Cette banque est néanmoins souvent située dans l’Union européenne.
La question du juge compétent pour juger les faits dans leur globalité et dès lors emmenée régulièrement à être posée.
Il est difficilement envisageable de procéder à deux procédures distinctes dans deux pays différents, l’une contre la banque émettrice, l’autre contre la banque bénéficiaire des virements, les coûts pouvant être prohibitifs.
Les banques européennes en ont pleinement conscience et tente de nombreux incidents procéduraux pour échapper à la compétence du juge Français et décourager les justiciables.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 29 janvier 2025 [2] illustre parfaitement les différentes problématiques procédurales susceptibles d’être soulevées dans ce type de dossier, la réponse apportée étant favorable aux victimes de ce type d’escroquerie.
Quels étaient les faits du litige ?
Une société X a été démarchée téléphoniquement en la personne de son président aux fins de réaliser un investissement dans les énergies renouvelables.
Celui-ci a alors procédé à un virement de la somme de 50.000 € à destination d’un compte ouvert par les escrocs dans les livres d’une banque espagnole.
Par la suite le président de la société s’est aperçu qu’il s’agissait en réalité d’une escroquerie.
La société X, estimant que leur responsabilité était engagée, a fait assigner les deux banques, française et espagnole, en leur qualité d’établissement émetteur et récepteur du virement litigieux, à comparaître devant le Tribunal de commerce de Paris.
Devant le tribunal, la banque espagnole a soulevé successivement la nullité de l’assignation pour vice de forme, puis l’incompétence territoriale des juridictions Française.
Ces arguments ont été rejetés par le Tribunal de commerce de Paris.
La banque a alors interjeté appel.
Pourquoi la banque espagnole invoquait la nullité de l’assignation ?
Le point de départ de l’argumentation de la banque était l’article 690 du Code de procédure civile, disposant que :
« la notification faite à une personne morale de droit privé ou à un établissement public à caractère industriel ou commercial, est faite au lieu de son établissement.
A défaut d’un tel lieu elle l’est en la personne de l’un de ses membres, habilité à la recevoir ».
La banque Espagnole estimait qu’en application de cet article la signification devait être réalisée au lieu de son siège social, et par exception au lieu de sa succursale, si tant est qu’elle ait un lien avec le litige.
La cour d’appel de Paris n’a pas retenu cet argument.
Elle a considéré que l’extrait KBIS de la banque faisait état d’un établissement français, immatriculé comme tel au RCS de Paris.
Dès lors l’assignation pouvait être régulièrement délivrée à cet établissement, sans autres conditions particulières, et il n’y avait pas lieu d’exiger du demandeur les règles procédurales spécifiques en matière d’assignation à l’étranger (tel que le délai augmenté, l’exigence d’une traduction…).
La banque cherchait en réalité de mauvaise foi à créer le maximum d’obstacles procéduraux alors même que les points invoqués ne lui avaient causé aucun grief, ayant rédigé des conclusions extrêmement longues et détaillées.
Ce point a été souligné par la Cour d’appel de Paris, rappelant que la nullité invoquée ne pouvait être retenue qu’en présence d’un grief.
Après avoir écarté la nullité la cour a examiné la question de la compétence du juge Français.
Quelles sont les règles européennes donnant compétence au juge Français pour assigner la Banque européenne bénéficiaire des virements ?
En matière délictuelle, le règlement Bruxelles I bis prévoit en son article 7 la compétence de la juridiction du lieu ou le fait dommageable s’est produit.
Dans un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne en date du 12 septembre 2018 [3] il a été jugé que :
« les juridictions du domicile de cet investisseur sont, en tant que juridictions du lieu ou le fait dommageable s’est produit, au sens de cette disposition, compétentes pour connaître de cette action, lorsque le dommage allégué consiste en un préjudice financier se réalisant directement sur un compte bancaire dudit investisseur auprès d’une banque établie dans le ressort de ces juridictions et que les autres circonstances particulières de cette situation concourent également à attribuer une compétence auxdites juridictions ».
Cette interprétation a été reprise par la Cour de cassation dans un arrêt de la 1er Chambre civile, 15 juin 2022, n°21-10.742.
Il en résulte que :
- En matière de préjudice financier, le lieu de matérialisation du dommage se situe sur le compte bancaire depuis lequel les virements ont été opérés ;
- Pour exclure la compétence de la juridiction du lieu de matérialisation du dommage, il convient de rechercher si les autres circonstances particulières de l’affaire concourent à attribuer la compétence à une autre juridiction
Par ailleurs l’article 8-1 dispose que, s’il y a plusieurs défendeurs, une personne domiciliée sur le territoire d’un état membre peut, par dérogation au principe énoncé à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, être attraite devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps, afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.
Pour caractériser la connexité, l’affaire doit s’inscrire dans une même situation de fait et de droit. En revanche, l’identité des fondements juridiques des demandes introduites à l’encontre de chaque défendeur est indifférente [4].
La Cour de cassation dans un arrêt 1ʳᵉ chambre civile du 17 février 2021, n°19-17.345 a fait application de ces principes.
Reste que l’application des règles de compétence prévues aux articles 7 et 8 du règlement Bruxelles I Bis doit répondre à l’objectif de prévisibilité poursuivi par le règlement.
La personne doit pouvoir prévoir être éventuellement assigné en France.
A défaut les articles 7 et 8 doivent être écartés.
Comment la Cour d’appel de Paris a interprété ces règles ?
Tout d’abord la Cour d’appel de Paris a écarté l’application de l’article 7.
Elle a considéré : « La société X reproche, notamment à la société de droit espagnol, un manquement à son devoir de vigilance. Or, cet évènement s’est nécessairement produit au lieu où se trouve le compte ouvert dans les livres de l’établissement bancaire, c’est-à-dire en Espagne. Il y a dès lors lieu de considérer que les fonds ayant été virés sur un compte à l’étranger, le détournement allégué n’a pu advenir qu’ensuite et que la matérialisation du dommage ne s’est pas produite en France ».
En revanche concernant l’article 8 la Cour d’appel de Paris a effectivement considéré que les actions en responsabilité engagées par la société X, contre la banque émettrice et contre la banque bénéficiaire des virements, sont connexes en ce qu’elles s’inscrivent dans une même situation de fait et de droit et par suite, pour éviter tout risque d’inconciliabilité des solutions, il y a lieu de les juger ensemble, peu important que les demandes soient éventuellement fondées sur des lois différentes.
Cette solution peut difficilement être critiquée. Il y a une même situation de droit, à savoir un manquement à un devoir de vigilance. Si ces demandes ne sont pas jugées ensemble le risque d’inconciliabilité des décisions existe.
Enfin la Cour d’appel de Paris a bien sûr écarté l’argument portant sur la prévisibilité.
Il est difficile pour une Banque européenne, tournée vers l’international, ayant qui plus est un établissement en France, de prétendre ne pas pouvoir prévoir être éventuellement assignée en France.
Dès lors la compétence du Tribunal de Commerce de Paris a été retenue.
Quel est l’intérêt pratique de cet arrêt ?
Cet arrêt permet de balayer l’ensemble des arguments soulevés par les banques dans ce type de procédure au soutien de leur exception d’incompétence.
Derrière cette exception se cache leur volonté de compliquer les voies de recours, pour échapper à une potentielle responsabilité due à un manque de vigilance de leur part.
NDLR : Cette décision a été reproduite, anonymisée, et diffusée sous l’entière responsabilité du cabinet d’avocat auteur de cet article.