La notation est reconnue comme un possible souhaitable, dans le respect de l’application des règles du droit de la consommation.
Intéressons-nous plus particulièrement au secteur des avocats. Les représentants de la profession s’opposent à la notation d’avocats, au nom de principes déontologiques et notamment, ceux du respect du secret professionnel et du principe de publicité. La profession d’avocat ne serait pas une profession comme une autre. La publicité d’avocats devrait notamment exclure tout élément comparatif, dénigrant et laudatif.
La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite loi Hamon, est venue autoriser dorénavant l’avocat à recourir à la publicité, ainsi qu’à la sollicitation personnalisée. Un décret du 28 octobre 2014 relatif aux modes de communication des avocats, pris pour l’application de la loi précitée, fixe les conditions dans lesquelles les avocats peuvent recourir à la publicité et à la sollicitation personnalisée.
Qu’en est-il alors de la notation ou des avis auxquels les avocats souscriraient volontairement ?
Le Conseil National des Barreaux (CNB), réuni en Assemblée générale les 10 et 11 octobre 2014, a adopté une décision à caractère normatif, encadrant la publicité et la sollicitation personnalisée des avocats et a pris un avis, en 2015, dont la substance est la suivante : la publication de commentaires laudatifs par des clients et diffusés sur l’initiative des avocats, sur leurs sites ou réseaux sociaux par exemple, ne remplit pas les critères de la publicité légale, en ce que ces commentaires sont constitués d’un retour d’expérience uniquement personnelle et subjective et que l’avocat ne peut donc garantir une présentation sincère et juste, nécessairement objective, de la nature de ses prestations.
Au surplus, la simple diffusion de commentaires faisant l’éloge d’un avocat est, en soi, un manquement aux principes de délicatesse, modération, dignité et loyauté.
Cette position a été quelque peu malmenée par l’affaire récente opposant le CNB à la société Jurisystem, laquelle a permis de préciser le droit au regard des notations portant sur des avocats. La société Jurisystem exploitait un site internet, mettant en relation des clients avec des avocats et leur permettant à cette occasion de comparer les avocats entre eux, par un dispositif de notation.
La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 décembre 2015, a interdit au site cette publicité jugée comparative, notamment en ce que la notation des avocats était contraire aux principes essentiels de la profession et portait à la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client.
Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris a été cassé, sur ce point, par la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 mai 2017, qui dispose que :
« les tiers ne sont pas tenus par les règles déontologiques de cette profession et qu’il leur appartient seulement, dans leurs activités propres, de délivrer aux consommateurs une information loyale, claire et transparente. »
Autrement dit, les tiers sont autorisés à faire ce que ne peuvent pas faire les avocats eux-mêmes, à savoir comparer et annoter les avocats. De manière générale, ils ne sont pas tenus de respecter les règles de la profession d’avocat. Seul le droit de la consommation leur est applicable.
La Cour d’appel de Versailles, cour de renvoi après cassation, a eu l’occasion de préciser en quoi les obligations du Code de la Consommation liaient cependant les sites tiers d’avis et de notation, dans un arrêt du 7 décembre 2018. A cette occasion, la société Jurisystem a été condamnée pour ne pas avoir suffisamment procuré, dans le cadre de son référencement, une information loyale, claire et transparente quant au service de notation utilisé.
Il en résulte que les sites d’avis et de notation doivent respecter une information loyale, claire et transparente, en vertu notamment, de l’article L 111-7 du Code de la Consommation et l’article D 111-7 qui le complète, et notamment renseigner le consommateur sur les modalités du référencement et du classement, ses critères et principaux paramètres.
Enfin, le Code de la consommation réglemente également la pratique des avis sur internet en l’article L 111-7-2 du Code de la consommation qui prévoit encore la nécessité d’une information loyale, claire et transparente, ce qui exige notamment de préciser la date de l’avis et ses éventuelles modifications et met notamment en place une fonctionnalité gratuite qui permet aux responsables des produits ou des services faisant l’objet d’un avis en ligne de lui signaler un doute sur l’authenticité de cet avis, à condition que ce signalement soit motivé.
A ce jour, la commission Prospective et innovation du CNB prépare un rapport sur la notation des avocats sur Internet.
La notation serait également reconnue comme un motif d’intérêt légitime au sens du RGPD.
La question est en effet rarement abordée sous l’angle du RGPD et c’est peut-être là que la solution finale réside. Nous en sommes cependant aux prémices.
En France, la protection des données à caractère personnel est garantie par la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée et le Règlement européen n°2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel (RGPD).
