier est privilégié et que ce dernier ne peut que se contenter du reliquat disponible et cela en raison du cantonnement automatique reconnu à l’acte de saisie attribution diligentée par le créancier premier saisissant.

Les limites de la saisie attribution, témoigne bien que cette procédure nécessite un réaménagement pour une meilleure application à la location-gérance ou à la vente du fonds de commerce.

II- La nécessité du réaménagement de la saisie attribution des créances de sommes d’argent en cas de location-gérance et de vente du fonds de commerce.

On ne saurait parler du réaménagement de la saisie attribution des créances de sommes d’argent sans de prime abord évoquer les modalités de ce réaménagement (A) et les effets que ce réaménagement pourrait entrainer (B).

A- Les modalités du réaménagement.

Comme nous l’avons vu plus haut, les limites de la saisie attribution des créances de sommes d’argent dans les opérations du fonds de commerce tiennent à l’atteinte de l’égalité entre les créanciers et la prééminence de l’effet attributif sur l’octroi d’un délai de grâce au débiteur commerçant. Un meilleur réaménagement impliquerait que soit rechercher le rétablissement de l’égalité entre les créanciers (1) et que l’on admette un délai de grâce au débiteur commerçant (2).

1- A la recherche d’un rétablissement de l’égalité entre les créanciers.

Il est tout à fait incontestable que l’immédiateté de l’effet attributif de l’acte de saisie attribution des créances de sommes d’argent détenus par le locataire-gérant ou le séquestre du prix de vente d’un fonds de commerce, porte atteinte aux règles substantielles du Code civil qui admettent le concours entre les créanciers et la prise en compte des causes légitimes de préférence.

Dans le but de rétablir, l’égalité entre les créanciers, il serait tout à fait primordial que l’on prenne en compte les causes légitimes de préférence tout en accordant un délai pour permettre aux créanciers opposants de s’adjoindre à la procédure de saisie attribution.

La reconnaissance des causes légitimes de préférence trouve sa raison d’être dans le fait qu’il est très difficile de comprendre que les règles substantielles et fondamentales du droit civil soient complètement bafoués au profit d’un créancier parfois chirographaire, parce qu’il a simplement diligenté le premier les mesures d’exécution contre le débiteur.

Or très souvent le premier saisissant est certes le plus rapide mais pas forcément le plus diligent.

Par ailleurs, le rétablissement de l’égalité entre les créanciers peut passer par l’octroi d’un délai qui permettra aux créanciers privilégiés de se joindre à la procédure de saisie attribution déjà engagée. Une telle idée trouve des fondements en droit comparé plus précisément en droit français et pourrait s’appliquer en droit OHADA.

En effet, en droit français, lors de l’adoption de la Loi du 9 juillet 1991 relative aux procédures civiles d’exécution, un débat sur l’article 43 qui était l’article 42 du projet de cette loi et qui correspond aux articles 154 et 155 al.1 AUPSRVE avaient opposé les parlementaires entrainant deux groupes qui se composaient des partisans de la célérité de la procédure et un autre groupe partisans de l’égalité entre les créanciers.

Si les premiers semblent l’avoir emporté dans les débats, les propositions faites par ceux de l’égalité pourraient inspirer le législateur OHADA. Les parlementaires de l’égalité entre les créanciers avaient estimé que l’article 42 qui correspond aux articles 154 et 155 al. 1 AUPSRVE était dangereux et source de grave inégalités de traitement entre les créanciers.

En plus de cela ils proposaient que soit institué un délai de 15 jours suivant la signification de l’acte de saisie au tiers, pour que soit publié l’acte de saisie au BODACC pour permettre aux créanciers de se joindre à la procédure.

