Il faut avoir à l’esprit que l’avis du conseil d’enquête (1.) est édicté après la délibération de militaires (2.) à la suite de l’instruction d’un rapporteur (3.) et d’une séance à laquelle sont invités à comparaitre le militaire et son défenseur (4.).
1. L’avis du conseil d’enquête.
Le conseil d’enquête est saisi par le ministre des Armées ou l’autorité militaire compétente lorsqu’il est envisagé l’édiction d’une sanction disciplinaire du troisième groupe contre le militaire concerné [2].
L’avis du conseil d’enquête doit être remis à l’autorité habilitée à prononcer la sanction dans les trois mois qui suivent la date d’émission de l’ordre d’envoi [3].
Pour mémoire, il existe trois groupes répartissant les sanctions disciplinaires pouvant être infligées au militaire [4].
Par ordre croissant de sévérité, les sanctions du premier groupe sont : l’avertissement ; la consigne ; la réprimande ; le blâme ; les arrêts ; le blâme du ministre.
Celles du deuxième groupe sont : l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de cinq jours privative de toute rémunération ; l’abaissement temporaire d’échelon ; la radiation du tableau d’avancement.
Les sanctions les plus graves, à savoir celles du troisième groupe, sont : le retrait d’emploi [5] ; la radiation des cadres ou la résiliation du contrat.
On précisera que la résiliation du contrat concerne les militaires engagés (notamment les gendarmes adjoints volontaires) et la radiation des cadres, les militaires de carrière.
La saisine du conseil d’enquête n’est donc en rien anodine, tant son avis est déterminant.
Le ministre des Armées n’est, en effet, pas lié par l’appréciation de la faute commise et du choix de la sanction à prononcer émis par le conseil d’enquête [6]. Toutefois, l’édiction d’une sanction plus sévère que l’avis émis fait courir le risque d’une erreur de qualification juridique des faits et de disproportion l’entachant d’illégalité.
2. La composition du conseil d’enquête.
L’illégalité peut aussi tenir d’une erreur quant à la composition du conseil d’enquête [7].
Il faut cependant avoir à l’esprit que le juge administratif recherchera si, dans les circonstances de l’espèce, l’erreur de composition n’a pas effectivement privé le militaire d’une garantie.
Ce pourrait être le cas, par exemple, si les membres du conseil d’enquête ne sont pas issus de "la même force armée ou formation rattachée que le comparant" [8].
Également, un militaire se verrait sans doute privé d’une garantie si l’équilibre des grades n’était pas respecté [9].
Il est prévu qu’un comparant du grade d’officier voit le conseil d’enquête composé de : quatre officiers d’un grade supérieur au sien ; un officier du même grande que le sien et, sauf impossibilité, plus ancien dans ce grade.
C’est ainsi l’assurance pour ce militaire d’être soumis au regard de pairs connaissant son Arme, ses codes, certes ses obligations déontologiques, mais aussi les exigences attachées aux responsabilités qui lui incombent et à la position qui est la sienne.
Une telle appréciation serait bien évidemment viciée si, par une circonstance échappant à toute logique, le lieutenant d’un bataillon de chasseurs alpins voyait les faits qui lui sont reprochés appréciés par une composition prévue pour un matelot…
On précisera que la constitution du conseil d’enquête est notifiée au militaire qui dispose d’un délai de huit jours francs pour récuser trois, au plus, des membres figurant sur la liste [10].
3. L’instruction.
Un rapporteur est désigné et il se voit communiquer l’ensemble des pièces et documents au vu desquels il est envisagé de sanctionner le militaire [11]. Il a pour mission d’instruire le dossier à charge et à décharge en vue de rédiger un rapport pour renseigner les membres du conseil d’enquête.
Le rapporteur informe également le militaire qu’il a le droit de se faire assister d’un défenseur de son choix. On ne saurait trop recommander d’être accompagné d’un avocat suffisamment "verdi" ou "bleui" (pour un gendarme), maîtrisant certes le droit des militaires, mais surtout ses codes. La maîtrise du cadre légal est tout aussi importante que celle de l’environnement militaire.
En pratique, le premier entretien avec le rapporteur permettra de définir le déroulement de l’instruction et de se voir communiquer l’ensemble des pièces et documents transmis initialement au rapporteur.
Il s’ensuit souvent un second entretien, sous la forme d’une audition, lors duquel le militaire, assisté de son conseil, répond aux questions, présente ses observations et produit des pièces en défense. Il est essentiel que celui-ci ait fait l’objet d’une préparation, afin que les explications fournies démontrent l’absence de faute ou en atténuent la gravité.
Une bonne stratégie de défense est d’autant plus importante, que le militaire dispose de la possibilité de faire connaître au rapporteur l’identité des personnes qu’il demande à faire entendre par le conseil d’enquête [12].
4. La réunion du conseil d’enquête.
La date de la réunion du conseil est notifiée par son président de manière à ce que le militaire dispose, à réception de la notification, d’un délai de huit jours francs, au moins, avant la date de ladite réunion [13].
Le militaire est alors informé que s’il ne se présente pas à cette convocation, le conseil pourra siéger hors sa présence. On lui conseillera bien évidemment de répondre présent à ce rendez-vous déterminant pour son avenir professionnel.
Une nouvelle fois, la comparution devant le conseil d’enquête ne saurait être improvisée.
La préparation passe tout d’abord par une maîtrise du déroulement formel de la réunion.
Le président commencera par rappeler le rôle du conseil d’enquête : émettre "un avis sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée" [14].
Le rapporteur donnera ensuite lecture de son rapport. En suivant, le conseil prendra connaissance des renseignements fournis par écrit.
Il entendra successivement et séparément les personnes que le comparant a demandé à faire entendre et dont les auditions ont été jugées utiles pour l’examen de l’affaire [15].
Evidemment, les membres du conseil pourront, sous l’autorité du président, leur poser des questions. Il en est de même du comparant et de son défenseur.
Le comparant pourra également faire l’objet de questions de la part des membres du conseil, une nouvelle fois sous l’autorité du président.
A l’issue, le comparant et son défenseur pourront présenter leurs observations. En pratique, l’erreur de l’avocat pourrait être de plaider là où il est attendu sur une ultime défense assimilant parfaitement le contexte et le statut militaires du comparant.
Il est à noter que le militaire, qui comparaît, et son défenseur disposent toujours du dernier mot. Si un membre du conseil d’enquête ou le rapporteur prend la parole après leur intervention, ils pourront répondre aux propos tenus.
Enfin, le président invitera alors le rapporteur, le comparant et son défenseur à se retirer, afin que le conseil d’enquête puisse délibérer.
En suivant la notification de l’avis du conseil d’enquête, et si une sanction est édictée par le ministre des Armées ou l’autorité habilitée, une analyse de l’entier dossier peut s’avérer opportune pour déceler d’éventuelles moyens d’illégalité (erreurs de fait et de droit, erreurs de qualification juridique des faits, disproportions, etc.)
C’est à cette occasion, par exemple, que pourront être appréciées, avec une "approche réaliste ou pragmatique", pour reprendre les mots de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public près le Conseil d’Etat [16], si toutes les garanties ont été respectées (droits de la défense, impartialité, contradictoire, etc.).
La question se pose souvent de savoir si le militaire a bénéficié d’un temps utile visant à lui permettre de préparer utilement sa défense.
Quoi qu’il en soit, outre le respect de ces garanties, et ainsi que le précise M. Rémi Keller, également rapporteur public près le Conseil d’Etat [17], "ce n’est que si la sanction a franchi les bornes qu’elle devra être annulée".