Irrecevabilité de l’exception de nullité soulevée après la notification de conclusions au fond.

Par Romain Laffly, Avocat.

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Explorer : # procédure civile # nullité # appel # défense au fond

L’intimé est irrecevable à s’emparer de la nullité de l’acte de signification des conclusions de l’appelant s’il a précédemment notifié des conclusions au fond.
Civ. 2e, 1er févr. 2018, F-P+B, n° 16-27.322

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Condamnée en première instance devant le tribunal de grande instance, une association forme appel. La société intimée n’étant pas constituée, l’appelante lui fait signifier ses conclusions par application de l’article 911 du Code de procédure civile, lui ouvrant alors le délai de deux mois (devenu 3 mois depuis le décr. n° 2017-891 du 6 mai 2017) pour répondre à peine d’irrecevabilité par application de l’article 909 du Code de procédure civile.
La société intimée, après s’être constituée, notifie cependant ses écritures bien au-delà du délai de deux mois et l’association appelante régularise des conclusions d’incident pour voir juger ces conclusions irrecevables. L’intimée réplique alors en s’emparant d’un moyen de nullité de l’acte de signification des écritures de l’appelante qui lui avait été délivré. L’intimée, devant le conseiller de la mise en état, argue en effet au visa des articles 654, 655 et 693 du Code de procédure civile, de ce que le procès-verbal dressé par l’huissier de justice ne mentionne aucune des diligences accomplies pour parvenir à une signification à personne, ni aucune mention de nature à démontrer l’impossibilité de procéder à une telle signification.

Sur déféré, la cour d’appel de Paris reçoit l’argumentation de l’intimée, déclare nulle l’assignation et juge en conséquence recevables les conclusions notifiées au-delà du délai imparti par l’article 909. Sur pourvoi contre l’arrêt au fond et l’arrêt sur déféré, l’appelant soutient que la cour d’appel aurait dû relever l’irrecevabilité de l’exception de nullité dès lors que l’intimée avait précédemment conclu au fond.
La deuxième chambre civile fait droit au pourvoi en relevant au visa des articles 74 et 112 du code de procédure civile « Qu’en accueillant l’exception de nullité de la signification des conclusions de l’appelant alors qu’elle avait constaté que l’intimée avait préalablement fait valoir sa défense au fond, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Voilà l’illustration d’un schéma procédural classique devant la cour d’appel : l’intimé n’ayant pas respecté son délai pour conclure à peine d’irrecevabilité s’empare de la nullité de l’acte de signification des conclusions qui lui avait été délivré. L’intérêt est évident : en cas de nullité de l’acte, le délai est réputé n’avoir pas couru, et les conclusions de l’intimé sont dès lors recevables. C’est ce que jugea la cour d’appel de Paris avant d’être censuré logiquement par la deuxième chambre civile. On sait déjà que l’intimé qui ne notifie pas ses conclusions dans le délai de l’article 909 du Code de procédure civile est irrecevable à soulever un moyen de défense ou un incident d’instance et l’on pouvait s’interroger sur l’acception, au sens large ou non, de l’incident d’instance (Civ. 2e, 28 janv. 2016, n° 14-18.712, Dalloz actualité, 22 févr. 2016, obs. R. Laffly ; D. 2016. 321 ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero). S’il peut apparaître logique qu’après que ses conclusions ont été jugées irrecevables, un intimé ne puisse revenir devant le conseiller de la mise en état pour voir discuter de la validité d’un acte de procédure de l’appelant, il pouvait être au contraire illogique qu’une partie, qui avait pu ne pas conclure dans le délai de l’article 909 précisément en raison de la nullité de l’acte qui lui avait été délivré, ne puisse s’emparer de cette exception de procédure.

En effet, une partie doit toujours pouvoir contester la validité de l’acte qui lui est délivré et qui, à son encontre, fait courir un délai pour accomplir un acte de procédure. La solution est unanimement consacrée lorsque l’appelant, qui entend combattre l’irrecevabilité de sa déclaration d’appel pour avoir été formée hors délai, démontre la nullité de forme de l’acte de signification de la décision qu’il conteste. Implicitement, la Cour de cassation valide ce raisonnement puisque ce qui est reproché à l’intimé n’est pas d’avoir soulevé la nullité de l’exploit après le délai imparti pour conclure au fond, mais bien de ne pas l’avoir fait in limine litis. Et la décision de la deuxième chambre civile ne souffre pas de discussion puisqu’il s’agit là de l’application stricte de l’article 74 du code de procédure civile qui précise que « les exceptions de procédure doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir ».

Les praticiens de la procédure civile le savent bien : c’est une chose d’avoir le bon moyen, s’en est une autre de le soulever au bon moment. L’avocat, confronté à cette situation, devra donc veiller à ne pas se précipiter en notifiant ses conclusions au fond – ce d’autant plus s’il se trouve hors délai - s’il entend invoquer une exception de procédure. Plus exactement, à la différence d’une nullité de fond qui peut être soulevée en tout état de cause (C. pr. civ., art. 118) mais qui est strictement limitée au défaut de capacité ou de pouvoir, la nullité de forme suppose, avant la démonstration du grief, qu’elle soit invoquée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, ce qui est toujours le cas lorsque la partie souhaite contester un procès-verbal article 659 du Code de procédure civile ou démontrer par exemple l’absence de diligences de l’huissier pour une remise à personne. Bien plus, que ce soit en première instance ou en appel, la partie qui exciperait, même in limine litis, d’une exception de procédure dans ses conclusions au fond, puis par voie de conclusions d’incident afin de saisir le juge ou le conseiller de la mise en état – seul magistrat habilité à statuer par application de l’article 771 du Code de procédure civile – serait encore irrecevable. En effet, opérant un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation juge désormais que les conclusions qui soulèvent une exception de procédure doivent faire l’objet, à peine d’irrecevabilité, d’une saisine distincte du juge ou du conseiller de la mise en état (Civ. 2e, 12 mai 2016, n° 14-25.054 et n° 14-28.086, Dalloz actualité, 30 mai 2016, obs. M. Kebir ; D. 2016. 1290 , note C. Bléry ; ibid. 1886, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, O. Becuwe et N. Touati ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero ; Gaz. Pal, 30 août 2016, n° 29, obs. S. Amrani-Mekki). Cette jurisprudence, presque passée inaperçue, a d’ailleurs été codifiée tant en première instance qu’en appel avec le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 applicable au 1er septembre 2017. L’avocat qui entend soulever le moyen doit donc établir des conclusions distinctes de celles au fond et spécialement adressées au juge de la mise en état (C. pr. civ., art. 772-1) ou au conseiller de la mise en état (C. pr. civ., art 914, al. 1er ), tout en veillant à notifier ses conclusions d’incident soulevant l’exception de procédure avant la notification de ses conclusions au fond. En cette exigeante temporalité, l’horodatage du réseau privé virtuel des avocats servira de mode de preuve et sera le juge de paix.

Romain Laffly associé chez Lexavoue Lyon pour Dalloz Actualité

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