Harcèlement dans les cabinets d'avocats : le combat des référents pour briser l'omerta.

Harcèlement dans les cabinets d’avocats : le combat des référents pour briser l’omerta.

Rédaction du Village de la Justice.

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Explorer : # harcèlement # discrimination # cabinets d'avocats # référents

Depuis leur nomination [1] par le Conseil de l’ordre des avocats de Paris, les référents collaboration et harcèlement connaissent des fortunes diverses. Si les avocats collaborateurs sollicitent massivement la structure mise en place pour défendre leurs droits, les stagiaires se montrent encore récalcitrants à en faire usage, en dépit des efforts mis en place par le conseil de l’ordre.

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Les référents collaborateurs victimes de leurs succès.

« Des sollicitations, nous en avons beaucoup avec Benjamin Pitcho ; Combien ? Plusieurs centaines ». Valence Borgia, avocate, se félicite de l’engouement porté par les cabinets et les collaborateurs qui ont des questions ou se plaignent de maltraitance vers la nouvelle « structure » créée par le conseil de l’ordre parisien.

Valence Borgia, Avocate.

Elle et son confrère Benjamin Pitcho ont en effet été élus en juin 2018 référents collaboration par leurs pairs parisiens. Leur mission consiste à tendre l’oreille aux cabinets mais aussi aux collaborateurs en souffrance, à les orienter vers les instances spécialisées (commission de règlement des difficultés d’exercice en collaboration libérale, commission harcèlement/ discrimination), et à saisir dans les cas les plus graves les autorités compétentes (bâtonnier pour la sanction disciplinaire, autorités judiciaires à la demande de la victime pour un procès en bonne et due forme).

Depuis le début de leur mission, les deux avocats sont beaucoup sollicités sur des questions de discriminations fondées sur le sexe des professionnels du droit. « Les cas les plus fréquents pour lesquels nous sommes sollicités concernent la rupture des contrats de collaboration, parfois en raison de la maternité » résume Valence Borgia qui assure "suivre régulièrement avec Benjamin Pitcho, l’avancée du traitement des plaintes déposées ».

Une nécessaire pérennisation de la lutte contre le harcèlement.

Pour assurer une lutte encore plus efficace, l’avocate appelle au renforcement de l’équipe et à sa pérennisation. « Je pense qu’il était nécessaire de nommer des avocats compétents en matière de droit de la collaboration, de discriminations et de harcèlement des collaborateurs. En effet, avec Benjamin Pitcho, nous mesurons l’étendue de l’attente des confrères en la matière, et sommes convaincus qu’il faut perpétuer l’expérience en agrandissant l’équipe ».

Dans un milieu où la parole se fait rare et où l’omerta a longtemps constitué la règle, la donne a changé depuis plus d’une année, à la faveur de l’émergence de mouvement de protestation contre le sexisme et le harcèlement physique et moral subi par les femmes.
Les hashtags PayeTaRobe et BalanceTonPorc ont ainsi fait le tour de la toile, conduisant à une libération salvatrice de la parole.

La difficile traque des « serials stagiaires ».

« Pour l’instant, nous avons eu deux plaintes d’anciens stagiaires pour des faits de harcèlement remontant à plusieurs années. L ’une des deux victimes a d’ailleurs quitté le barreau depuis ». Par ces mots, Maxime Eppler, avocat au barreau de Paris, résume la difficulté de la tâche référent harcèlement stagiaires qui lui a été confiée (ainsi qu’à sa consœur Solène Brugère) par le Conseil de l’ordre des avocats parisiens.

Maxime Eppler, Avocat.

Maillon fragile de la chaîne, les élèves avocats hésitent encore à crever l’abcès du harcèlement sexuel pendant leur stage obligatoire sous peine de ne pas valider la totalité du cursus, ce qui rend la mission des référents d’autant plus difficile.
« Par ailleurs, la période entre juin et octobre ne coïncide pas forcément aux dates des stages obligatoires en cabinets d’avocats, qui ont généralement lieu de janvier à juin. Ce qui complique le début de notre mandat » explique Maxime Eppler.

Pour autant, Solène Brugère et lui multiplient les efforts pour traquer les « avocats harceleurs ».
« Conformément aux recommandations du conseil de l’ordre des avocats de Paris, nous mettons actuellement en place une liste de cabinets refuges pour les stagiaires qui se plaignent de harcèlement moral ou sexuel », se félicite l’avocat spécialiste en droit de la famille. « Ceci leur permettra de terminer leur apprentissage dans un autre cabinet et de valider leur cursus, tandis que nous pourrons enquêter sur ces accusations. D’ailleurs, en cas de condamnation disciplinaire d’un avocat, celui-ci sera ensuite radié des listes des maîtres de stage de l’École de Formation du Barreau de Paris ; aucune convention de stage ne pourra être établi avec les-dits avocats ».

Une médiatisation essentielle au travail des référents.

Aujourd’hui, les deux référents entendent multiplier les efforts pour faire connaître leurs missions et inciter les stagiaires à dénoncer les pratiques de harcèlement sexuel dans les cabinets d’avocats.
« La médiatisation nous est fortement bénéfique. Nous constatons qu’à chaque fois où des articles paraissent dans la presse, nous recevons dans la foulée des informations relatives à de potentiels faits de harcèlement ».

Toutefois, les deux avocats ont bien conscience de la complexité de la tâche, et souhaitent généraliser cette traque à l’échelle nationale. « Si un avocat est condamné à des sanctions disciplinaires pour des faits de harcèlement, la radiation de la liste des maîtres de stage ne peut concerner que l’école d’avocats du Barreau de Paris. Cependant, les autres écoles d’avocats de France, qui n’ont pas communication de la décision peuvent tout à fait envoyer des étudiants pour effectuer des stages dans ces cabinets » regrette Maxime Eppler.

