Mais comment impliquer le justiciable dans les choix offerts par l’amiable au cours du procès alors qu’il a déserté les audiences surchargées, où la procédure écrite s’est peu à peu substituée à la procédure orale.
Impliquer l’avocat à orienter son client vers la voie amiable, alors qu’il en attend la défense contentieuse de ses droits, a nécessité l’appréhension des notions de besoins et d’intérêts qui sous-tendent la demande de justice.
Impliquer le magistrat passe par le rôle « d’amiable compositeur », que lui confèrent les parties et l’article 12 § 4 du Code de procédure civile, mais également par l’expérimentation de l’amiable par des pionniers, sensibilisés aux vertus de la justice contractuelle.
La justice contractuelle est fondée sur la notion de contrat d’adhésion, d’origine québécoise [4], qui est entrée dans le droit positif français lors de la réforme du droit des contrats en 2016.
Nous savions que le contrat déontologique liant les participants à un processus de médiation est un contrat d’adhésion.
Mais qu’en est-il du dispositif de l’injonction de rencontrer un médiateur ?
Par simplification de langage, pour distinguer la médiation judiciaire de la médiation à l’initiative de nos concitoyens, cette dernière est qualifiée de « médiation conventionnelle », alors que le processus est, par essence, conventionnel.
I. Un dispositif par défaut.
Le principe de la médiation judiciaire et le consentement des parties.
En application du principe de l’autonomie de la volonté, consubstantiel à la médiation, ordonner une médiation judiciaire requiert le consentement préalable des parties :
« Le juge saisi d’un litige peut, après avoir recueilli l’accord des parties, ordonner une médiation » [5].
« Le juge peut désigner, avec l’accord des parties, un médiateur pour procéder à une médiation, en tout état de la procédure, y compris en référé.
Cet accord est recueilli dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État » [6].
Ce décret n’a jamais été pris par le Conseil d’État.
Même si aucun formalisme n’est requis, cette exigence n’est plus adaptée à la pratique judiciaire du XXIe siècle puisque le juge ne rencontre plus les justiciables.
Pour contourner cette difficulté, certains juges ordonnent la comparution personnelle des parties. Ce dispositif est efficace, mais il est très lourd sur le plan administratif.
Les parties, ou leurs conseils, peuvent solliciter du juge l’instauration d’une médiation judiciaire et la désignation d’un médiateur choisi par elles ou par le juge, mais cette voie est principalement utilisée si l’une des parties bénéficie de l’aide juridictionnelle, qui est exclue de la médiation conventionnelle.
La difficulté du recueil des consentements des parties explique qu’au niveau national, moins de 1% des procédures donne lieu à des médiations judiciaires.
L’aménagement du principe : le dispositif par défaut de l’injonction de rencontrer un médiateur.
Le dispositif de l’injonction faite aux parties de rencontrer un médiateur, généralisé par le décret n°2022-245 du 25 février 2022, et codifié à l’article 127-1 du Code de procédure civile, transpose dans la procédure la phase d’information préalable du processus conventionnel.
« À défaut d’avoir recueilli l’accord des parties prévu à l’article 131-1, le juge peut leur enjoindre de rencontrer, dans un délai qu’il détermine, un médiateur chargé de les informer de l’objet et du déroulement d’une mesure de médiation. Cette décision est une mesure d’administration judiciaire ».
Cet aménagement, au sens de « disposition visant à une meilleure adéquation à sa destination », s’inspire des permanences d’information en médiation conventionnelle et de l’expérimentation de certains outils de l’amiable, plus ou moins contraignants.
Les « propositions » de médiation familiale ou les injonctions de rencontrer un médiateur non désigné [7] sont inopérantes, car non contraignantes et généralement post-sentencielles.
L’obligation de justifier d’avoir tenté une médiation, sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande :
- L’article 750-1 du Code de procédure civile en matière civile (enjeu < à 5 000 euros et troubles du voisinage).
Le choix plus fréquent de la conciliation gratuite, au lieu de la médiation payante, n’enlève rien à l’efficacité du dispositif. - L’article 7 de la loi du 18 novembre 2016 en matière familiale (TMFPO).
Ce dispositif, expérimenté depuis 2017 dans 11 tribunaux judiciaires aux fins de réduire les procédures récurrentes consécutives à des séparations mal accompagnées, présente un bilan doublement positif.
D’une part, 85% des consultations sont suivies de l’engagement de médiations qui aboutissent dans 75% des cas à la restauration des liens, avec ou sans protocole.
D’autre part, l’appellation médiatique erronée de « médiation obligatoire », a été interprétée par nombre de nos concitoyens comme applicable à tous les conflits, avec un effet d’acculturation évident.
L’enquête organisée de juin à septembre 2024 par le Syndicat pour les Médiateurs (SYME) auprès des magistrats, sur leur opinion de la médiation en France, confirme l’efficacité de ce dispositif dont l’extension est souhaitée à toutes les situations de proximité (succession, copropriété, prud’hommes, commerce…) [8].
Cette expérimentation a d’ailleurs été prorogée à plusieurs reprises.
Il serait socialement extrêmement regrettable qu’elle ne soit pas maintenue au-delà du 31 décembre 2024.
L’importance déterminante de la phase d’information dans ces dispositifs de médiation hybride, imposés par la loi et pratiqués conventionnellement, a ouvert la voie au dispositif mixte de l’injonction judiciaire de rencontrer un médiateur, suivie, au gré des parties, d’un processus conventionnel ou judiciaire [9].
Il fait écho au nouvel article 1112-1 du Code civil sur le devoir contractuel de pré-information.
II. Le dispositif d’injonction de rencontrer un médiateur est contractuel.
La contractualisation de la justice.
La prolifération des normes juridiques rend difficile leur appropriation par nos concitoyens, si bien que le simple sentiment d’injustice suffit pour engager un contentieux judiciaire.
L’hyper-judiciarisation perturbe le travail de la justice et la paix sociale.
Afin de rétablir une relation de confiance entre la justice et les justiciables, le législateur a instauré une sorte de partenariat contractualisé dans les secteurs public et privé (contrat de marché public, élaboration des conventions collectives, gestion des conflits collectifs du travail, rupture individuelle du contrat de travail, statut de la société anonyme contractuelle, et même dans des domaines relevant de l’ordre public tels le divorce négocié, le changement de régime matrimonial, la convention parentale, etc…) [10].
Le contrat sert de relais pour que la norme générale et impersonnelle arrive jusqu’à son destinataire qui pourra prendre une décision « libre et éclairée ».
Le dispositif d’injonction de rencontrer un médiateur fait appel à la théorie de l’autonomie de la volonté et à la confiance dans le potentiel de discernement du citoyen, traduit par la notion anglo-saxonne « d’empowerment » (autonomisation).
Le contrat d’adhésion d’origine québécoise, pragmatique, mais structurellement déséquilibré, reste soumis aux trois grands principes fondamentaux de la liberté contractuelle, du consensualisme et de la force obligatoire du contrat. Il a donné son fondement à la notion de « justice contractuelle ».
La théorie générale des contrats se compose désormais du régime des contrats négociés et de celui des contrats d’adhésion [11].
Le dispositif judiciaire de l’injonction de rencontrer un médiateur constitue un contrat d’adhésion.
L’injonction d’information sur la médiation relève de la stratégie de justice contractuelle. « L’accès à la justice largement entendu ne se limite pas à l’accès au juge et peut être satisfait par un traitement extra-judiciaire du différend » [12].
L’injonction d’information est un dispositif contractuel au sens de l’article 1113 du Code civil « Le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager ».
Cependant, les modalités du contrat ne sont pas négociées, l’acceptation, ou le rejet de l’offre, sont faits en bloc.
Il s’agit, en fait, d’un contrat d’adhésion défini à l’article 1110 du Code civil :
« Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties.
Le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ».
Les caractéristiques du contrat d’adhésion sont les suivantes [13] [14] :
- La standardisation de son contenu, applicable à un grand nombre de situations.
Les magistrats disposent de modèles de décisions d’injonction qui comportent des « conditions générales », selon une acception large de la Doctrine. - L’absence de négociation des clauses, déterminées unilatéralement par l’une des parties. La décision d’injonction, mesure administrative, est insusceptible de recours [15].
- Le déséquilibre entre les parties, notamment en ce qui concerne les droits et les obligations objets du contrat [16].
La théorie du droit des contrats tempère ces dérogations puisqu’aux termes de l’article 1171 du Code civil les clauses abusives sont réputées non écrites dans les contrats d’adhésion, mais pas dans les contrats de gré à gré, et le déséquilibre entre les parties doit être « significatif » et ne peut porter ni sur l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix à la prestation.
Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, est réputée non écrite.
L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation .
Dans le dispositif de l’injonction de rencontrer gratuitement un médiateur, l’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal, à savoir l’information du justiciable, ni sur l’adéquation du prix à la prestation [17].
L’ordre public de protection de la partie la plus faible par des règles spéciales, n’empêche pas le médiateur de veiller au respect des règles générales qui régissent le consentement, notamment la capacité des parties et la validité de leur représentation.
Précisons que « L’offre est faite à personne déterminée » au sens de l’article 1114 du Code civil, d’où la personnalisation de l’entretien d’information.
Ce nouveau dispositif de l’amiable, avec son cadre juridique sécurisé, qui transforme le rôle réactif du juge en rôle proactif [18], est mis en œuvre avec succès par un certain nombre de juridictions comme « instrument efficace de développement de l’amiable » [19]. Notamment, Paris, Créteil, Toulouse, la Cour d’appel de Pau et quatre tribunaux judiciaires du ressort, et bien d’autres, en coopération avec les avocats, les greffiers et les médiateurs, comme le confirme l’enquête du SYME.
Ce dispositif contractuel constitue-t-il un contrat tripartite ?
Par ce contrat d’adhésion, auquel est convié le médiateur, le juge transfère à celui-ci sa mission d’information et de recueil du consentement des parties, tout en restant saisi de l’affaire [20].
Déontologiquement, il incombe au médiateur de vérifier l’absence de conflit d’intérêts entre lui et les parties, ou, spécialement s’il est avocat en exercice, entre lui et les avocats des parties, avant d’accepter expressément la mission, conformément à l’article 131-7 du CPC « Le médiateur fait connaître sans délai son acceptation ».
L’acceptation du médiateur, qui n’est pas un auxiliaire de justice, parfait-elle une relation contractuelle qui comporte, de fait, des obligations réciproques :
- Le médiateur s’oblige à tenir informé le juge mandant de l’avancement et de l’issue du processus [21].
- En pratique, le juge informe à son tour le médiateur des dates de procédure dans la décision d’injonction mais également durant sa mission.
La question reste posée.
En conclusion, le dispositif de l’injonction de rencontrer un médiateur a également une finalité pédagogique et collaborative.
Pour nos concitoyens, il démontre que, même engagés dans un procès, ils peuvent tenter la voie amiable.
Pour les médiateurs, non-juristes d’origine, il s’agit de se familiariser avec le contexte judiciaire.
Pour les avocats, dont le conseil est sollicité dès l’injonction, la prise en compte des besoins et des intérêts de leur client devient incontournable [22].
Enfin, pour les magistrats non encore prescripteurs, l’École Nationale des Magistrats a fait le choix stratégique de recruter récemment un coordonnateur de formation non-magistrat, dédié aux modes amiables de résolution des différends, qui prône « une pédagogie ouverte à d’autres voies, d’autres postures afin d’élargir les perspectives de juges plus que jamais acteurs de l’amiable » [23].