Cependant, l’émergence et la croissance exponentielle des litiges BEN/FRAND en Europe ces dernières années, qui expliquent que la Commission européenne se soit saisie de la question [4], ont conduit à la recherche de solutions durables synonymes d’une plus grande sécurité juridique.
Nous souhaitons ici réaliser un état des lieux des interactions possibles entre la JUB et les BEN/FRAND. Le système de la JUB ouvre en effet de nouvelles perspectives en offrant une juridiction susceptible de se prononcer sur les questions FRAND, et plus particulièrement sur la détermination des redevances. Néanmoins, nous verrons que l’analyse apporte (très) peu de réponses pour l’instant, alors qu’en revanche elle révèle de nombreuses questions auxquelles seule la juridiction elle-même pourra apporter des réponses. Sans prétendre dresser une liste exhaustive de ces questions, nous allons énumérer celles qui nous viennent immédiatement à l’esprit.
La première série de questions concerne l’étendue de la compétence de la nouvelle cour. Ou, en d’autres termes, les limites de son for en matière de BEN/FRAND. La cour sera-t-elle compétente pour fixer les conditions d’un taux de redevance FRAND ? La réponse n’est pas évidente. En effet, l’article 32, paragraphe 2, de l’Accord JUB délimite la compétence exclusive de la cour et ne mentionne pas les litiges BEN/FRAND. Il est donc douteux que la cour soit compétente pour les actions FRAND indépendantes (même si la question de l’exhaustivité éventuelle de l’article 32, paragraphe 2, reste posée). Toutefois, il devrait être possible d’invoquer les conditions FRAND, en d’autres termes le non-respect des obligations FRAND, comme moyen de défense. Mais, là encore, une nouvelle question se pose : la cour se prononcera-t-elle sur la question de savoir si les clauses d’une licence sont ou non FRAND ? Ou au contraire, en l’absence de dispositions spécifiques concernant cette compétence dans l’Accord, la cour refusera-t-elle d’examiner cette question ? Pour l’instant, le seul indice dont nous disposons est la déclaration du juge Rian Kalden de la JUB selon laquelle si la cour peut calculer des dommages-intérêts en tenant compte des redevances qui auraient été versées en cas de licence, elle doit également être en mesure de calculer ce qu’est une redevance raisonnable dans le cadre d’un contrat de licence.
Et si la cour s’estime compétente, quelle approche adoptera-t-elle : une approche similaire à celle des pays de droit civil ou de common law ? En résumé, si les juridictions de droit civil ont parfois affirmé leur compétence pour trancher des affaires FRAND (comme en France), ou ont parfois décidé ce qui est FRAND et ce qui ne l’est pas (comme en Allemagne, par exemple), aucune n’a jamais fixé de redevances FRAND, et les juges allemands ont même refusé de le faire. À l’inverse, dans les pays de common law comme le Royaume-Uni, les juges ont accepté de fixer un tel taux de redevance. Quelle sera la position de la JUB ? La cour acceptera-t-elle de fixer un taux de redevance comme les juges anglais ? Ou ne le fera-t-elle pas ? Non seulement il nous est impossible de donner une réponse pour l’instant, mais il n’est pas certain qu’une position claire et unifiée se dégage dès le départ, et rien n’empêche les divisions de la CUP d’adopter des approches différentes.
La deuxième série de questions concerne la méthode de calcul des redevances FRAND. Si la cour accepte de déterminer les redevances FRAND, comment cela se passera-t-il ? Par exemple, la cour fixera-t-elle un taux de redevance global, comme le font certaines juridictions, avec toutes les difficultés que cela implique ? Dans ce contexte, la cour accordera-t-elle des injonctions anti-poursuites (ASI) ou des injonctions anti-poursuites (AASI) ? La cour prendra-t-elle en considération un portefeuille de brevets ou seulement les brevets revendiqués ?
Sans parler des questions fondamentales de l’assiette des redevances et du calcul du taux. En ce qui concerne l’assiette, il faudra déterminer si le produit final doit être pris en compte dans son ensemble ou seulement des éléments isolés (« EMVR », c’est-à-dire Entire Market Value Rule, et « SSPPU », c’est-à-dire Smallest Saleable Patent Practicing Unit). En ce qui concerne le calcul du taux, il faudra déterminer quelle méthode de calcul est la plus appropriée, ou s’il convient d’utiliser un mélange des méthodes identifiées (par exemple, un mélange possible entre l’approche des comparables et l’approche dite « top-down » par exemple). Nous notons simplement que la méthode des licences comparables trouve un soutien considérable dans l’Accord UPC, avec l’obligation de produire des preuves d’une part, et la protection de la confidentialité d’autre part (voir l’affaire Huawei contre Netgear [5]). En outre, la division locale de Mannheim a déjà rendu deux décisions (dans les affaires Panasonic [6]), dans lesquelles elle a défini les conditions dans lesquelles la production de licences comparables est admissible, en se référant à la jurisprudence de la Cour de justice de L’Union européenne dans l’affaire Huawei contre ZTE.
Enfin et surtout, toute intervention de la nouvelle cour dans le domaine des BEN/FRAND la conduirait sans doute sur une pente quelque peu glissante vers le droit de l’Union européenne. Ce dernier point, bien que malheureusement peu souligné, nous semble d’une importance considérable. Il ne fait guère de doute que les décisions sur les licences FRAND interféreraient avec le droit de la concurrence de l’UE, de sorte qu’il est fort probable que les litiges BEN/FRAND devant la JUB ouvriraient la porte à des questions préjudicielles devant la Cour de justice, qui n’a jusqu’à présent donné qu’une réponse insatisfaisante à de telles questions...
L’intervention de la JUB ne sera-t-elle qu’une option supplémentaire dans les stratégies contentieuses globales litiges, synonyme de retour au point de départ ?
Impossible de prédire quoi que ce soit aujourd’hui, seul l’avenir nous le dira.