Depuis quelques années, l’Esport a réussi à s’éloigner de ses stéréotypes peu flatteurs. Les professionnels comme les amateurs ne sont plus considérés comme des robots à lunettes bedonnants et renfermés.
Bien au contraire, le jeu vidéo devient un véritable phénomène de mode, déplace les foules et connecte de nombreux viewers.
Ce succès fulgurant est dû à plusieurs facteurs.
Le jeu vidéo est une activité accessible : prix, support (sur téléphone portable, sur PC/MAC, sur console, sur borne etc.), tout public (âge, sexe).
Le jeu vidéo est une activité visible : notamment avec l’arrivée du streaming. Les fans, ou les profanes peuvent suivre en direct une compétition d’Esport ou un simple amateur sur plusieurs plateformes (Twitch, Youtube, O’Gaming, Facebooklive, Mixer etc.).
Le succès est tel qu’il existe désormais des chaînes TV plus institutionnelles dédiées à l’Esport comme par exemple beIN eSport ou encore Canal Esport Club.
La démocratisation de l’Esport et sa reconnaissance médiatique a généré d’incroyables retombées économiques.
En France, l’industrie du jeu vidéo pèse à elle seule près de 3 milliards d’euros en 2019.
A titre de comparaison aux Etats Unis, le marché du jeu vidéo a généré 43,4 milliards de dollars de revenus en 2018, chiffre supérieur à l’ensemble des revenus générés par l’industrie du cinéma au niveau mondial (41,7 milliards de dollars) [1].
Pour toutes les raisons évoquées précédemment, il a même été évoqué la possibilité pour l’Esport d’intégrer les Jeux Olympiques.
Cependant, pour devenir une discipline olympique, l’activité doit, tout d’abord être un sport, puis ensuite, répondre à plusieurs critères.
I - L’Esport est il un sport ?
Le Code du Sport ne donne pas de définition précise de ce qu’est un sport.
A lire les dispositions de l’article L100-1 du Code du Sport, il apparait que l’activité doit promouvoir certaines valeurs pour pouvoir être qualifiée juridiquement de sport :
Education ;
Culture ;
Intégration ;
Lutte contre l’échec scolaire ;
Réduction des inégalités sociales et culturelles ;
Santé ;
Accessible aux personnes handicapées ;
Egalité entre les hommes et les femmes ;
Etc …
Je pense que l’Esport répond favorablement à toutes ces valeurs.
Même si le critère « lutte contre l’échec scolaire » peut heurter les plus fervents opposants du jeu vidéo, qui y voient au contraire une des causes principales de l’échec scolaire. On ne peut reprocher à certains jeux comme la magnifique SAGA « Assassin’s Creed », hormis certains anachronismes décriés [2], d’attiser la curiosité historique des joueurs voire de susciter des vocations.
Apprendre tout en s’amusant est le credo d’une éducation optimale.
Pour autant, l’Esport n’a pas été reconnu comme une pratique sportive en droit français.
En 2007, une demande d’agrément Esport avait été adressée au Ministère des Sports par la Fédération Française de Jeux Vidéo en Réseau (FFJVR - Il ne s’agit pas d’une fédération Esportive officielle).
Le Ministère des Sports a refusé de répondre favorablement à cette demande aux motifs que le jeu vidéo était essentiellement ludique et qu’il n’appelait à aucune performance physique. De plus, qu’il existe trop de jeux vidéo avec des règles toutes aussi différentes qui sont impossibles à codifier de manière unie.
Ainsi, on comprend mieux pourquoi les dispositions de la Loi « Pour une République Numérique » en date du 7 octobre 2016 ont été codifiées dans le Code de la Sécurité Intérieure et non dans le Code du Sport, et ce, sous l’appellation de « compétition de jeux vidéo », en lieu et place du faux-amis « ESport ».
Ainsi, le Législateur a souhaité clarifier la qualification juridique dans l’esprit du public.
Il résulte de ce qui précède que l’Esport n’est pas un sport au sens juridique du terme.
Or, c’est à se demander pourquoi les échecs ont été officiellement reconnus en tant que sport, alors qu’ils ne demandent pas plus d’efforts physiques que l’Esport. Bien au contraire, ces deux activités partagent de nombreux points communs, notamment en matière de stratégie.
La seule différence avec l’Esport, est que les échecs sont structurés (associations, clubs, Fédérations Nationales et Fédération Internationale), et que les joueurs sont soumis aux mêmes règles de jeux.
Ainsi, pour que l’Esport devienne un sport en droit français, il est nécessaire d’arriver à cette même architecture organisationnelle et représentative de l’activité.
Mais en la matière, les interlocuteurs de l’Esport en France sont trop nombreux.
Actuellement il existe beaucoup de groupements, dont aucun n’a la légitimité pour représenter la discipline dans son ensemble :
La Fédération Française du Jeu Vidéo en Réseau (FFJVR) ;
Fédération Française du Jeu Vidéo (FFJV) ;
L’Association France ESport créée le 26 avril 2016 ;
Etc.
En conclusion, avant de demander à être reconnu juridiquement en tant que sport, tous les intéressés doivent s’exprimer d’une seule voix.
Encore faut-il que les avis ne soient pas divergents.
II - L’Esport peut-il devenir un sport ?
Il a déjà été expliqué précédemment que l’Esport ne peut pas être aussi bien organisé que le Football par exemple, autour d’une Fédération comme la FIFA, en raison d’une réglementation propre à chaque jeu vidéo.
