Qu’est-ce que l’action sociale ut singuli ?

Par Baptiste Robelin, Avocat.

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Explorer : # responsabilité des dirigeants # action sociale ut singuli # réparation du préjudice # droit des sociétés

Dispositif légal permettant aux associés de rechercher la responsabilité des dirigeants sociaux, l’action sociale ut singuli est un dispositif original et efficace, trop souvent méconnu des praticiens. Elle s’oppose à l’action sociale ut universi, qui désigne l’action de la société mise en œuvre par ses représentants légaux.
Eclairage sur une action originale mêlant droit des sociétés et procédure civile.

-

Les dirigeants sociaux sont susceptibles d’engager leur responsabilité civile, voire pénale, lorsqu’ils commettent des fautes à l’occasion de leur gestion, causant ainsi un dommage à la société qu’ils dirigent.

Dès lors qu’ils sont les représentants légaux de la société, il est clair qu’ils ne risquent pas de mettre en œuvre l’action de la société à leur encontre.
Pour cette raison, le législateur a mis en place le mécanisme dit de l’action sociale ut singuli : cette action prévue par la loi permet aux associés, sous certaines conditions, d’agir en justice afin de demander réparation du préjudice subi par la société, indépendamment du préjudice subi par les associés eux-mêmes.

Cette action, réservée à l’origine aux seules sociétés commerciales, a été étendue à toutes les sociétés par la loi n° 88-15 du 5 janvier 1988 dont les dispositions ont été reprises par l’article 1843-5 du Code civil :
« Outre l’action en réparation du préjudice subi personnellement, un ou plusieurs associés peuvent intenter l’action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation du préjudice subi par la société ; en cas de condamnation, les dommages-intérêts sont alloués à la société.
Est réputée non écrite toute clause des statuts ayant pour effet de subordonner l’exercice de l’action sociale à l’avis préalable ou à l’autorisation de l’assemblée ou qui comporterait par avance renonciation à l’exercice de cette action.
Aucune décision de l’assemblée des associés ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en responsabilité contre les gérants pour la faute commise dans l’accomplissement de leur mandat »
.

L’exercice de l’action sociale ut singuli suppose donc que la faute ait été commise par le dirigeant ou les administrateurs dans l’accomplissement de leur mandat social.
L’action permet non seulement d’obtenir réparation des préjudices subis par la société, mais les demandeurs peuvent également agir à ce titre pour faire prononcer la nullité d’un acte social passé par les organes d’administration, au préjudice de la société [1] .

En toute logique, les dommages-intérêts obtenus entrent dans l’actif social et non dans le patrimoine personnel des associés agissants.
Aux termes de l’article L.225-254 du Code de commerce, l’action en responsabilité, tant sociale qu’individuelle, se prescrit par trois ans, à compter du fait dommageable ou s’il a été dissimulé, à compter de la date de sa révélation.

A. Qualité à agir dans le cadre de l’action sociale ut singuli

L’action sociale ut singuli peut être introduite par un seul associé, peu importe la fraction de capital qu’il détient. Il suffit qu’il soit associé au jour où il introduit l’action au nom et pour le compte de la société pour laquelle il entend demander réparation [2].

Il en découle que la cession des titres de l’associé s’accompagne de la perte de la faculté d’exercer l’action sociale, même si elle porte sur un préjudice né alors qu’il était encore actionnaire [3]. Le droit d’agir dans le cadre de l’action sociale ut singuli est alors transmis au nouveau titulaire des titres.

Est également irrecevable la demande formée par un actionnaire visant à réparer un préjudice né avant qu’il ait perdu cette qualité [4].

La qualité d’actionnaire est ainsi nécessaire pour agir et doit avoir été conservée pendant toute la durée de l’instance. En revanche, l’action peut être engagée par un associé qui a acquis ses parts ou actions après le fait dommageable.

Enfin sous certaines conditions, les textes confèrent la faculté d’exercer l’action sociale ut singuli à des associés groupés qui mandatent un ou plusieurs d’entre eux, désignés à l’unanimité, afin de les représenter [5].

B. Modalités pour agir

En raison de sa nature sociale, le tribunal ne peut statuer sur l’action sociale ut singuli que si la société a été régulièrement mise en cause par l’intermédiaire de ses représentants légaux.

La société doit donc être présente dans l’instance, assignée par le ou les associés agissants, afin que les décisions de justice lui soient rendues opposables.
Les dispositions relatives à une telle action ayant une portée générale, l’action peut être exercée aussi bien devant les juridictions civiles que pénales.

Les associés ou actionnaires peuvent également exercer les voies de recours au nom de la société.
L’associé peut ainsi faire appel d’un jugement qui a écarté la responsabilité d’un administrateur à l’égard de la société, quand bien même cette dernière agissait en première instance en réparation du même préjudice par l’intermédiaire de son représentant légal et qu’elle n’aurait pas fait appel de cette décision [6].

