Chaque individu, en tant qu’être humain bénéficie, du droit à la santé et ceci est indépendant de toutes autres considérations. Autrement dit la personne bénéficie de plein droit du droit à la santé. Le droit à la santé dont est titulaire le sénégalais comme toute autre personne trouve sa source dans la dignité de la personne humaine. Dans le dessein de garantir ce droit dit droit humain, tout État doit mettre en œuvre des voies et moyens permettant de garantir son effectivité. Ceci doit se faire en faisant fi de toutes considérations économiques, raciales religieuses ou celles liées à l’origine. Donc, tout citoyen sénégalais ne doit voir l’exercice de son droit à la santé ébranlé pour quel que motif que ce soit. Et pourtant il n’est pas rare que l’exercice de ce droit subit des coups dans les hôpitaux et toutes autres structures de santé. En effet, dans un contexte ou le citoyen sénégalais rencontre d’énormes difficultés liées souvent à la qualité des services fournis par les structures de santé, au personnel qui assure le fonctionnement de ces structures, conjuguées à celles liées au dispositif matériel, il se demande si le droit à la santé dont le débiteur est l’Etat existe-t-il. Les politiques de santé pour assurer l’effectivité de ce droit sont-elles conformes au contenu du droit à la santé ? le droit à la santé est-il un droit fondamental et inconditionnel.
Même si l’on ne peut nier les tentatives d’améliorations (la mise en place de la CMU et la note circulaire du Ministre de la santé et de l’action sociale Abdoulaye Diouf Sarr relativement à la prise en charge des urgences, laquelle note est prise dans des circonstances particulières ), vu les évènements récurrents et scandaleux, liés d’une manière générale au disfonctionnement du système sanitaire, qui secouent la société sénégalaise, le droit à la santé semble être un droit bafoué ou incompris et qu’il faut appréhender pour saisir sa quintessence [1].
Dr. Tedros Adhanom Gghebreyesus, directeur général de l’OMS, a déclaré lors de la journée des droits de l’homme en 2017 que : « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale » [2] .
Le droit à la santé est reconnu au plan national comme au plan international. En effet, la constitution sénégalaise ainsi que les textes internationaux à l’image de Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux, culturels (PIDESC), la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé, reconnaissent ce droit.
Aussi éparses qu’elles puissent être, ces sources du droit à la santé convergent vers un seul et même idéal, celui de garantir à toute personne le droit à la santé
Dès lors, on doit s’interroger sur la nature juridique de ce droit qui appartient à tout un chacun.
Le droit à la santé est un des droits de l’homme. Les droits de l’homme ne sont liés à aucune considération subjective, seule la qualité d’être humain est prise en compte. Ainsi, l’individu doit pouvoir bénéficier du droit à la santé. Le seul critère déterminant est objectif et non subjectif et cela ressort du caractère objectif même des droits de l’homme qui, selon les propos de Mr. Frédéric Sudre, « renvoient à l’identité universelle de la personne humaine et sont fondés sur le principe de l’égalité de tous les êtres humains » [3]. Cette formulation renseigne d’une manière générale sur la nature les droits de l’homme. On en déduit qu’ils ne sont liés à aucune considération subjective. En tant que droit de l’homme, le droit à la santé ne doit nullement se concevoir en dehors du principe du caractère objectif des droits de l’homme
Les droits de l’homme font l’objet de nos jours une avancée extraordinaire, incontestable avec des conséquences qui intéressent aussi bien les Etats chargés de les mettre en œuvre que les bénéficiaires. Le droit à la santé est un droit de l’homme (I) mais aussi un droit fondamental au contenu dense (II).
I- Le droit à la santé : un droit de l’homme.
Le droit à la santé étant un droit de l’homme est donc teinté de deux caractères à savoir : un droit naturel (A) qui trouve son fondement dans le concept d’être humain mais aussi un droit universel (B) car tout un chacun est créditeur.
A-Un droit naturel.
Le concept de droit naturel a toujours été le soubassement de la construction de la conception des droits de l’homme [4]. L’idéalisme juridique est le fondement de ce concept.
Le droit à la santé de l’individu, en tant que droit naturel, est inaliénable, inviolable, car inhérent à la personne humaine. L’exercice de ce droit naturel semble si évident et réel qu’on est tenté de négliger son effectivité surtout pour les citoyens des pays en voie de développement. D’après cette conception, les individus ont des droits par nature d’où l’expression « droits naturels ». Ces droits appartiennent à la personne en vertu de son statut d’être humain. Selon certains auteurs : « il ne fait aucun doute que le droit, loin d’avoir son fondement dans les conventions, tire son origine de la nature » [5]. Le droit naturel, inné, a une place importante dans la quête perpétuelle d’un besoin de protection de l’homme et ce quelle que soit sa situation de l’individu. Certes des lois doivent être édictées pour toute société mais ne peuvent aller à l’encontre d’un droit naturel et en l’espèce du droit à la santé. De là apparait la suprématie, la force indubitable du droit naturel sur le droit positif. L’édiction de règles est subordonnée au respect des droits naturels (le droit à la santé par exemple). Ce droit naturel, qui peut revêtir un caractère divin [6] , semble exister même en l’absence de société organisée avec un droit positif. Il est vrai que le droit positif régit notre vie aujourd’hui mais on ne saurait occulter les droits naturels qui, même à l’absence de normes juridiques, existent pour chacun. Ce droit ne dépend pas en réalité de la volonté de l’homme (contrairement à ce que pensent Tomas Hobbes et Kelsen [7]) mais de son essence (donc est « subi ») et son respect ne nécessite nullement l’intervention de quiconque (Etat par la législation et l’individu par la revendication) mais relève de la raison humaine. Cette idée, sous une formulation différente, est partagée par le professeur Enrique HABA selon Christophe SAUVAT dans son ouvrage titré : « Réflexion sur le droit à la santé » [8].
À côté du caractère naturel du droit à la santé de toute personne en général, on dénote une universalité.
B- Un droit universel.
L’individu bénéficie du droit à la santé qui se veut universel. Par ce seul caractère on ne saurait priver à quiconque, pour des considérations économiques et autres, du bénéfice du droit à la santé. Tout droit classé comme universel confère à chaque individu et sans limite dans le temps et dans l’espace, la qualité de créancier. Donc l’espace géographique et temporel ne peut justifier qu’il existe des manquements à l’exercice de ce droit. Cette idée est exprimée dans la déclaration de Vienne au I point 5 [9]. Ce droit n’est aucunement l’apanage des nationaux d’un quelconque Etat. Le droit à la santé étant un droit de l’homme fait partie intégrante des droits universels. L’expression la déclaration universelle des droits de l’homme par exemple atteste de cette universalité. Ainsi l’accès aux soins des individus est justifié par la primauté de l’intégrité et de la dignité humaine qui doit être respectée (tout droit de l’homme y trouve son fondement ) en toutes circonstances en tout lieu et pour tout le monde [10]. Il s’agit du respect de l’universalité du droit à la santé et par ricochet celui du principe de l’universalité de la dignité humaine selon lequel toute personne a des droits, du seul fait qu’elle est un être humain. C’est cette dignité qui offre, à tout un chacun une protection sanitaire contre tous les dispositifs qui dénient ou qui affectent négativement le droit à la santé [11]. L’inviolabilité, le respect et la protection de la dignité humaine justifient donc la prise en charge réelle de tout individu sans exclusion [12].
Tout individu peut se fonder sur le principe de dignité humaine pour requérir la protection de l’Etat en matière de santé. Michel Levinet abonde dans ce sens en considérant que le premier fondement de l’universalité « tient donc à la dignité irréductible de l’être humain- qualité ontologique, constitutive de l’être, indépendamment des appartenances sociales, ethniques, sexuées » [13].
Pour résumer, il faut surtout retenir que les deux caractères (naturel et universel) du droit à la santé dont est bénéficiaire tout individu, sont indissociables car l’un (le naturel) appelle l’autre (l’universel). C’est dans le caractère naturel du droit à la santé qu’on trouve l’universalité comme pour dire que c’est parce que ce droit est naturel qu’il est universel.
II- Le droit à la santé : un droit fondamental au contenu dense/
La nécessité de sauvegarder le droit fondamental à la santé doit être soutenue avec force pour la sauvegarde de la dignité humaine. Toute personne est titulaire de ce droit fondamental dont le contenu semble à première approche aisé à déterminer. Pour mieux saisir cette notion, examinons ses caractères qui lui attribuent une reconnaissance incontestable. Il va de soi qu’on s’intéresse à son caractère fondamental (A). Ce droit, qui s’avère être fondamental, a un contenu très dense qu’il faut appréhender (B).
A-Un droit fondamental.
L’individu est titulaire en matière sanitaire d’un droit naturel, universel mais aussi fondamental. En raison de son caractère fondamental, le droit à la santé est consacré et protégé par des dispositions constitutionnelles. C’est l’un des droits fondamentaux considérés par le Professeur Andreas AUER comme : « un ensemble de droits et de garanties que l’ordre constitutionnel reconnaît aux particuliers dans leurs rapports avec les autorités étatiques » [14]. Par l’intervention de l’Etat, le droit à la santé figure de nos jours dans l’ordonnancement juridique des Etats. Ceci implique une protection contre tous les pouvoirs. De par son importance, certainement influencée par les deux autres particularités (droit naturel et universel), ce droit est hissé au plus haut sommet de l’ordre juridique. Par ce fait, il figure dans la norme dite suprême qu’est la Constitution [15], ce qui lui confère le rang de droit fondamental. On a une protection constitutionnelle doublée d’une protection renforcée par les dispositions internationales. Par ce même fait, c’est un droit positif donc à valeur juridique dans le sens des positivistes. Les personnes privées, l’administration et le législateur se trouvent en fait liés, donc ne peuvent empêcher à toute personne d’exercer ce droit d’où la nécessaire intervention de l’Etat, du juge constitutionnel et supranational pour donner à ce droit une incontestabilité.
Ce droit à la santé de l’individu est aussi fondamental en raison de son essence comme tous les autres droits fondamentaux que le Professeur Etienne Picard qualifie de : « droits assez essentiels pour fonder et déterminer, plus ou moins directement, les grandes structures de l’ordre juridique tout entier en ses catégories, dans lequel et par lesquelles ils cherchent à se donner ainsi les moyens multiples de leurs garanties et de leur réalisation » [16]. Le droit à la santé, droit à valeur constitutionnelle,
Le droit à la santé qui constitue un des droits les plus primordiaux de l’individu a un contenu qu’il faut déterminer.
B- Un droit au contenu dense.
On peut cerner le contenu de ce droit à travers les différentes prérogatives qui le composent.
On peut retenir que :
1) le droit à la santé renvoie à un système de protection de la santé. Ceci est le soubassement du droit à la protection de la santé qui permet à chaque personne de bénéficier d’un meilleur état de santé possible. Pour ce faire, il est fait obligation à l’État de respecter non seulement la santé de tout individu mais aussi de protéger celle-ci. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que ce droit entre dans la catégorie de droit-créance puisqu’il contraint tout Etat à mettre en place tous moyens indispensables à la protection de la santé de l’individu ;
2) la prévention et le traitement des maladies et l’accès aux médicaments essentiels [17] ;
3) l’accès égal et en temps voulu aux services de santé de base. L’objectif est d’instaurer la non-discrimination et l’accessibilité sans oublier bien entendu la qualité ;
4) une éducation à la santé et une information ;
5) la santé maternelle, infantile et procréative ;
6) un environnement sain et à un logement décent ;
On peut noter que le droit à la santé ne peut être réalisé que si d’autres droits humains se trouvent réalisés. Ce qui revient à dire qu’il est lié et dépendant. La réalisation de ce droit est donc intrinsèquement liée à celle des droits tels que : logement, nourriture, travail, niveau de vie suffisant, information et éducation, non-discrimination etc.
Certaines précisions s’imposent pour mieux cerner la notion.
Le droit à la santé n’est nullement le droit à être en bonne santé, car l’État n’est tenu que d’une obligation de moyen et non de résultat [18]. Ainsi, le droit de la santé peut être défini comme le : « droit de bénéficier de la diversité des biens, infrastructures, services et conditions nécessaires à sa réalisation » [19] .
Résumer le droit à la santé au droit d’accès aux soins au sens restrictif est inexact car le premier renvoie à une approche préventive et une approche curative alors que le second ne prend en compte que le traitement. L’expression « accès aux soins de santé », fréquemment utilisée est parlante puisque à travers sa formulation restrictive du droit d’accès aux soins, le droit à la santé intervient au moment où le corps humain est affecté. Dès lors une question se pose : définir le droit à la santé, par la conception réductrice de la notion de « accès aux soins de santé » permet-il de rendre totalement compte du contenu de ce droit ?
On peut répondre sans nul doute à cette question par la négative car l’un des aspects majeurs du droit à la santé, la prévention, n’est pas au rendez-vous.
De là définir ce droit par le droit d’accès aux soins est donc une approche restrictive selon le professeur Michel Bélanger membre fondateur du réseau chercheurs « Droit de la Santé », « car elle correspond principalement à l’organisation des soins curatifs considérés comme appropriés » [20]
Occulter une autre composante du droit à la santé qui est le droit à la sécurité sociale revient à donner une portée limitée à ce droit. Ce droit à l’image du droit à la protection de la santé est un droit-créance et ouvert à toute personne et dont l’Etat du Sénégal comme tout autre Etat doit assurer en toutes circonstance d’autant plus que la Constitution, en son article 7 dispose que : « La personne humaine est sacrée. Elle est inviolable. L’Etat a l’obligation de la respecter et de la protéger ».