Comme précédemment indiqué, le référencement ou l’évaluation d’un professionnel suppose dans la plupart des cas de renseigner sur une page de profil, son nom, son prénom et ses coordonnées professionnelles, ainsi que ses compétences. Ces données constituent certes des données professionnelles.
Il convient toutefois de déterminer si ces données, dès lors qu’elles permettent l’identification d’une personne physique, sont soumises aux dispositions protectrices des données à caractère personnel ou si le fait qu’elles se rapportent à l’activité professionnelle de la personne, permet de les exclure du champ d’application de cette règlementation.
Sur ce point, la CNIL, dans une délibération n°2009-329 du 4 juin 2009 , mettant en demeure la société SERVETEL 3000, éditant un site d’évaluation de professionnels, a considéré que :
« les données des professionnels exerçant sous leur nom propre constituent des données à caractère personnel au sens de l’article 2 de la loi du 6 janvier 1978. »
De même, le Conseil d’Etat, dans une décision n°376845 du 30 décembre 2015, a jugé que :
« constitue une donnée à caractère personnel toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à une numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres. Pour déterminer si une personne est identifiable, il convient de considérer l’ensemble des moyens en vue de permettre son identification dont dispose ou auxquels peut avoir accès le responsable du traitement ou toute autre personne.
Il résulte de cette définition que le nom et les coordonnées des personnes physiques, telles que leurs adresses et leurs numéros de téléphone, constituent des informations relatives à une personne physique identifiée et, par suite, des données à caractère personnel au sens des dispositions de la loi du 6 janvier 1978.
Dès lors, que ces données soient des coordonnées professionnelles des personnes physiques en cause, et qu’elles soient le cas échéant par ailleurs rendues publiques, est sans incidence à cet égard ; c’est donc à bon droit, contrairement à ce qui est soutenu, que la Commission nationale de l’informatique et des libertés les a qualifiées de données à caractère personnel. »
Par conséquent, toute personne morale de droit privé poursuivant un but commercial, n’étant pas officiellement investi d’une mission de service public, ne peut invoquer l’article D.312-1-3 du Code des relations entre le public et l’administration pour justifier le traitement de données professionnelles contenant des données à caractère personnel sans respecter les dispositions de la règlementation applicable à la protection de telles données.
Il en découle que tout site de référencement et/ou d’évaluation de professionnels, dès lors qu’il traite les données d’identification de personnes physiques, est soumis à la règlementation relative à la protection des données personnelles.
Une exception pourrait être ouverte en l’espèce. Selon l’article 6 f du RGPD, le traitement des données à caractère personnel peut être licite dans la mesure celui-ci est :
« nécessaire aux fins des intérêts légitimes poursuivis par le responsable du traitement ou par un tiers, à moins que ne prévalent les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel, notamment lorsque la personne concernée est un enfant. »
Selon l’avis 06/2014 adopté le 9 avril 2014 par le Groupe de travail « article 29 » sur la protection des données, l’intérêt légitime désigne l’enjeu poursuivi par le responsable du traitement ou le bénéfice qu’il tire ou que la société pourrait tirer du traitement. Cet avis précise que :
« La nature de l’intérêt peut varier. Certains intérêts peuvent être impérieux et profitables à la société en général, comme l’intérêt de la presse à publier des informations sur des faits de corruption dans l’administration ou l’intérêt d’effectuer des recherches scientifiques. D’autres intérêts peuvent être moins pressants pour l’ensemble de la société ou, en tous cas, leur poursuite peut avoir une incidence plus mitigée ou controversée sur la collectivité. »
L’intérêt légitime s’apprécie au regard de trois critères : il doit être licite, c’est-à-dire conforme au droit, être formulé en termes suffisamment clairs et constituer un intérêt réel et présent pour le responsable du traitement. Enfin, le traitement doit être nécessaire à la réalisation de l’intérêt légitime poursuivi. L’intérêt légitime ne doit en effet pas être interprété de manière trop large et justifier tout traitement. A cet égard, il est impératif de rechercher s’il existe d’autres moyens plus respectueux de la vie privée susceptibles de servir la même finalité.
Dans ce cadre, ont notamment d’ores et déjà été reconnu comme un intérêt légitime :
la prévention de la fraude, de l’utilisation abusive des services ou du blanchiment d’argent ;
la surveillance du personnel à des fins de sécurité ou de gestion ;
la transmission de données à des fins de traitement administratif interne au groupe ; le traitement à finalité historique, scientifique ou statistique ;
l’exercice du droit à la liberté d’expression ou d’information, notamment dans les médias et dans les arts.
Le fait que le responsable du traitement poursuive un intérêt légitime n’est cependant pas suffisant pour l’invoquer comme fondement juridique justifiant le traitement de données et l’absence de recueil du consentement.