C. Principe de subsidiarité de l’action sociale ut singuli

L’action sociale ut singuli est une action dite subsidiaire : elle ne s’applique qu’en cas d’inertie des représentants légaux de la société.
Par conséquent, un actionnaire n’est recevable à exercer cette action sociale que tant que la société n’a pas elle-même intenté l’action en responsabilité contre ses administrateurs ou dirigeants [7].
Cette solution est logique, l’action sociale visant à permettre aux actionnaires de défendre les intérêts de la société en cas de défaillance ou de négligence des représentants légaux.

Toutefois, l’intervention des dirigeants légaux ne rend pas irrecevable l’action sociale ut singuli, dès lors que cette intervention s’avère purement formelle pour représenter la société dans le cadre de la procédure : « la seule intervention des représentants légaux de la société ne peut priver les actionnaires de leur droit propre de présenter des demandes au profit de la société » [8].

Il a notamment été jugé que l’action sociale ut singuli demeure recevable lorsque « la société, prise en la personne de ses représentants légaux, n’émet aucune critique » à l’égard de celui dont la responsabilité est recherchée et « n’invoque l’existence d’aucun préjudice » [9].
Ces solutions sont justifiées pour éviter que des dirigeants sociaux dont la responsabilité serait recherchée, ne tentent de faire obstacle à l’action initiée par les associés, en prétendant agir au nom de la société, sans pour autant exercer l’action avec diligence, voire, sans faire aucune demande.

D. Actions conservatoires au nom de la société.

Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut demander au juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, si elle justifie des circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement [10].

En vertu de ce principe il est admis que des associés d’une société auteurs d’une action sociale contre le gérant aux fins de le voir condamner à verser des dommages-intérêts à la société, ont qualité pour prendre toute mesure susceptible de garantir le paiement de l’action.
Ils peuvent donc obtenir l’autorisation du juge de faire pratiquer une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire sur les biens immobiliers du gérant, ou toute autre mesure conservatoire.

En revanche, il est indispensable que les associés sollicitent la mesure conservatoire au nom de la société, sous peine d’être jugés irrecevables [11].
Cette solution est conforme au mécanisme : bien que l’action sociale ut singuli soit introduite par les associés, elle n’est exercée que dans l’unique intérêt de la société.

Me Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris
NovLaw Avocats - www.novlaw.fr (English : www.novlaw.eu)

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Notes de l'article:

[1Cass, Com, 16 octobre 1972 n°70-13691.

[2Cass. com., 6 mai 1991, n° 89-16.900.

[3Cass. com., 26 janv. 1970 : Bull. civ. 1970, IV, n° 30 ; Cass. com., 12 nov. 1987 : Gaz. Pal. 1988, 1, pan. jurispr. p. 31.

[4CA Paris, 6 avr. 2001 : JurisData n° 2001-167239.

[5C. com., art. L. 223-22, al. 3 ; art. L. 225-252 ; art. R. 223-31 et R. 225-169.

[6Cass. crim., 12 déc. 2000 : JurisData n° 2000-008064.

[7CA Douai, 29 avr. 1997.

[8Cass. Crim, 12 décembre 2000, n°97-83470.

[9Cass. Crim, 16 décembre 2009, n°08-88305.

[10L. n° 91-650, 9 juill. 1991, art. 67. – D. n° 92-755, 31 juill. 1992, art. 210. ; Article L.511-1 du Code des procedures civiles d’exécution.

[11Cass. 2e civ., 14 sept. 2006 n° 05-16.266.

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Discussions en cours :

  • par TOURON , Le 8 août 2021 à 15:12

    Ici, c’est le contraire : il n’est pas possible pour les associés d’exercer l’action sociale pour demander la nullité d’un acte.
    Sinon, merci de m’avoir apporté vos lumières.
    Cordialement,

  • par Julie MNL , Le 7 avril 2019 à 19:04

    Cher maître,

    Je vous remercie pour la rédaction de cet article. Je me pose à ce titre une question.

    S’agissant de l’action ut singuli pouvant être intentée par un ou des associés en réparation du préjudice de la société, ces derniers peuvent également agir en nullité d’un acte social passé par les organes d’administration au préjudice de la société, ai je bien compris ?

    Pour autant à la lecture de l’arrêt 16 octobre 1972, il me semble que la cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel qui énonce que "ces actionnaires peuvent demander aux tribunaux de prononcer la nullité de l’acte pour abus de droit" et juge que "les textes autorisent seulement les actionnaires a exercer l’action sociale en responsabilité contre les administrateurs pour faute commise dans l’accomplissement de leur mandat aux fins d’obtenir réparation de leur propre préjudice, mais ne leur permettent pas d’agir a ce titre pour faire prononcer la nullité d’un acte social passe par les organes d’administration de la société"

    Pouvez vous m’éclairer ? Il y a quelque chose que j’ai du manquer.

    En vous remerciant.

  • par bonzougou Issa , Le 18 octobre 2018 à 17:36

    Texte documenté, clair et synthétique.
    Excellent travail.

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