Le législateur OHADA pourrait s’inspirer de cette dernière position qui a l’avantage d’assurer l’égalité entre les créanciers, dans la mesure où déjà il est accordé un délai de un mois au débiteur pour contester la saisie attribution pratiquée et pendant l’écoulement de ce délai, aucun paiement n’est possible. De ce fait instaurer un délai de publication qui ne saurait excéder un mois au profit des créanciers opposants ne saurait freiner la procédure de saisie attribution. De plus, dans la pratique, le paiement effectif ne se passe qu’après des mois voire des années. Cette publication pourra être faite au RCCM et par le débiteur qui à intérêt à le faire s’il veut éviter une saisie par d’autres créanciers lorsqu’il s’engagerait à passer d’autres contrats de location-gérance par exemple.

Après le rétablissement de l’égalité entre les créanciers par l’admission d’un délai pour permettre leur jonction à la procédure et la prise en compte des causes légitimes de préférence, un délai de grâce au débiteur doit être reconnu à celui-ci (2).

2- L’admission du délai de grâce au débiteur commerçant.

La plupart des commerçants vivent grâce à leur fonds de commerce. La conclusion d’un contrat de location-gérance ou une vente du fonds de commerce peut être motivée par plusieurs raisons telles que les difficultés financières que traversent le propriétaire du fonds à un moment de l’exploitation de son bien. Etant sa principale source de revenu, sans laquelle il ne peut prendre soin de sa famille, le législateur OHADA a élaborer la mesure de délai de grâce pour que le débiteur saisi ne soit pas asphyxier par les voies d’exécution diligentées contre lui. L’admission de cette mesure ne remet pas complètement en cause la saisie attribution et cela en raison d’une part du caractère facultatif du délai de grâce. En effet, l’octroi du délai de grâce relève du pouvoir souverain des juges au regard des considérations telles que les circonstances personnelles, familiales, ou professionnelles dans lesquelles se trouvent le débiteur voire même la bonne foi de ce dernier. D’ailleurs, la demande du délai de grâce peut être déclarée irrecevable par le juge, si le débiteur ne propose pas un terme de paiement de sa dette.

Proposer un échéancier de paiement, pourra permettre de rassurer le créancier et de vite trouver une issue au conflit. L’appréciation laissée au juge en la matière constitue donc une garantie de ce que la mesure sera nécessairement justifiée par l’état de besoin que caractérisera la situation du débiteur.

D’autre part, l’admission du délai de grâce au débiteur commerçant doit être admis par le législateur OHADA, pour la simple raison que l’effet suspensif que confère le délai de grâce et qui est en principe en opposition avec l’effet attributif immédiat dévolu à la saisie attribution n’a pas empêcher en droit comparé les juges français à suspendre l’effet attributif immédiat de la saisie attribution.

En effet, la question s’est posée en France de savoir si le pouvoir de suspension accordé au juge et qui constitue l’une des caractéristiques du délai de grâce peut s’appliquer en matière de saisie attribution ? pour la première chambre civile de la cour de cassation « une voie d’exécution à effets successifs, même si elle est devenue définitive peut voir ses effets suspendus si cette mesure s’impose pour permettre à terme le redressement du débiteur surendetté ». Par cette jurisprudence, le droit français admet désormais qu’un délai de grâce soit accordé au débiteur lorsqu’il est en cause la protection d’un intérêt vulnérable et légitime.

Il nous semble au regard de ce qui a été dit, et à l’instar de la doctrine qu’il convient d’accorder au juge de l’exécution en droit OHADA, le droit d’accorder des délais de paiement au débiteur commerçant tant que le délai de contestation n’est pas expiré.

Après avoir vu les modalités du réaménagement de la saisie attribution, il est important de voir les effets du réaménagement (B).

B- Les effets du rétablissement de l’égalité entre les créanciers.

Il s’agira pour nous de voir dans un premier temps, les effets du rétablissement de l’égalité entre les créanciers (1) puis dans un second temps les effets de l’admission du délai de grâce au débiteur (2).

1- Les effets du rétablissement de l’égalité entre les créanciers.

