[Droit comparé] L’état d’urgence entre le droit tunisien et le droit français.

Par Safouene Ouni, Elève-Avocat.

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La loi de 1955 de l’état d’urgence est la source fondamentale du décret tunisien de 1978. Mais contrairement au législateur français, la loi tunisienne n’a pas été modifiée, ce qui peut poser un grand problème au niveau de l’atteinte aux droits constitutionnels fondamentaux des citoyens.

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I. Les sources de droit du régime d’état d’urgence en Tunisie et en France.

A- En Tunisie.

En Tunisie, le régime d’état d’urgence a été mis en place par le décret n°78-50 du 26 janvier 1978 sous le régime de Bourguiba, dont son premier article dispose que :

« L’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire de la République, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant par leur gravité le caractère de calamité publique ».

En outre, le deuxième article de ce décret ajoute que :

« L’état d’urgence est déclaré pour une durée maximum de trente jours, fixée par décret, qui détermine la ou les circonscriptions territoriales à l’intérieur desquelles il entre en vigueur ».

Alors que le troisième article consiste sur le fait que :

« L’état d’urgence ne peut être prorogé que par décret qui fixe sa durée définitive ».

En d’autres termes, l’état d’urgence ne peut être déclaré en droit tunisien que de la part du président de la république, et pour une durée bien déterminée.

B- En France.

En France, le régime d’état d’urgence a été réglementé sous la quatrième république par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 suite aux attentats commis par le Front de libération nationale algérien.

Et contrairement au législateur tunisien, la loi française a été modifiée à plusieurs reprises :

  • La première version de la loi a disposé que l’état d’urgence ne pouvait être déclaré qu’à travers un vote parlementaire
  • Depuis 1960, la possibilité de déclarer l’état d’urgence a été reconnue au Conseil des ministres. Tout en considérant qu’un décret doit être pris par le Conseil des ministres. De plus, un vote au Parlement est obligatoire si l’état d’urgence est prolongé au-delà de douze jours
  • Modifiée une autre fois par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit
  • Et puis, suite à la loi de 20 novembre 2015, il y avait une actualisation des mesures pouvant être prises et un renforcement du contrôle parlementaire
  • Enfin, avec la loi du 21 juillet 2016, il est devenu possible de prendre une copie des appareils numériques et de fouiller les véhicules et les bagages.

II. Les mesures prises sous le régime d’état d’urgence en Tunisie et en France.

A- En Tunisie.

L’une des méfaits de ce décret en Tunisie, c’est qu’il donne un très grand pouvoir au ministre de l’Intérieur et au gouverneur durant la période de l’état d’urgence.

Concernant le gouverneur, l’article 4 du décret n° 78-50 dispose que :

« La déclaration de l’état d’urgence donne pouvoir au gouverneur dans les zones prévues à l’article 2 et autant que la sécurité et l’ordre publics l’exigent :

  • d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules
  • d’interdire toute grève ou lock-out même décidés avant la déclaration de l’état d’urgence
  • de réglementer les séjours des personnes
  • d’interdire le séjour à toute personne cherchant à entraver de quelque manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics
  • de procéder à la réquisition des personnes et des biens indispensables au bon fonctionnement des services publics et des activités ayant un intérêt vital pour la nation ».

Tandis que le pouvoir du ministre de l’Intérieur est réglementé par les articles 5 et 6 du décret.

L’article 5 :

« Le Ministre de l’Intérieur peut prononcer l’assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée, de toute personne, résidant dans une des zones prévues à l’article 2 dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre publics desdites zones.
L’autorité administrative doit prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance de ces personnes ainsi que celle de leur famine
 ».

L’article 6 :

« Le Ministre de l’Intérieur peut ordonner la remise, contre récépissé, des armes et des munitions dont la détention est soumise à autorisation et prescrire leur dépôt entre les mains des autorités et dans les lieux désignés à cet effet ».

De plus, le ministre de l’Intérieur et le gouverneur peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature, et peuvent interdire les réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre, et peuvent ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit et prendre toutes mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales, selon les articles 7 et 8 du décret.

D’où la révision de ce décret inconstitutionnel, qui est une nécessité absolue, puisqu’il donne un pouvoir discrétionnaire au pouvoir exécutif de limiter la liberté des individus sans aucun contrôle.

B- En France.

L’article 5 de la loi de 1955, qui a été modifié par la décision n° 2017-684 du conseil constitutionnel du 11 janvier 2018 :

« La déclaration de l’état d’urgence donne pouvoir au préfet dont le département se trouve en tout ou partie comprise dans une circonscription prévue à l’article 2, dans le but de prévenir des troubles à la sécurité et à l’ordre public :
1° D’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté.
2° (Abrogé).
3° D’interdire le séjour dans tout ou partie du département à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. L’arrêté énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s’applique, qui ne peut inclure le domicile de la personne intéressée.
Ces mesures tiennent compte de la vie familiale et professionnelle des personnes susceptibles d’être concernées
 ».

L’article 6 ajoute que le ministre de l’Intérieur peut prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre public.

Safouene Ouni, Élève-avocat à l’Institut supérieur de la profession d’avocat de Tunis, Master en sciences criminelles, M1 en droit international humanitaire (Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis).

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