En effet, ainsi que le précise l’article 6 f) précité, la légitimité de l’intérêt poursuivi n’est qu’un point de départ. Il convient en effet dans un second temps de mettre en balance cet intérêt légitime avec « les intérêts ou les libertés et droits fondamentaux de la personne concernée qui exigent une protection des données à caractère personnel ». La mise en balance vise à déterminer quel est l’impact du traitement sur la personne concernée. Ainsi, pour apprécier cet impact, pourront notamment être analysés : la nature des données traitées, la façon dont les données sont traitées, les attentes raisonnables des personnes concernées, ou encore le statut du responsable du traitement et de la personne concernée.
Le responsable du traitement ne pourra valablement fonder un traitement de données aux fins de référencement et/ou d’évaluation de professionnels sur l’intérêt légitime que s’il parvient à démontrer que la balance entre l’intérêt poursuivi et les intérêts et libertés des professionnels concernés soit en sa faveur.
Ainsi, la CNIL rappelait encore, dans sa délibération n°2009-329 du 4 juin 2009, précitée, que le fait, pour un site d’évaluation de professionnels, de ne pas avoir pris en compte les oppositions formulées par plusieurs avocats qui, à plusieurs reprises, avaient exigé la suppression de leur « fiche profil » auprès de la société, constituait une atteinte à leur droit d’opposition.
Mais quelques ordonnances récentes, rendues en référé, reviennent sur cette position, certes dans le cadre de la profession médicale mais qui peut très bien, par analogie, s’appliquer à la profession d’avocat.
Dans son ordonnance de référé du 11 juillet 2019, le Président du TGI de Paris a débouté une dentiste de sa demande de supprimer sa fiche entreprise Google Mys Business, fondée sur son droit d’opposition, car elle ne justifiait d’aucun motif légitime.
Les finalités du traitement seraient légitimes, à savoir l’accès rapide pour le public à des informatiques pratiques sur les professionnels de santé.
Le tribunal parisien a par ailleurs considéré que :
« la suppression pure et simple de la fiche de la demanderesse contreviendrait au principe de la liberté d’expression, alors même qu’il est loisible à celle-ci d’agir spécifiquement contre les personnes à l’origine d’avis qu’elle estimerait contraires à ses droits. »
Dans une ordonnance de référé du 16 juillet 2019, le Président du TGI de Metz a également refusé de supprimer la fiche Google My Business d’un médecin et les avis négatifs sur sa pratique. Un médecin avait en effet constaté des avis négatifs de prétendus patients sur sa fiche Entreprise de Google My Business auquel il avait adhéré gratuitement avant de résilier son adhésion.
Le Tribunal énonce que le consentement du médecin pour ce traitement n’a pas à être recueilli s’il représente un intérêt légitime pour le responsable de traitement. Selon le Tribunal, l’identification de cette personne en sa qualité de professionnel de santé pouvant faire l’objet d’avis des utilisateurs de Google relève justement d’un intérêt légitime d’information du consommateur, d’autant plus que le professionnel peut dénoncer les atteintes à la liberté d’expression :
« En raison de la possible opposition, pour des motifs légitimes, au traitement des données à caractère personnel, la suppression pure et simple de la Fiche Entreprise contreviendrait au principe de la liberté d’expression, alors même qu’il est loisible à quiconque d’agir spécifiquement contre les personnes à l’origine d’avis qu’elle estimerait contraire à ses droits. »
Les sites de notation et avis en ligne des professions réglementées, comme les avocats, ont semble-t-il, aujourd’hui les coudées franches pour développer leur business…
Discussions en cours :
pourquoi pas … ? toutefois, du moins en contentieux, entre la prestation de l’avocat et le résultat, il y a une étape aussi incontournable qu’imprévisible, c’est la décision de justice. L’expérience du contentieux permet d’affirmer que la qualité de la décision rendue n’est pas nécessairement en phase avec celle de la prestation de l’avocat (des avocats). du point de vue de l’usager du service public de la justice (consommateur), voire de l’auxiliaire de justice, il serait plus judicieux de pouvoir noter les juges. certes, on ne peut choisir son juge, contrairement à son avocat, mais la notation pourrait trouver sa place dans les critères d’avancement ...
Je suis bien d’accord avec vous sur le succès ou l’insuccès judiciaire qui peut emporter la conviction et la notation du client. Mais les sites de notation que je connais évitent généralement de faire se prononcer les clients sur la compétence des avocats stricto sensu mais plutôt des critères comme l’accueil, la réactivité, la clarté des propos, etc .... Je m’abstiendrai sur la notation des juges ° :)