Hospitalisation d’office abusive d’un fonctionnaire de police à la demande de son administration.

Par Vivien Guillon, Avocat.

2541 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # harcèlement moral # hospitalisation d'office # fonction publique # abus de pouvoir

Un agent de surveillance de Paris se plaignant d’un harcèlement moral a été, pour cette raison, hospitalisé d’office à la demande de son Commissaire référent sans avis médical préalable. La mesure a été annulée par la juridiction administrative.
Depuis, l’agent a obtenu du juge judiciaire la réparation de ses préjudices et a fait reconnaitre par le juge administratif une situation de harcèlement moral. Toutefois, l’administration cherche à éviter une pleine reconnaissance de l’imputabilité au service de l’hospitalisation abusive et, surtout, s’abstient de sanctionner l’auteur de cette mesure.

-

Madame R. a exercé les fonctions d’agent de surveillance de Paris à compter de l’année 2003.

Au début de l’année 2010, elle a signalé à son Commissaire les difficultés liées à la prise en charge par les agents d’un ordinateur embarqué destiné à faciliter la verbalisation des automobilistes. En effet, cet équipement représente un poids important lors des déplacements pédestres des agents.

Pour toute réponse, elle s’est vu infliger un avertissement pour manquement à son devoir d’obéissance hiérarchique. A partir de ce moment, sa hiérarchie a mis en œuvre à son encontre vexations et mesures de rétorsion.

Le 8 septembre 2011, Madame R. s’est plainte auprès de son Commissaire d’une situation de harcèlement moral.

Le Commissaire a alors cru devoir, sans certificat médical préalable, la faire conduire de force à l’infirmerie psychiatrique de la Préfecture de police.

Le 9 septembre 2011, les services du Préfet de police de Paris, en dépit de l’absence de tout certificat médical justifiant une telle mesure, ont décidé d’hospitaliser d’office Madame R.

Cette hospitalisation d’office s’est poursuivie jusqu’au 15 septembre 2011.

Depuis sa sortie, Madame R. s’est vu prescrire, de façon continue jusqu’à ce jour, des arrêts de travail au titre d’une anxiété réactionnelle consécutive au traumatisme qu’a constitué son hospitalisation d’office abusive.

On s’imagine aisément la crainte suscitée par la perspective de réintégrer une administration au sein de laquelle, en toute impunité, il est possible de faire interner un agent.

Par un jugement du 5 avril 2013, le Tribunal administratif de Paris a prononcé l’annulation de la décision du 8 septembre 2011 ordonnant le transfert de Madame R. à l’infirmerie psychiatrique de la Préfecture de police.

Le Tribunal a estimé qu’ « il est constant que la décision litigieuse par laquelle le commissaire de police du 19ème arrondissement de Paris a ordonné le transfert de Madame R. à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police n’est fondée sur aucun avis médical préalable ; que, par suite, Madame R. est fondée à soutenir que la décision prise à son encontre méconnaît les dispositions de l’article L. 3213-2 du code de la santé publique ».

Le préfet de police de Paris n’a pas relevé appel de ce jugement, reconnaissant ainsi le caractère grossièrement irrégulier de sa décision.

Par un arrêt du 28 mars 2017, la Cour administrative d’appel de Paris a estimé que l’hospitalisation d’office abusive dont Madame R. a été victime et le traitement de sa situation à la suite de cet événement laissaient présumer de l’existence d’une situation de harcèlement moral et a condamné l’Etat à lui verser, en réparation de son préjudice moral, une indemnité d’un montant de 10.000 euros.

Par un arrêt du 20 juin 2018, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de PARIS d 28 mars 2017 au motif que la condamnation pécuniaire aurait dû viser la Ville de Paris et non l’Etat. En effet, les agents de surveillance de Paris, bien qu’étant placés sous l’autorité du préfet de police, sont malgré tout des fonctionnaires territoriaux de la Ville de Paris. L’affaire a donc été renvoyée à la Cour administrative d’appel de PARIS, qui devrait rendre prochainement une nouvelle décision.

Il convient de préciser que la situation des agents de surveillance de Paris a été clarifiée par la loi du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain, laquelle transfère à la Ville de Paris les missions de la police du stationnement et la circulation. Les agents exerçant ces missions sont donc placés sous l’autorité hiérarchique du maire de Paris depuis le 1er janvier 2018.