Le rétablissement de l’égalité entre les créanciers que nous avons proposé et qui passe par la prise en compte des causes légitimes de préférence et la mise en œuvre d’un délai pour l’adjonction des créanciers opposants, aura l’avantage de permettre le concours entre les créanciers du vendeur du fonds ou du bailleur du fonds. Ce concours favorisera la prise en compte dans la distribution des sommes saisies des sûretés et privilèges dont les créanciers autres que le saisissant auront pris la peine de s’en procurer.

Si pendant longtemps, la jurisprudence a écarté explicitement le jeu des causes de préférence, tout en estimant que « la spontanéité de la saisie attribution a pour corollaire nécessaire le rang des créanciers qui est uniquement fonction de leur rapidité à intervenir et non des causes traditionnelles de préférence », le concours entre les créanciers que le rétablissement de l’égalité pourra entrainer n’est pas une idée ignorée par le législateur OHADA lui même.

En effet le concours entre les créanciers, corollaire du rétablissement de l’égalité est consacrée dans toute sa vigueur dans certaines procédures de saisie existantes en Droit OHADA, notamment, la saisie vente, la saisie immobilière. La saisie rémunération va plus loin en admettant même que « en cas de pluralité de saisies, les créanciers viennent en concours sous réserve des causes légitimes de préférence ». Devant un tel état des faits, il n’y a donc pas de raison d’admettre totalement le concours dans certaines saisies et le restreindre dans d’autres ou même ne pas le prévoir dans d’autres, surtout que la saisie attribution porte uniquement sur des créances de sommes d’argent susceptible de disparaître très vite.

Même si l’on pourrait croire que la prise en compte des causes légitimes de préférence a pour conséquence de priver la saisie attribution de toute efficacité pour les créanciers chirographaires, il ne faut pas penser que l’intention du législateur est de donner une certaine efficacité à ceux ci. Le législateur compense le créancier le plus vigilant qu’il soit privilégiés ou chirographaire.

La revalorisation du titre exécutoire étant l’un des buts de l’AUPSRVE, cela ne veut pas dire qu’il faut faire tomber le jeu des causes de préférence en cas de saisie attribution. En un mot, le rétablissement de l’égalité entre les créanciers permettra de lutter contre l’injustice que peut entrainer la saisie attribution.

Après les effets du rétablissement de l’égalité entre les créanciers, il convient maintenant de voir les effets de l’admission du délai de grâce au débiteur (2).

2- Les effets de l’admission du délai de grâce au débiteur commerçant.

L’admission du délai de grâce en tant que laps de temps ou une faveur accordée par le juge à tout débiteur de bonne foi, lorsque les circonstances permettent de penser qu’il pourra dans un temps raisonnable se reconstituer financièrement afin de pouvoir payer ses dettes sans risque de cessation de ses activités sera une mesure bénéfique pour le débiteur qui pourra profiter de cette occasion pour payer ses dettes tout en continuant effectivement ses activités dont dépend sa survie.

La proposition d’une admission d’un délai de grâce dans un délai qui ne saurait excéder le délai de contestation pourra permettre au débiteur trop accablé de dettes, plutôt que de contester la saisie de demander au juge un délai pour lui permettre de s’acquitter de sa dette.

En effet, très souvent, c’est parce qu’il ne dispose pas d’issue que le débiteur est obligé de contester. Lui donner du temps pour qu’il paye pourra permettre de désengorger nos tribunaux.

Par ailleurs, c’est parce qu’il veut tirer bénéfice de son fonds plutôt que de le laisser inexploité que le propriétaire du fonds conclu un contrat de location-gérance ou une vente du fonds de commerce, or comme on le sait pour que le créancier vive, il faut que le débiteur survive. Le délai de grâce, permettra de réaliser cette idée. En clair, n’en déplaise au créancier, l’octroi du délai de grâce reste une mesure à caractère humain.

Le créancier n’a pas à craindre l’octroi d’un délai de grâce au débiteur, pour la simple raison que le délai de grâce n’emporte suspension que des poursuites à venir. Toutes choses restant en état. La saisie attribution qu’il aura effectué survivra à l’expiration du délai accordé. D’ailleurs, une saisie attribution effectuée après la première saisie suspendu par le délai de grâce serait pour la jurisprudence certes valables mais sera privé de son effet attributif immédiat.

Conclusion.

En somme, il est clair que même s’il est possible pour le créancier saisissant d’un débiteur du fonds de commerce de saisir attribuer les sommes d’argent que le fonds de commerce peut générer lorsqu’il est mis en location-gérance ou vendu, avant que le prix de vente ne soit entre les mains du vendeur, l’impérialisme de l’effet attributif immédiat que procure la saisie attribution des créances de sommes d’argent diligentée dans ses deux opérations, se heurte à un défaut de concordance législative avec le concours des créanciers et la prise en compte des causes légitimes de préférence posés par le Code civil et empêche toute possible admission du délai de grâce par le juge au débiteur détenteur du fonds de commerce qui peut traverser des difficultés pour désintéresser l’ensemble de ses créanciers lorsque notamment les montants que produits la location-gérance et de vente s’avère insuffisants.

L’assouplissement des règles de la saisie attribution des créances de sommes d’argent, loin de contrarier l’ambition du législateur OHADA de mettre en place des procédures rapides et efficace demeure nécessaire.

Références.

- Donnier (M.) et Donnier (J-B), Voies d’exécution et procédures de distribution, Paris, Litec, 6ème éd., 2001, p.323.
- Couchez (G.) et Lebeau (D.), Voies d’exécution, Paris, Dalloz,12ème éd., 2010, p.145.
- Gnagne Yedmel, La saisie attribution à l’épreuve de la procédure collective, master, Droit, Paris, université de Paris 1, 2012, p.2.
- Amina Balla Kalto, la protection des créanciers du vendeur du fonds de commerce dans l’espace Ohada, revue de l’Ersuma : Droit des affaires-professionnelles, n°6, janvier 2016, pp. 178-205.
- Ehret (P.), « La saisie attribution et les difficultés avec les tiers saisis », revue juridique de l’ouest, 1997, pp.103-129.
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- CCJA, n°228, 15-7-2004 : Mobil Oil Côte D’ivoire c/ Les centaures routiers, ohadata J-05-170, le juris-ohada n°4/2004, p.14, note Brou Mathurin.
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- CCJA, arrêt n°035/2005 du 2 juin 2005, Madame Khouri Marie c/ Société Hyjazi Samih et Hassane dite induschimie et Société Générale de Banque en Côte D’ivoire dite SGBCI, GD-CCJA, p.569, obs. Sylvain Sorel Kuate.
- Cass. Civ., 2ème ch.civ., 4-10-2001, Bull. Civ., n°150, p.103.
- CA Bangui (Centrafrique), ch.civ et com., n°295, 15-12-2010 : Sté Orange Centrafrique c/ N.E.A. et S. L., sté Médiz International, Dir.Gén. des impôts, ohadata J-12-198.
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- Cass.civ., 1ère ch. civ., 14 mars 2000, n°98-04071, Bull.civ., I, n°94, p.63.
- Ajavon (A.), les procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution de l’Ohada [1].
- Falilatou Mora, Le délai de grâce dans l’exécution forcée en droit OHADA : Un report du terme mitigé pour le débiteur, master, Droit, Bénin, université de Parakou, 2018, p.17.
- Cass. civ., 2ème ch.civ., 14 octobre 1999. D.2000, n°36, p.754, note Soustelle Phillippe.

N’Dri N’dah Florent, juriste en droit des affaires et droit économique, Université Catholique de l’Afrique de l’Ouest (UCAO-UUA)
ndrindahflorent chez gmail.com

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[1https://www.theses.fr/2010TOU10067 consulté le 26 juin 2022 à 12h 25

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