L’impossible conciliation entre la remise à l’AGRASC pour aliénation et le respect des droits des certains tiers.

Par Matthieu Hy, Avocat.

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Par un arrêt publié au Bulletin en date du 31 janvier 2018 (n°17-81408), la chambre criminelle se prononce sur la possibilité pour un tiers disposant d’un droit autre que le droit de propriété de s’opposer à la remise d’un bien saisi à l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) pour aliénation.

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A l’occasion d’une perquisition, sont placées sous scellés plusieurs centaines de cartons de produits pharmaceutiques acquis par le mis en examen, en vue de leur revente à des consommateurs chinois. Il résulte des investigations que ces produits ont été achetés notamment auprès d’un pharmacien agréé qui les avait acquis de manière tout à fait régulière.

Le mois suivant, le juge d’instruction ordonne la remise des cartons saisis à l’Agence de gestion et des recouvrement des avoirs saisis ou confisqués (AGRASC) en vue leur aliénation sur le fondement des articles 131-21, alinéa 3, du Code pénal et 99-2 du Code de procédure pénale.

Aux termes de la première de ces dispositions, la confiscation porte sur « tous les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction ».
Selon la seconde, en son alinéa 2, le juge d’instruction peut ordonner la remise à l’AGRASC « en vue de leur aliénation, des biens meubles placés sous main de justice, dont la conservation n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité et dont la confiscation est prévue par la loi, lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien ».

Deux sociétés appartenant au même groupe pharmaceutique déposent alors une requête en qualité de tiers afin de contester l’ordonnance de remise à l’AGRASC pour aliénation. Elles font valoir que leurs produits ont été cédés au mis en examen à la suite de la violation par le pharmacien agréé de ses obligations contractuelles auprès de ses fournisseurs, dont les sociétés requérantes. Elles sollicitent le retrait des lots concernés de la vente et leur destruction.

En d’autres termes, les requérantes reprochent aux autorités judiciaires de perpétuer la violation de leurs droits sur leurs réseaux de distribution sélective puisque l’ordonnance contestée aboutirait à la vente enchère de leurs produits par l’AGRASC.

Par un arrêt du 10 février 2017, la Chambre de l’instruction de Versailles considère que la requête est irrecevable. Elle rappelle notamment que les produits ont été régulièrement cédés par les requérantes au pharmacien et qu’elles n’en sont en conséquence plus propriétaires. Elle ajoute que ni les dispositions contractuelles entre les sociétés et le pharmacien ni les dispositions légales protectrices des accords de distribution sélective ou exclusive ne sont opposables aux autorités judiciaires.

A l’appui de leur pourvoi, les sociétés requérantes font valoir que la réserve du droit des tiers présente à l’article 99-2, alinéa 2, du Code de procédure pénale ne concerne pas seulement le propriétaire de biens remis à l’AGRASC mais tout tiers disposant d’un droit, quel qu’il soit. Elles ajoute que constitue un tel droit celui du titulaire de produit de parapharmacie faisant l’objet d’un réseau de distribution sélective. Elles en concluent que la Chambre de l’instruction ne pouvait affirmer que les accords de distribution sélective ne s’appliquaient qu’aux parties privées.

Dans cet arrêt en date du 31 janvier 2018, la chambre criminelle de la Cour de cassation approuve la chambre de l’instruction d’avoir déclaré les sociétés irrecevables faute de qualité à agir en tant que tiers.

L’argumentation de la Chambre de l’instruction ne paraissait pourtant pas convaincante.

D’une part, les sociétés ne se prétendaient pas propriétaires des produits et n’en sollicitaient d’ailleurs pas la restitution. Elles demandaient uniquement la destruction des lots concernés de manière à éviter une vente hors réseau, fut-elle organisée par un établissement public comme l’AGRASC.

D’autre part, l’argument tiré de l’effet relatif des contrats, invoqué par la chambre de l’instruction, semblait très contestable. En matière de saisie et confiscation, la restitution des biens est souvent ordonnée en vertu de dispositions contractuelles entre parties privées. Tel est le cas lorsqu’un bien saisi avait été préalablement vendu par le mis en examen à un tiers de bonne foi. Ce dernier opposera aux autorités judiciaires son droit de propriété résultant du contrat passé avec le mis en examen. En l’espèce le droit invoqué est de nature différente mais il ne mérite pas moins d’être protégé.

Bien que le pourvoi ait été rejeté, l’argumentation de la chambre criminelle s’éloigne de celle de la chambre de l’instruction. La Haute juridiction affirme que dès lors que les dispositions des articles 131-21 du Code pénal et 99-2 du Code de procédure pénale ont été respectées, la remise à l’AGRASC « ne porte pas, par elle même, atteinte aux droits résultant des contrats de distribution sélective dont font l’objet ces produits, non plus qu’à ceux du titulaire de la marque pour ces derniers ».

Est-ce à dire que leurs droits, dont nul ne peut contester l’existence, n’a aucune traduction possible en droit des saisies et confiscations ?

Par une interprétation très optimiste, peut-être est-il possible de considérer que les requérants ont seulement agi trop tôt.

En effet, la seconde phrase de l’article 99-2, alinéa 2 du Code de procédure pénale commence par les termes suivants : « s’il est procédé à la vente du bien ».
Par conséquent, la remise à l’AGRASC pour aliénation n’étant pas nécessairement suivie de la vente des biens, ladite remise ne violerait pas en soi les droits résultant des contrats de distribution sélective interdisant la revente hors réseau. Il faudrait alors attendre l’organisation par l’AGRASC de la vente des biens pour faire valoir auprès d’elle, au besoin en Justice, l’interdiction de vendre hors réseau.

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