La complicité, comme mode de participation accessoire, est centrale en droit pénal international. Pour cause, l’une des particularités des crimes internationaux est qu’ils impliquent la participation d’une multitude d’individus.
La plupart de ces crimes « ne sont pas le fait de la propension d’individus isolés à commettre des actes criminels, mais sont des manifestations d’un comportement criminel collectif : ils sont souvent exécutés par des groupes d’individus agissant de concert aux fins de la réalisation d’un dessein criminel commun » note le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) dans l’affaire Tadic de 1999. Les juges du TPIY soulignent ainsi le caractère omniprésent de la complicité lors de la commission de crimes internationaux.
Pour rappel, le complice est une personne qui, par sa coopération matérielle ou morale, a facilité l’infraction. Il ne commet pas physiquement le crime. Dans le domaine du droit pénal, cette distinction joue un rôle clé dans l’attribution précise des qualifications et des responsabilités pénales. Les crimes internationaux, par leur gravité exceptionnelle, sont des offenses à toute l’humanité. Ces crimes sont commis dans le cadre d’une attaque de grande ampleur. Ils comprennent le crime de génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime d’agression.
Depuis des décennies, la France se trouve au premier plan de la lutte contre l’impunité des crimes internationaux, notamment à travers des procès visant à juger les auteurs et les complices de crimes internationaux. Depuis les années 1990, la France a évolué dans sa conception de la complicité de crimes internationaux. Cette évolution jurisprudentielle s’est construite progressivement, à travers une série de décisions de justice marquantes.
L’affaire emblématique de Paul Touvier, jugée en 1992, a jeté les bases de la compréhension moderne de la complicité en crimes internationaux. La Cour de cassation a établi que l’élément matériel de la complicité peut consister en un acte positif d’aide ou d’assistance, ou en un acte d’instigation. Quant à l’élément moral, il suppose la démonstration de deux choses : la conscience de l’agent de participer à la réalisation d’un crime de droit commun (meurtre, assassinat, enlèvement, séquestration, etc.) et la conscience de participer à l’élaboration ou à l’exécution d’un plan concerté ou d’un complot. En 1997, dans l’affaire Papon, la Cour de cassation a reconsidéré sa position. Alors que la complicité de crimes contre l’humanité nécessitait auparavant une adhésion à la « politique d’hégémonie idéologique » de l’auteur principal, la cour a dissocié ces éléments, indiquant que l’adhésion du complice à cette politique n’était plus requise. Désormais, il suffisait de démontrer que le complice avait connaissance de l’existence de ces crimes. Cette clarification a élargi le champ des personnes pouvant être poursuivies pour complicité.
Cela a d’ailleurs été confirmé par la Cour de cassation en 2021, dans l’affaire Lafarge. En se fondant sur l’article 121-7 du Code pénal, la cour a précisé que cet article n’exige ni que le complice de crime contre l’humanité appartienne à l’organisation coupable de ce crime, ni qu’il adhère à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté visant une population civile dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique. Il n’est pas non plus nécessaire qu’il approuve les crimes de droit commun constitutifs du crime contre l’humanité. Il suffit qu’il ait connaissance que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un tel crime et que, par son aide ou assistance, il en facilite la préparation ou la réalisation. Une interprétation différente, qui exigerait que le complice adhère à la conception ou à l’exécution d’un plan concerté, aurait pour conséquence de laisser impunis de nombreux actes de complicité.
Toutefois, cette distinction entre auteur et complice n’est pas si simple, surtout en droit pénal international. Les crimes de masse sont souvent organisés de manière très hiérarchisée, avec les plus hauts responsables à la tête, qui ne commettent pas directement les actes criminels mais s’appuient sur des exécutants. Peut-on alors les considérer comme des complices ?
En 2022, la Cour d’Assises de Paris, dans l’affaire Laurent Bucyibaruta, a répondu négativement à cette question. Les juges ont souligné que la responsabilité pénale d’un individu peut être engagée en tant qu’auteur du crime de génocide, qu’il soit auteur direct en tant qu’exécutant matériel ou auteur moral ou instigateur. Comment alors distinguer l’auteur moral du complice instigateur ? Les juges ont précisé que l’auteur moral n’agit pas personnellement, mais fait commettre son forfait par un autre. Finalement, en juin 2023, les juges de la Cour d’assises de Paris, dans l’affaire Philippe Hategekimana/Manier, éclairent l’élément matériel de la complicité par instructions ce qui permet alors, in fine, de différencier l’auteur moral et le complice instigateur. Concernant la complicité, ils indiquent qu’il n’est pas requis d’établir que les instructions données ont été une condition nécessaire sans laquelle la commission du crime n’aurait pas eu lieu. En d’autres termes, un individu est considéré comme complice si ses actions facilitent la commission du crime mais ne sont pas absolument nécessaires pour que le crime soit commis. Leur contribution, bien que pouvant être importante, ne constitue pas une condition sine qua non de la réalisation du crime.
Toutefois, ces dernières années, la France a montré un intérêt croissant pour la poursuite des complices de crimes internationaux. L’affaire Lafarge, en particulier, a été un tournant majeur. En 2021, la Cour de cassation française a pris une décision inédite en retenant la responsabilité d’une personne morale, en l’occurrence l’entreprise Lafarge, pour complicité de crimes contre l’humanité commis en Syrie.
Cette décision marque une innovation juridique majeure car elle étend la responsabilité pénale au-delà des individus physiques, ce que même la Cour pénale internationale (CPI) n’a pas encore fait. Cette reconnaissance de la complicité des entreprises dans les crimes internationaux est novatrice et reflète une prise de conscience croissante de l’importance du rôle du financement dans la réalisation de ces crimes. Les entreprises, par leurs ressources financières, logistiques ou technologiques peuvent faciliter la commission de crimes à grande échelle, même si a priori, elles ne sont pas directement impliquées dans ces actes criminels. La France montre ainsi la voie, du moins en Europe, vers une responsabilisation des entités économiques dans la chaîne de commission des crimes internationaux.