A travers le cas de Madame R. se posent les questions suivantes :
- régime contentieux de l’hospitalisation d’office et de l’indemnisation de
l’hospitalisation d’office illégale (1) ;
- traitement des conséquences de l’hospitalisation d’office abusive en droit de la fonction publique (2).

1. Le régime de l’hospitalisation d’office à la demande du représentant de l’Etat.

L’hospitalisation sous contrainte à la demande du préfet est régie par les article L3213-
1 et suivants du Code de la santé publique.

Elle est décidée sur la base d’un certificat médical circonstancié.

A Paris, une hospitalisation sous contrainte provisoire peut être décidée, au vu d’un avis médical, par le maire ou par un commissaire, à charge pour lui d’en référer au préfet dans les 24 heures.

Ainsi, dans tous les cas, la nécessité de l’hospitalisation doit être établie par un certificat médical préalable.

Tel n’a pas été le cas en ce qui concerne Madame R.

Sur le plan contentieux, si la contestation de la légalité de la décision d’hospitalisation sous contrainte relevait auparavant de la compétence de la juridiction administrative, c’est, depuis le 1er janvier 2013 (selon la date de saisine), le juge judiciaire qui est compétent pour connaître d’une telle contestation.

La compétence du juge judiciaire s’explique par son rôle historique de garant de la liberté individuelle, dont l’hospitalisation sous contrainte implique la privation.

Une fois l’illégalité de la mesure établie, la victime dispose d’un recours devant le juge judiciaire afin d’obtenir la réparation de ses préjudices.

Ainsi, Madame R. a obtenu de la Cour d’appel de Paris la condamnation de l’agent judiciaire de l’Etat à lui verser diverses indemnités au titre des préjudices subis.

2. Hospitalisation d’office illégale et droit de la fonction publique.

Les implications d’une telle mesure en droit de la fonction publique sont nombreuses. Leur mise en œuvre s’apparente pour la victime à un véritable parcours du combattant, tant l’administration est, dans le cas de Madame R., peu encline à reconnaître ses torts ou ceux de certains de ses agents.

2.1. En premier lieu, les arrêts de travail prescrits au titre de l’anxiété générée par le traumatisme provoqué par l’hospitalisation d’office illégale d’un agent public doivent, logiquement, être regardés comme étant imputables au service.

Compte tenu du caractère soudain de la décision illégale d’hospitalisation sous contrainte, et eu égard à la violence de sa mise en œuvre, elle devrait logiquement être qualifiée d’accident de service.

Dès 2014, Madame R. a demandé au préfet de police de Paris la reconnaissance de l’imputabilité au service de ses arrêts de travail consécutifs à son hospitalisation d’office illégale.

Les services préfectoraux n’ayant jamais donné suite à ses demandes, Madame R. a été contrainte de saisir le Tribunal administratif de PARIS, lequel a, par un jugement du 7 avril 2016, enjoint au préfet de statuer sur la question de l’imputabilité au service.

Faute de reconnaissance spontanée de l’imputabilité au service, les services préfectoraux ont été contraints de consulter la commission de réforme, qui s’est réunie le 28 juin 2016.

Cet organisme consultatif paritaire est composé de représentants de l’administration et de ses personnels, mais également de médecins extérieurs. En raison de l’opposition farouche de l’administration à une éventuelle reconnaissance de l’imputabilité au service des arrêts de travail de Madame R., c’est finalement grâce au vote des médecins extérieurs à la préfecture que la commission de réforme a émis un avis favorable à la reconnaissance de l’imputabilité au service.

A la suite de cet avis obtenu de longue lutte, Madame R. a été placée rétroactivement en congé de longue durée imputable au service.

Cette catégorie de congé a été supprimée par l’ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017, qui a par ailleurs créé dans le statut général de la fonction publique un article 21 bis prévoyant un congé pour invalidité temporaire imputable au service, avec maintien du traitement jusqu’à ce que l’agent soit en état de reprendre son service, lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service.
Madame R., qui relève depuis le 1er janvier 2018 de la direction des ressources humaines de la Ville de Paris, a dû saisir la justice administrative pour obtenir son placement en congé pour invalidité temporaire imputable au service.

