Cette affaire concerne une femme qui en 2002, alors qu’elle était déjà âgée de 48 ans, a entrepris avec son mari d’avoir des enfants par procréation médicalement assistée (PMA). Cinq embryons ont été conçus in vitro à cette fin puis congelés pour une future implantation, la requérante étant atteinte d’endométriose. En 2003, la requérante perd son mari et renonce alors à poursuivre la procréation médicalement assistée. Depuis, les embryons demeurent congelés. Huit ans plus tard, en 2011, mécontente qu’une loi adoptée en 2004 (loi n° 40/2004) prévoit notamment l’interdiction de la destruction des embryons humains in vitro, la requérante saisit directement la CEDH au motif qu’elle souhaite donner les embryons à la recherche, pour qu’ils soient ainsi détruits. Elle allègue la violation de son droit de propriété sur les embryons humains (article 1 du Protocole n° 1) et du droit au respect de sa vie privée et familiale (article 8). Alléguer une violation du droit de propriété implique de dénier aux embryons humains la qualité de sujets de droit pour les qualifier de choses.
La loi n° 40/2004 a été adoptée pour fixer des normes éthiques et pour mettre fin à ce que l’on appelait alors le « far-West reproductif ». Des embryologistes abusaient en effet alors la PMA, notamment afin de répondre à la demande d’enfants formulée par des femmes âgées (parfois au-delà de 60 ans). Cette loi 40/2004 a affecté le secteur économique des biotechnologies en Italie et demeure débattue en raison de la protection qu’elle accorde aux embryons humains.
Par la loi 40/2004, le législateur italien a reconnu à l’embryon humain in vitro la qualité de sujet, au même titre que les autres sujets impliqués dans la PMA, et vise à garantir son droit à la vie. A cette fin, la loi interdit la destruction volontaire des embryons conçus (destruction par diagnostic préimplantatoire ‘DPI’ ou par recherche scientifique) et prescrit la congélation des embryons non (encore) implantés. Le choix du législateur italien est soutenu par de nombreuses normes européennes.
L’année dernière, cette loi a déjà été mise en cause et partiellement censurée par la CEDH dans une affaire Costa et Pavan c/ Italie (n°54270/10, 28 août 2012). La Cour avait jugé que, en interdisant par la loi litigieuse aux couples porteurs sains d’une maladie génétique de recourir à la procréation médicale assistée et au dépistage préimplantatoire, alors même qu’elle permettait l’interruption médicale de grossesse dans des cas où le fœtus était atteint d’une telle maladie, l’Italie avait, du fait même de cette incohérence, porté atteinte à l’article 8 de la Convention qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale.
La Cour avait à cette occasion énoncé un « droit [des parents] de mettre au monde un enfant qui ne soit pas affecté par la maladie dont ils sont porteurs sains » (§ 65), c’est-à-dire un droit à l’eugénisme. (Commentaire ici)
La présente affaire se pose en des termes différents car c’est un principe pour la Cour de laisser à chaque État la responsabilité de déterminer le statut de l’embryon et surtout quand commence la protection du droit à la vie garanti à l’article 2 de la Convention. La Cour accorde la protection de la Convention à l’embryon ou au fœtus à partir du moment où le droit interne leur accorde cette protection. Il en résulte que la Convention devrait s’appliquer aux embryons in vitro dans la mesure où le droit italien leur accorde sa protection. De même, la Convention ne devrait pas pouvoir être utilisée pour forcer l’Italie à réduire la protection qu’il a choisi d’accorder aux embryons humains.
Les embryons étant des sujets (au moins en droit italien), ils ne peuvent pas être des choses, objet de droit réel, et c’est donc logiquement que le législateur en déduit qu’ils ne peuvent pas être détruits volontairement. Le fait que la loi italienne permette par ailleurs l’avortement, et donc la destruction des embryons in utero, ne devrait pas avoir d’incidence en l’espèce car cette permission vise uniquement à préserver les droits à la vie et à la santé de la mère. Or, on ne voit pas comment la destruction des embryons in vitro pourrait se révéler nécessaire à la préservation de la vie ou de la santé de leur mère.
S’agissant du désir invoqué par la requérante de donner les embryons à la science pour le progrès de la médecine, cette intention ne semble pas être davantage de nature à pouvoir justifier la destruction des embryons in vitro, car le principe juridique de primauté de l’être humain sur l’intérêt de la science et de la société (reconnu notamment par la Convention d’Oviedo) s’y oppose nettement.
Enfin, le fait que la majorité des États européens permettent la recherche destructrice sur l’embryon n’est pas déterminant, car cela ne résout pas la question préalable de la nature de l’embryon et de sa protection, question qui relève du droit interne. Ainsi, l’existence d’un quasi-consensus n’est pas susceptible de créer une obligation conventionnelle de légaliser une telle pratique, laquelle obligation ne trouverait de toutes façons pas de fondement dans la Convention elle-même.
Ainsi, il semble bien que dès lors que le législateur italien a entendu reconnaître à l’embryon in vitro la qualité de sujet, et que s’applique le principe de primauté de l’être humain, il est impossible de faire droit aux demandes de la requérante.
Si la Cour conclut à la non-violation de la Convention, le sort des embryons humains surnuméraires conçus avant la loi de 2004 devrait rester entre les mains du législateur national. Plus généralement, notons qu’à ce jour, le droit est généralement organisé de sorte à ne pas abaisser les embryons humains au rang de choses, sans nécessairement leur reconnaître la qualité de personnes ; ils demeurent dans un entre-deux.
Plus généralement, notons que la présente affaire Parrillo c. Italie est un exemple de conjonction du libéralisme dans sa double dimension morale et économique. Le libéralisme moral et le libéralisme économique œuvrent conjointement en faveur de la déréglementation et de la suppression de la protection dont bénéficie l’embryon humain au titre de sa dignité humaine. Ainsi, avec cette affaire Parrillo, la Cour est appelée à décider si, également dans le domaine des biotechnologies, la conception libérale doit supplanter la conception ontologique des droits de l’homme fondée sur la dignité inhérente de tout être humain qui a inspirée la rédaction de la Convention.