L'extension de la contestabilité des actes de droit souple : à propos de l'arrêt GISTI du 12 juin 2020. Par Claude Garcia, Avocat et Quentin Le Morvan Juriste.

L’extension de la contestabilité des actes de droit souple : à propos de l’arrêt GISTI du 12 juin 2020.

Par Claude Garcia, Avocat et Quentin Le Morvan Juriste.

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Explorer : # droit souple # recours pour excès de pouvoir # conseil d'État # jurisprudence administrative

Le Conseil d’Etat, par son arrêt GISTI du 12 juin dernier (Conseil d’État, Sect., 12 juin 2020, GISTI, n°418142), est venu parachever les conditions de recevabilité des recours à l’encontre des actes de droit souple, en fixant un nouveau cadre qui devrait avoir de nombreuses incidences et, enfin, donner toute sa place à cet instrument que le vice-président du Conseil d’État décrivait en 2013 comme « l’oxygénation du droit ».

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Le droit souple vise l’ensemble des instruments qui ont pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant, dans la mesure du possible, leur adhésion, qui ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations pour ceux-ci, et présentent, par leur contenu et leur mode d’élaboration, un degré de formalisation et de structuration qui les apparente aux règles de droit [1].

Le Conseil d’État, par son arrêt GISTI du 12 juin dernier [2], donne une nouvelle impulsion à cette notion par une extension de la recevabilité des recours à l’encontre des actes de droit souple.

En l’espèce, c’est une note d’actualité émanant de la division de l’expertise en fraude documentaire et à l’identité de la direction centrale de la police aux frontières qui était en cause. Cette dernière visait à diffuser une information relative à l’existence d’une fraude documentaire généralisée en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil et les jugements supplétifs et préconisait en conséquence, en particulier aux agents devant se prononcer sur la validité d’actes d’état civil étrangers, de formuler un avis défavorable pour toute analyse d’un acte de naissance guinéen. Si le Conseil d’État a considéré que cette note faisait grief et était par conséquent susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, il a rejeté le recours au fond.

En premier lieu, cette décision étend la recevabilité des recours à l’encontre des actes de droit souple en proposant une grille d’analyse totalement renouvelée. En effet, cet arrêt indique que « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif où présentent le caractère de lignes directrices ».

Pour comprendre la portée de cette évolution, il faut effectuer une brève rétrospective de la contestabilité des actes de droit souple. En effet, initialement le Conseil d’État, notamment par une décision Retail du 10 juillet 1981, considérait qu’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’une recommandation était irrecevable [3], suivant le critère traditionnel selon lequel seul un acte modifiant l’ordonnancement juridique est susceptible de faire l’objet d’un recours.

Bien que ces instruments soient dénués de portée juridique, il n’en demeure pas moins qu’ils sont susceptibles d’avoir des répercussions concrètes sur la vie des entreprises et des citoyens, de telle sorte que la jurisprudence administrative a été contrainte d’évoluer et de regarder les instruments de droit souple comme pouvant faire grief et se voir contester par le biais d’un recours pour excès de pouvoir.

Cette évolution a été impulsée par le célèbre arrêt Duvignères, introduisant le critère du caractère impératif pour examiner la recevabilité d’un recours contre une circulaire [4]. Ainsi, les décisions Formindep du 27 avril 2011 et Société Casino Guichard-Perrachon du 11 octobre 2012 ont repris ce critère, en indiquant que serait recevable le recours pour excès de pouvoir à l’encontre d’un acte de droit souple présentant un caractère général et impératif ou énonçant des prescriptions individuelles dont la méconnaissance serait passible de sanctions [5].

Ensuite, la décision Fairvesta du 21 mars 2016 a franchi une nouvelle étape en indiquant que « les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice des missions dont elles sont investies, peuvent être déférés au juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives ou lorsqu’ils énoncent des prescriptions individuelles dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ; que ces actes peuvent également faire l’objet d’un tel recours, introduit par un requérant justifiant d’un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent » [6].

Le présent arrêt parachève cette évolution en étendant la recevabilité des recours à l’encontre des actes de droit souple.

Tout d’abord, on assiste à une extension du point de vue de l’auteur de l’acte, puisqu’on ne vise plus simplement les autorités de régulation mais les autorités publiques.

Ensuite, une extension au regard de leur forme, la décision visant l’ensemble des documents de portée générale susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre.

Enfin et surtout, le critère du caractère impératif de l’acte n’est plus un critère cardinal mais un simple élément d’appréciation, ouvrant la voie aux recours à l’encontre des lignes directrices. En effet, ces actes échappaient jusqu’à présent assez largement au contrôle du juge administratif, en raison de l’absence de caractère impératif [7]. Cette évolution va jouer un rôle important, en permettant de traiter en amont de l’irrégularité de ces actes sans attendre que leur illégalité soit invoquée à l’appui d’un recours contre une décision individuelle prise sur leur fondement.

En second lieu, cette décision GISTI précise l’office du juge saisi d’un recours en annulation à l’encontre d’un acte de droit souple et les moyens susceptibles d’être invoqués, en indiquant « il appartient au juge d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité du document en tenant compte de la nature et des caractéristiques de celui-ci ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité dont il émane. Le recours formé à son encontre doit être accueilli notamment s’il fixe une règle nouvelle entachée d’incompétence, si l’interprétation du droit positif qu’il comporte en méconnaît le sens et la portée ou s’il est pris en vue de la mise en œuvre d’une règle contraire à une norme juridique supérieure ».

Les actes de droit souple des personnes publiques sont désormais placés sous une surveillance accrue du juge administratif, ouvrant une nouvelle ère pour ceux-ci.

Quentin Le Morvan
Juriste en droit public
et Claude Garcia
Avocat spécialiste en Droit public
cg.avocat chez orange.fr

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Notes de l'article:

[1Conseil d’État, Le droit souple - Étude annuelle 2013.

[2Conseil d’État, Sect., 12 juin 2020, GISTI, n°418142.

[3Conseil d’État, Ass., 10 juillet 1981, Retail, n°5130.

[4Conseil d’État, Sect., Mme Duvignères, 18 décembre 2002, n°233618.

[5Conseil d’État, 27 avril 2011, Formindep, n°334396 ; Conseil d’État, 11 octobre 2012, Société Casino Guichard-Perrachon, n°357193.

[6Conseil d’État, Ass., 21 mars 2016, Sté Fairvesta, n°368082.

[7Conseil d’Etat, 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu, n°264961.

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