A cet égard, certaines voix s’élèvent contre l’intégration de l’Esport dans le Code du Sport.
Je partage ce point de vue.
Compte tenu des spécificités de la discipline, il apparaît plus opportun de réfléchir sur la création d’un Code de l’Esport.
Au-delà des règles qui ne sont pas unifiées en raison du nombre de jeux proposés sur le marché, il existe une autre difficulté qui freine l’intégration de l’Esport dans le Code du Sport.
En droit français, le jeu vidéo, au même titre qu’un livre, est une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur (Article L112-2 du Code de la Propriété Intellectuelle).
Ainsi, il est nécessaire d’obtenir l’autorisation de l’éditeur du jeu, titulaire des droits d’exploitation, pour organiser une compétition sur le jeu en question.
C’est la raison pour laquelle c’est l’éditeur qui organise, le plus souvent, lui-même sa propre compétition :
Le Championnat du monde de « League Of Legends » est organisé par l’éditeur « Riot Games ».
Les tournois « StarCraft I et II », « Overwatch », « Hearthstone », « World of Warcraft » sont organisés par l’éditeur « Blizzard ».
Le tournoi annuel « The International » sur le jeu « Dota 2 » est organisé par son éditeur « Valve Corporation » (éditeur des jeux : Counter-strike, Left 4 Dead 1 et 2, ou encore Half-life)
Les tournois du jeu « Fortnite » sont organisés, ou chaperonnés, par l’éditeur « Epic Games ».
Ainsi, une Fédération Esportive aussi légitime soit-elle ou un simple tiers organisateur, aura des difficultés à imposer ses idées aux éditeurs qui ont littéralement un droit de vie ou de mort sur les compétitions, mais aussi sur les joueurs qui espèrent faire « carrière » sur un jeu en particulier.
A la question « l’Esport peut-il devenir un Sport » ?
Il convient de répondre par la négative sur le plan juridique.
Dès lors, il est clairement établi que les différents acteurs de la discipline devront œuvrer de concert afin de créer un régime juridique capable d’épouser leurs spécificités.
Conscient de ces particularités, le Législateur a créé un régime juridique autonome en matière de Esport par la Loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 « pour une République numérique » aux articles 101 et 102.
Le Législateur a souhaité sécuriser l’organisation des compétitions de jeu vidéo (Décret n°2018-871 du 9 mai 2017) et clarifier le statut des joueurs professionnels en leur proposant pour la première fois un statut de salarié (Décret n°2018-872 du 9 mai 2017).
Cette reconnaissance légale de la discipline est néanmoins incomplète, dans la mesure où le poids des éditeurs n’a pas été appréhendé par le Législateur.
Peut-être faudrait-il commencer dans cet ordre pour la création d’un éventuel Code de l’ESport.
Discussions en cours :
Bonjour,
Je me suis également penché sur l’e-sport au travers de mes études de droit (j’ai fait mon mémoire de Master 2 sur le sujet du financement). Je trouve qu’en l’état actuel des choses, un code serait prématuré. Pour l’instant, on a 2 articles qui évoquent la notion, plus pour le légitimer que pour réellement lui donner un cadre précis.
Les décrets qui ont été fait en 2017 (d’ailleurs, attention ce sont les décrets 2017-871 et 872 et non 2018) essaient de poser des bases mais ne sont pas utilisés, du moins pas à ma connaissance. L’agrément pour les contrats des joueurs, 3 équipes l’avaient obtenu mais vu la rigueur des conditions, la durée du contrat et la souplesse demandée par les équipes (un joueur peut être recruté puis s’ils ne performe pas, doit être remplacé pour que l’équipe reste compétitive).
Je serai pour le fait que l’e-sport soit plus accompagné, ne serait-ce qu’au vu de la représentation de la France lors des compétitions (nous avons eu depuis longtemps de nombreux joueurs au niveau mondial et aujourd’hui encore). Il faudrait réunir tous les acteurs, voir les besoins de chacun et comment les intégrer dans le droit français, ce qui nécessite un fort intérêt pour la discipline par les législateurs et le gouvernement or (à part quelques députés connus comme étant "fan") je ne suis pas sûr qu’il y ait cette volonté politique aujourd’hui.
Bonjour,
Je pense que vous avez répondu, à votre manière, à la question posée.
Et nous en sommes arrivés à la même conclusion.
Vous dîtes que la création d’un Code de l’ESport est prématurée. Je suis parfaitement d’accord. C’est la raison pour laquelle j’ai suggéré, pour une rédaction plus complète et efficace d’un "éventuel" Code de l’ESport, la participation des éditeurs. (Ils ont été complètement oubliés).
Il est évident qu’une loi, et deux décrets, peu usités ne vont pas révolutionner la pratique. Mais c’est déjà révélateur d’une certaine volonté législative.
Vous évoquez un meilleur accompagnement. Là encore je suis d’accord. Toutefois, il est difficile d’accompagner les acteurs de la discipline sans un socle minimum de sécurité juridique que pourrait offrir un Code de l’Esport.
Les clients de la discipline ne sont pas rassurés quand ils comprennent que l’ESport n’est qu’un patchwork de plusieurs droits. Beaucoup ont le sentiment de ne pas être reconnus.
Pour finir, merci d’avoir rectifié la coquille sur la date du décret. Même après relecture, des erreurs "bêtes" peuvent perdurer dans un article.