Après s’être opposée à un tel placement, la Ville de Paris a été contrainte de consulter pour avis la commission de réforme qui, une fois de plus, a rendu un avis favorable à Madame R.

Il semblerait que, comme le préfet de police de Paris, la Ville de Paris soit peu encline à reconnaître qu’un de ses agents ait pu être victime d’une hospitalisation d’office illégale.

Les services des ressources humaines de la préfecture de police de Paris et de la Ville de Paris donnent ainsi l’image d’une administration prête non seulement à couvrir des agissements illégaux, mais également à compliquer autant que faire se peut la situation des victimes de ces agissements.
Il convient de souligner, à cet égard, que le commissaire à l’origine de l’hospitalisation d’office illégale de Madame R. n’a jamais été inquiété.

Quoi qu’il en soit, il apparaît qu’en l’état actuel du droit de la fonction publique, les arrêts de travail consécutifs à une hospitalisation d’office illégale sont imputables au service et impliquent un placement en congé pour invalidité temporaire imputable au service, que l’hospitalisation soit qualifiée d’accident de service ou de maladie professionnelle.

2.2. En second lieu, et à la lumière du cas de Madame R., l’hospitalisation d’office abusive est révélatrice d’une situation de harcèlement moral.

Selon l’article 6 quinquiès du statut général de la fonction publique :
« Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l’évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération : 1° Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; 2° Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou bien le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés. Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ».

En application de ces dispositions, le Conseil d’Etat a fixé comme suit les modalités de charge de la preuve en la matière.

« Considérant d’une part qu’il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de faits susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ; qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile. » [1].

Par un arrêt du 28 mars 2017, la Cour administrative d’appel de Paris a estimé que l’hospitalisation d’office abusive dont Madame R. a été victime et le traitement de sa situation à la suite de cet événement laissaient présumer de l’existence d’une situation de harcèlement moral et a condamné l’Etat à lui verser, en réparation de son préjudice moral, une indemnité d’un montant de 10.000 euros.

Ainsi, la décision d’hospitalisation provisoire du commissaire, la décision confirmative du préfet et l’exécution de la mesure d’hospitalisation sous contrainte illégale peuvent être regardés comme des agissements répétés ayant eu pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail de Madame R. et, surtout, en l’espèce, d’altérer son état de santé en raison du traumatisme lié au caractère arbitraire de la mesure.

Par un arrêt du 20 juin 2018, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris d 28 mars 2017 au motif que la condamnation pécuniaire aurait dû viser la Ville de Paris et non l’Etat. En effet, les agents de surveillance de Paris, bien qu’étant placés sous l’autorité du préfet de police, sont malgré tout des fonctionnaires territoriaux de la Ville de Paris. L’affaire a donc été renvoyée à la Cour administrative d’appel de PARIS, qui devrait logiquement confirmer son arrêt de 2017 en condamnant la Ville de PARIS en lieu et place de l’Etat.

Logiquement, dès lors que l’ensemble de décisions illégales constituant une hospitalisation d’office abusive peut être qualifiée de harcèlement moral, l’agent victime est fondé à demander à son administration le bénéfice de la protection fonctionnelle prévue par l’article 11 du statut général de la fonction publique.

En effet, le juge administratif a étendu les cas d’ouverture de la protection fonctionnelle aux faits de harcèlement moral [2].

La mise en œuvre de la protection impliquera notamment la prise en charge des frais d’avocat liés aux poursuites pénales diligentées contre l’auteur du harcèlement, la traduction de celui-ci devant un conseil de discipline dans le cas où il est lui-même agent public, et enfin l’affirmation publique par l’administration de son soutien à l’agent victime.

Dans le cas de Madame R. la Préfecture de police de Paris et la Ville de Paris sont malheureusement encore bien loin d’adopter une telle position, et ternissent par là-même leur image.

Vivien GUILLON
Avocat au Barreau de Paris
http://www.avocat-guillon.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

8 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1Conseil d’Etat, Section 11 juillet 2011, n°321225 et Conseil d’Etat 25 novembre 2011, n°353839.

[2Conseil d’Etat, 12 mars 2010, n° 308974, Commune de Hoenheim.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27842 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs