Licenciement : faute disciplinaire et insuffisance professionnelle.

Par M.Kebir, Avocat.

4754 lectures 1re Parution: 5  /5

Ce que vous allez lire ici :

Le licenciement peut être motivé par une faute disciplinaire ou une insuffisance professionnelle. La lettre de licenciement fixe les limites du litige et doit préciser les motifs du licenciement. La motivation de la lettre de licenciement a été assouplie récemment, permettant à l'employeur de préciser les motifs après la notification du licenciement.
Description rédigée par l'IA du Village

Dénué de toute faute, le licenciement pour insuffisance professionnelle s’apprécie à l’aune de la prestation du salarié, en termes de compétence et capacité, devant lui permettre d’accomplir, valablement, ses missions contractuelles.
De surcroît, cette rupture à l’initiative de l’employeur doit être impérativement prévue par la Convention collective applicable et justifiée par des éléments concrets, objectifs, vérifiables, imputables au salarié.

-

Ainsi, distincts grâce à leur nature et une motivation spécifique, le licenciement disciplinaire intervient au titre de sanction d’un manquement, alors que l’insuffisance professionnelle, elle, est retenue en dehors du champ de la faute.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige, relatives aux faits reprochés au salarié et les conséquences qui en découlent.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige.

De droit constant, lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception, comportant « l’énoncé du ou des motifs invoqués par l’employeur » [1].

Substantiellement, la lettre de licenciement pose, ainsi, les termes du contradictoire devant le Juge prudhommal. Ceci concerne, à la fois, les licenciements prononcés pour un motif économique ou disciplinaire. Il en résulte une obligation de motivation, à la charge de l’employeur :

« L’employeur est tenu d’énoncer le ou les motifs du licenciement dans la lettre de licenciement » [2].

Partant, la conséquence de ce principe est double. D’abord, l’employeur n’est pas fondé à invoquer de nouveaux griefs à la suite de la notification de la lettre de licenciement.

Ensuite, au regard de son appréciation souveraine, le juge se borne à examiner, exclusivement, les motifs énoncés dans la lettre de licenciement.

En d’autres termes, le défaut d’énonciation d’un motif, précis, matériellement vérifiable, emporte absence de motif, privant, dès lors, le licenciement de cause réelle et sérieuse. A ce titre, un seul motif précis est de nature à satisfaire à l’obligation de motivation :

« Pour décider que le licenciement du salarié était dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’arrêt attaqué a retenu que la lettre de rupture ne contenait l’énoncé d’aucun motif, l’employeur ne se prévalant que d’une démission.
Qu’en statuant ainsi, alors que dans la lettre du 23 octobre 1990, l’employeur reprochait au salarié d’être parti depuis le 19 octobre, après lui avoir remis les clefs, ce qui constituait un motif précis
 » [3].

Sur ce point, la motivation se traduit par l’énonciation des faits concrets qui seront soumis au régime de la preuve en matière civile.

Par ailleurs, évolution notable, dans le sillage de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 [4], les principes régissant la motivation de la lettre de licenciement ont été notablement assouplis.

Concrètement, les motifs peuvent être précisés par l’employeur, au terme de la notification de la lettre de rupture, invariablement, soit de sa propre initiative, soit à la demande du salarié.

En effet, de sa propre chef, l’employeur peut y apporter des précisions dans les quinze jours suivant la notification du licenciement, conformément aux dispositions de l’article R1232-13 Code du travail :

« Dans les quinze jours suivant la notification du licenciement, le salarié peut, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, demander à l’employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement.
L’employeur dispose d’un délai de quinze jours après la réception de la demande du salarié pour apporter des précisions s’il le souhaite. Il communique ces précisions au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé.
Dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement et selon les mêmes formes, l’employeur peut, à son initiative, préciser les motifs du licenciement
 » [5].

Au fond, si cette option de précision des motifs est exercée, elle a pour effet de fixer les limites définitives du litige.

Précisément, aux fins d’une meilleure défense relativement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse du licenciement, le salarié gagnerait à solliciter telle précision des motifs, notamment en cas de doute sur la réalité et le caractère vérifiable des faits (Voir la publication Licenciement : précision des motifs par l’employeur après la rupture, enjeux et actualité. Par M. Kebir, Avocat et Timothée Delobel, Juriste stagiaire.).

En cela, notons « qu’aucune disposition n’impose à l’employeur d’informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés » [6].

Faute disciplinaire et insuffisance professionnelle.

Tel que dit supra, le licenciement pour insuffisance professionnelle est exclusif de toute faute du salarié. Étant précisé que l’insuffisance professionnelle ne s’analyse pas comme faute mais se rapporte à la compétence et l’aptitude du salarié de nature à accomplir ses missions de façon appropriée, conformément aux stipulations contractuelles.

Ici, par un récent arrêt du 17 janvier 2024, la Cour de Cassation a rappelé que la lettre de licenciement qui reprochait au salarié divers manquements à ses obligations professionnelles, il importe de considérer, en l’espèce, que le licenciement est prononcé pour un motif disciplinaire et non pour insuffisance professionnelle. En conséquence, la procédure disciplinaire devait être appliquée :

« La lettre de licenciement reprochait à la salariée divers manquements à ses obligations professionnelles, tels son refus d’assurer, malgré les directives de son supérieur, le poste de secrétaire de l’instance départementale d’instruction des recours amiables, ses absences aux comités de direction, sans prendre le soin de désigner un suppléant, alors qu’elle avait été alertée à plusieurs reprises par des instructions de son supérieur sur l’importance d’assister à ces réunions, ou encore ses absences aux réunions de l’instance régionale de coordination des CHSCT au cours de l’année 2014 alors que sa fiche de poste précisait qu’elle gérait la politique régionale, la cour d’appel, qui devait en déduire que le licenciement avait été prononcé pour un motif disciplinaire et vérifier si la procédure disciplinaire avait été respectée » [7].

En l’espèce, à la suite d’un conflit opposant une cheffe départementale de l’URSSAF à sa direction, celle-ci est licenciée pour insuffisance professionnelle.

La salariée conteste la rupture invoquant la convention collective qui prévoit que seul le conseil d’administration de l’URSSAF décide du licenciement disciplinaire d’un agent de direction, après avis de la commission de discipline.

La cour d’appel juge le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, en ce que :

  • les faits relevés dans la lettre de licenciement ne revêtent pas un caractère disciplinaire déguisé qui aurait nécessité l’autorisation du conseil d’administration,
  • dans la mesure où « l’employeur reprochait à la salariée des difficultés de positionnement dans ses nouvelles fonctions de directrice régionale ainsi qu’une absence de résultats et en conclut que l’insuffisance professionnelle est établie ».

Raisonnement censuré par la Chambre sociale qui retient, à juste titre, que licenciement relevait du disciplinaire. En claire, si la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les faits articulés à l’encontre du salarié et les conséquences que l’employeur entend en tirer quant aux modalités de la rupture, il appartient au juge de qualifier les faits invoqués.

Pour la Haute assemblée, « en statuant ainsi, alors que la lettre de licenciement reprochait à la salariée divers manquements à ses obligations professionnelles,

  • tels son refus d’assurer, malgré les directives de son supérieur, le poste de secrétaire de l’instance départementale d’instruction des recours amiables,
  • ses absences aux comités de direction
  • ses absences aux réunions de l’instance de coordination des CHSCT, prévue par sa fiche de poste.
  • la Cour d’appel devait en déduire que le licenciement avait été prononcé pour un motif disciplinaire et vérifier si la procédure disciplinaire avait été respectée » [8].

Il s’ensuit que la lettre de licenciement doit être rédigée avec rigueur. Des griefs de nature disciplinaire entraînent la mise en œuvre de la procédure disciplinaire prévue par la convention collective.

Licenciement pour insuffisance professionnelle et convention collective.

️Le licenciement pour insuffisance professionnelle est privé de cause réelle et sérieuse, s’il n’est pas prévu par la convention collective. Confirmant sa jurisprudence, la Cour régulatrice a récemment rappelé que :

« Les conventions et accords collectifs de travail peuvent limiter les possibilités de licenciement aux causes et conditions qu’ils déterminent et qui ne rendent pas impossible toute rupture du contrat de travail » [9].

Au cas d’espèce, la convention collective nationale des réseaux de transports publics urbains de voyageurs prévoit que les agents titulaires ne peuvent être licenciés que pour faute grave sur avis motivé du conseil de discipline.

En cela, les motifs de rupture autorisés sont notamment : démission, licenciement collectif, départ à la retraite, inaptitude…

Ainsi, l’insuffisance professionnelle procède d’un motif non prévu par les dispositions conventionnelles, limitant préalablement les cas de licenciement :

« La cour d’appel a exactement décidé que l’article 17 de la convention collective ne s’appliquait pas uniquement aux licenciements fondés sur un motif disciplinaire et que la convention collective n’envisageait pas, pour les agents titulaires, de rupture du contrat de travail pour un autre motif que disciplinaire, économique avec le licenciement collectif ou pour inaptitude, et en a déduit à bon droit que le licenciement prononcé pour insuffisance professionnelle de la salariée était sans cause réelle et sérieuse » [10].

A ce propos, les licenciements prononcés pour un motif autre que ceux fixés par la convention conventionnelle sont dépourvus de cause réelle et sérieuse [11].

Pour rappel, comme exposé supra, le licenciement pour insuffisance professionnelle ne suppose aucune faute, simple soit-elle : est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour insuffisance professionnelle fondée sur des faits fautifs :

« Il était fait grief à la salariée d’avoir refusé de manière presque systématique de se soumettre aux directives de son responsable hiérarchique, d’avoir refusé de serrer la main de son supérieur et convoquée à son bureau , refusé de s’asseoir, d’avoir critiqué la politique managériale et de s’être opposée, parfois de manière virulente, à son responsable, ce dont il résultait que le licenciement avait été prononcé pour des motifs disciplinaires » [12].