Pour dépasser cet épineux problème, l’avocat appelle à une plus forte collaboration avec les autres conseils de l’ordre pour mettre en place une stratégie nationale efficace. « Pour l’instant, peu de barreaux disposent de commissions spécifiques aux problèmes de harcèlement (c’est notamment le cas des barreaux de Bordeaux, de Marseille et de Nantes). Certains d’entre eux nous ont déjà contacté afin de connaître notre action. Nous souhaitons que cette lutte ait pour résultat de briser le tabou de la peur dans notre milieu » conclut le référent.

Une Charte pour aller encore plus loin.

Jeudi 27 septembre 2019, à l’occasion d’une journée de formation des référents harcèlement et discriminations organisée par la Conférence des bâtonniers, a été signée une Charte en faveur de la lutte contre les discriminations et le harcèlement dans la profession d’avocat. En présence de Jacques Toubon, Défenseur des Droits, elle a rassemblé les représentants de la Conférence des bâtonniers, du Conseil national des barreaux et du barreau de Paris. Ce document doit permettre la mise en place d’une politique commune de coordination et d’accompagnement pour en finir avec ces fléaux que sont les discriminations et le harcèlement.

Pour cela, dans chaque barreau adhérant à la présente charte, le conseil de l’Ordre, sur proposition du Bâtonnier désignera un ou plusieurs référents « discriminations/harcèlement » parmi les anciens bâtonniers et/ou les membres ou anciens membres du conseil de l’Ordre. Ces référents seront à l’écoute des avocats victimes de discrimination ou de harcèlement et, sauf refus exprès des intéressés, feront rapport au Bâtonnier qui pourra mettre en œuvre une enquête déontologique et/ou une procédure disciplinaire.

Egalement, la Conférence des Bâtonniers mettra en place une liste de référents ordinaux nationaux désignés par les Conférences régionales et auront un rôle d’écoute et de conseil et de facilitateur. Ils seront répartis sur tout le territoire pour permettre aux professionnels de les saisir selon le degré pertinent de proximité.

(NDLR : Logo de l’article extrait de l’affiche officielle du CNB.)

La Rédac’ prolonge l’info...

La Conférence des Bâtonniers a mis en place une Plateforme de signalements de faits de discriminations et/ ou de harcèlement dont est victime un.e avocat.e.
Cette plateforme s’adresse aux avocat.e.s inscrits dans l’un des 163 barreaux de France (hors Paris).
Pour le barreau de Paris les avocat.e.s peuvent saisir la Commission Harcèlement et Discrimination (Comhadis) à l’adresse suivante : comhadis chez avocatparis.org.

Rédaction du Village de la Justice.

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[1En juin 2018.

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  • Dernière réponse : 22 juin 2019 à 14:39
    par Ancien collab , Le 19 novembre 2018 à 18:35

    Le harcèlement, qui fait ici l’objet de votre article, est l’un des aspects négatifs de cette si belle profession.
    J’y ajoute l’inapplication du code du travail aux avocats collaborateurs (cessation du contrat de collab pour n’importe quelle raison, conditions de travail potentiellement précaires), synonyme de l’absence de garde-fou.
    Non, tous les avocats ne sont pas des harceleurs en puissance.
    Mais cette profession ne proposait (en tout cas jusqu’à il y a peu) aucune protection contre toute personne manipulatrice, perverse ou tout simplement méchante, consciente de la précarité de ses collaborateurs et en jouant.
    Evidemment, cette violence existe aussi dans le monde des salariés mais il me semble qu’elle fait face à davantage de garanties de s’en prémunir.
    Pour ma part, j’ai quitté le métier à cause de ces abus. J’insiste toutefois sur le fait que je n’ai pas été victime de harcèlement au sens strict du terme.
    Enfin, il serait intéressant de connaître les raisons qui poussent les confrères à quitter la profession dans un laps de temps court, voire à ne jamais la rejoindre après avoir passé leur CAPA.

    • par Ancien Clerc , Le 22 juin 2019 à 14:39

      Qu’en est il du harcèlement des salarié(e)s des Cabinets d’avocats ?

      Certains avocats vont très loin pour se débarrasser d’un(e) salarié(e) qui refuse de se soumettre à un management plus que discutable.

      Des contrats de travail dont on ne respecte plus les clauses au bout de quelques années, des rémunérations dont on ne respecte pas la législation, en passant par une surcharge de travail pour laquelle les heures supplémentaires ne sont pas rémunérées car tout ceci n’est qu’un dû au Cabinet qui vous fait déjà l’immense honneur de vous avoir donné un poste, il ne fait pas bon vivre dans certains Cabinets.

      Parce qu’aux yeux de ces avocats là, un(e) assistant(e) est un sous-élément. Il ou elle n’a pas de Titre, donc il ou elle n’a pas d’identité. Par conséquent, lorsqu’un(e) assistant(e) décide de dire Stop, il ou elle signe de facto sa sortie du Cabinet ... et de la manière la plus détestable qui soit.

      On va soigneusement l(e-a) pousser à la faute ou, qu’à cela ne tienne, oser lui prêter les comportements et les actions les plus préjudiciables pour le Cabinet qui l’emploie.

      Il me semblait pourtant que "Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude" ... ou y a t’il exemption au sein de la profession ?

      Il est grand temps d’inclure dans la déontologie l’obligation de respect du "Petit Personnel" sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à l’interdiction d’embauche et, pour les plus infâmes, de radiation.

      Car pousser un(e) salarié(e) au suicide est encore plus ignoble venant d’une personne de Loi !

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