Information erronée donnée aux proches d’un patient : pas de preuve, pas de faute !

Par Florence Filly, Avocat.

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Les deux premiers alinéas de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique énoncent (version depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé) : "Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. »
Il en résulte pour tout professionnel de santé le devoir d’informer également son patient sur son état de santé, à moins que ce dernier souhaite être tenu dans l’ignorance.
Le juge administratif a eu l’occasion de déterminer les conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’établissement de santé tirée de l’information erronée donnée aux proches du patient sur son état de santé.

-

II s’agit d’une obligation de résultat dont le non-respect constitue une faute qui engage la responsabilité de l’établissement de santé ou du praticien.

En effet, lorsque un patient est victime d’un risque médical dont il n’a pas été informé, ce dernier peut solliciter une indemnisation, notamment au titre de son préjudice moral du fait du défaut de préparation psychologique au risque qui s’est effectivement réalisé (Cass, 26 janvier 2012, n°10-26705 et CE, 10 octobre 2012, n°350426).

Aux termes des dispositions de l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique, avant dernier alinéa :
« […] En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que la famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l’article L.1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part. Seul un médecin est habilité à délivrer, ou à faire délivrer sous sa responsabilité, ces informations. […]  »

Aux termes des dispositions de l’article 35 du Code de déontologie médicale (article R. 4127-35 du code de la santé publique) :
« Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. »

Aux termes des dispositions de l’article 36 du Code de déontologie médicale (article R. 4127-36 du code de la santé publique) :
« Si le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité. »

Dès lors, qu’en est-il de l’information erronée délivrée aux proches du patient sur son état de santé ? Constitue-t-elle une faute indemnisable ?

Telle est la question qui a notamment été posée par deux requérantes devant le Tribunal administratif de Paris suite au décès d’un membre de la famille.

Ces dernières ont sollicité une indemnisation au titre de leur préjudice moral subi suite à la délivrance d’une information erronée sur l’état de santé du patient.

Cette demande a été rejetée par le Tribunal administratif de PARIS par jugement du 27 juillet 2018 (RG n°1521173/6-1).

Il estime en effet que l’établissement n’a pas commis de faute, celle-ci n’étant pas démontrée.

Cette décision du Tribunal administratif de Paris détermine les conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’établissement de santé tirée de l’information erronée donnée aux proches du patient sur son état de santé.

Elle précise, d’une part, la répartition de la charge de la preuve en matière d’information erronée donnée aux proches du patient sur son état de santé (I), et d’autre part, les éléments d’appréciation de la faute (II).

I – Une charge de la preuve inversée pour les proches du patient.

L’alinéa 7 de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique énonce :
« En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. »

Il incombe au praticien d’apporter la preuve qu’il a bien informé son patient des risques du traitement, acte ou investigation qu’il lui propose (arrêt dit « Castagnet », Civ.1ère, 7 octobre 1998, n°97-12185).

Tel n’est pas le cas vis-à-vis des proches du patient.

En l’espèce, le tribunal administratif énonce qu’il ne résulte pas de l’instruction qu’une information erronée sur la santé du patient ait été délivrée aux proches.

C’est à l’occasion d’une expertise complémentaire menée plus de 5 ans après les faits litigieux, que les requérantes ont eu connaissance de la réalité de l’état de santé du patient décédé et les causes de sa mort.

Elles indiquaient à l’expert et au tribunal avoir été « informées à l’époque de ce qu’une intervention chirurgicale était envisagée eu égard à l’état de santé du patient » et que la délivrance d’une telle information erronée les a empêchées de comprendre en temps utile la gravité de son état.

En effet, le pronostic vital du patient était engagé et l’information litigieuse concernait une éventuelle transplantation cardiaque.

Or, une telle intervention ne peut être envisagée si certains critères (comme l’âge, le profil hémodynamique,…) ne sont pas remplis.

En l’espèce, l’instruction a permis de mettre en évidence que le patient n’y était pas éligible compte tenu de son état de santé très dégradé.

Le tribunal rappelle que l’état de santé du patient n’a jamais permis d’envisager sérieusement la réalisation de cette intervention chirurgicale.

Il précise ensuite que les requérantes, qui ont indiqué à l’expert qu’un « chirurgien » leur avait « parlé de possibilités de greffe du cœur », n’apportent aucune précision à l’appui de ce moyen.

Ainsi, si l’information sur l’état de santé d’un patient est partageable avec les proches, la charge de la preuve en est inversée.

C’est aux proches, destinataires de l’information, de démontrer son existence.
Quant à son caractère erroné, l’expertise permet aux parties et au juge d’avoir un avis objectif.

II- Appréciation de la faute tirée de l’information erronée : admission du faisceau d’indices.

Le tribunal administratif de Paris a retenu que les requérantes, n’apportent aucune précision quant à la faute tirée de l’information erronée, « notamment l’identité du chirurgien en cause, la date exacte à laquelle cette possibilité a été évoquée, ni les termes précis dans lesquels la possibilité d’une telle intervention chirurgicale aurait été évoquée ».

Par conséquent, la responsabilité d’un établissement – ou d’un praticien – du fait de l’information erronée délivrée aux proches du patient sur son état de santé serait subordonnée à la preuve de :
- l’identité du professionnel de santé en cause,
- la date exacte de délivrance de l’information erronée donnée aux proches,
- les termes précis de cette information erronée.

Toutefois, ces éléments ne sont pas exhaustifs.

L’ajout du terme « notamment » par le tribunal permet d’éviter une liste prédéterminée d’éléments probatoires.

Le système de preuve par faisceau d’indices apparaît donc admis.

En conclusion, si la consécration d’un préjudice moral des proches du fait de l’information erronée sur son état de santé est avortée, elle sera peut-être féconde à l’occasion d’un autre contentieux et surtout en présence d’éléments de preuve suffisants.

Cette décision apporte ainsi un nouvel éclairage sur le périmètre de l’indemnisation des préjudices des proches.

Florence Filly,
Avocat à la Cour.

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