Sur un autre registre, l’insuffisance professionnelle ne se confond pas avec l’insuffisance de résultats : celle-ci suppose un objectif écrit, quantifié, réalisable et non atteint. En ce sens que, la seule insuffisance de résultats n’était pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement [13].

En substance, différente par sa nature, l’insuffisance professionnelle, carence dans l’accomplissement de la mission, constitue un motif de licenciement pour motif personnel sans faute, en raison d’une incompétence, mauvaise qualité de travail…

Qui plus est, pour caractériser une cause réelle et sérieuse, l’insuffisance professionnelle doit être prouvée par l’employeur au travers des éléments concrets, objectifs, vérifiables, imputables au salarié [14]. En outre, le motif de l’incompétence doit être caractérisé :

« Mais attendu que recherchant, à la demande du salarié, la véritable cause du licenciement sans s’en tenir à l’apparence des motifs allégués dans la lettre de licenciement, la cour d’appel, exerçant les pouvoirs qu’elle tient de l’article L122-14-3 du Code du travail, a retenu que, postérieurement à l’acquisition du groupe par un nouvel actionnaire, les nouveaux dirigeants avaient voulu se séparer des cadres liés à la précédente direction et que l’insuffisance professionnelle alléguée n’était pas la véritable cause du licenciement » [15].

Aussi est-il écarté, à ce sujet, le « manque d’imagination, d’initiative et de dynamisme commercial » [16].

Dans le même ordre d’idées, ont été, entre autres, admis au de l’insuffisance professionnelle :

  • l’incompétence [17]
  • l’inadaptation professionnelle [18]
  • désorganisation, travail insuffisant [19].

Par une appréciation souveraine, le juge prend en compte, notamment :

Par ailleurs, l’employeur qui licencie un salarié pour insuffisance professionnelle doit avoir respecté son obligation de formation et d’adaptation du salarié à l’évolution du poste [20].

De telle sorte que les erreurs du salarié ne doivent pas être imputables à un manque de formation, étant entendu que l’employeur doit adapter le travail à l’homme [21].

De plein droit, le salarié licencié pour ce motif a droit au respect du préavis et au bénéfice des indemnités de licenciement.

En définitive, en termes de conflits de travail relatifs à l’appréciation d’une prétendue faute ou une incompétence soupçonnée du salarié, le dialogue, la négociation et la médiation sont des leviers précieux en vue d’une issue concertée, pacifiée, moins couteuse et durable. Le salarié, l’organisation, la société y gagneront.

M. Kebir
Avocat à la Cour - Barreau de Paris
Médiateur agréé, certifié CNMA
Cabinet Kebir Avocat
contact chez kebir-avocat-paris.fr
www.kebir-avocat-paris.fr
www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

2 votes

Notes de l'article:

[1Article L1232-6 Code du travail.

[2Cass. Soc. 29 nov.1990 n°88-44.308.

[3Cass. Soc. 8 nov. 1994 n°93-41.309.

[4Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail.

[5Article R1232-13 Code du travail.

[6Cass. Soc., 29 juin 2022, n° 20-22.220.

[7Cass, Soc, 17 janvier 2024, n° 22-14.114.

[8Idem.

[9Cass. Soc., 10 janv. 2024, n° 22-19.857.

[10Cass. Soc., 10 janv. 2024, n° 22-19.857.

[11Cass. Soc. 25 mars 2009, n° 07-44.748.

[12Cass. Soc., 09 janvier 2019 n° 17-20.568.

[13Cass. Soc. 14 nov. 2000, n° 98-42.371.

[14Cass. Soc, 20 septembre 2006, n°04-48.381.

[15Cass. Soc. 20 septembre 2006, n° 04-48.341.

[16Cass. Soc, 2 juin 1988, n°2069.

[17Cass. Soc. 20 février 1990 n° 87-43.411.

[18Cass. Soc. 6 décembre 2000, n° 98-45.92.

[19Cass. Soc, 4 janvier 2000 n°97-45.292.

[20Article L6321-1 Code du travail.

[21Article L4121-2 Code du travail.

"Ce que vous allez lire ici". La présentation de cet article et seulement celle-ci a été générée automatiquement par l'intelligence artificielle du Village de la Justice. Elle n'engage pas l'auteur et n'a vocation qu'à présenter les grandes lignes de l'article pour une meilleure appréhension de l'article par les lecteurs. Elle ne dispense pas d'une lecture complète.

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 155 880 membres, 27189 articles, 127 152 messages sur les forums, 2 380 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Parution des statistiques annuelles 2024 sur l'emploi des Avocats et Juristes : l'emploi stagne !

• Publication du Rapport sénatorial "Impact de l’intelligence artificielle générative sur les métiers du droit"... et nécessaire évolution de la pratique du Droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs