Ecritures devant la Cour d'appel : comment distinguer les prétentions nouvelles "recevables" et "irrecevables" ? Par Benoit Henry, Avocat.

Ecritures devant la Cour d’appel : comment distinguer les prétentions nouvelles "recevables" et "irrecevables" ?

Par Benoit Henry, Avocat.

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Explorer : # prétentions nouvelles # cour d'appel # effet dévolutif # Évolution du litige

L’appel étant une voie d’achèvement du litige, l’évolution de celui-ci commande que l’avocat évoque des pièces et arguments nouveaux si nécessaire.
Pour autant, l’avocat doit s’abstenir de reprendre exactement les mêmes écritures que celles qu’il a développées en première instance.

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Sauf rares exceptions, le jugement de première instance a statué sur les prétentions qu’il a émises et les moyens qu’il a articulés à l’appui de celles-ci.

Il appartient donc à l’avocat d’expliquer à la Cour d’appel en quoi le raisonnement du premier juge est erroné ou pourquoi il n’a pas été fait droit à sa demande ou répondu à un moyen.

Le principe de concentration des moyens a été posé pour la première fois par l’arrêt "Cesareo" du 7 juillet 2006 de la Cour de Cassation en assemblée plénière.

En application de ce principe, les parties ont l’obligation de soumettre tous les moyens, principaux et subsidiaires qui sont susceptibles de soutenir une prétention donnée.

A défaut, une demande ayant une prétention identique mais fondée sur un autre moyen qui n’a pas été alléguée dans un premier procès, ne peut qu’être déclarée irrecevable.

L’évolution du litige pourra commander la production de pièces nouvelles, mais aussi l’évocation de moyens nouveaux ou une modification de la qualification juridique de la prétention, dés lors que la fin qui est poursuivie est identique.

Autrement dit, la critique du jugement est une chose, mais les parties restent libres de faire évoluer leur argumentation.

Il appartient à l’avocat de tenir compte de ce double rôle qu’il a de critique de la décision entreprise et d’acteur de l’évolution du litige.

La question consiste à cerner avec précisions la frontière entre les prétentions nouvelles « recevables » et les prétentions nouvelles irrecevables devant la cour d’appel.

Cette distinction se révèle souvent délicate car l’interprétation des diverses dispositions reste difficile à appréhender.

Devant cette problématique complexe, ce guide a pour objet, de définir l’effet dévolutif et de proposer un guide.

Il ne s’agit en aucun cas de mesures coercitives mais bien uniquement incitatives dans le but de renforcer le rôle de l’auxiliaire de justice de l’avocat dans la bonne critique de la décision entreprise et l’évolution du litige.

Ainsi, avocats et magistrats pourront ensemble élaborer l’œuvre de justice à laquelle ils aspirent.

Suivre les notions de base et les recommandations de ce guide, c’est aussi éviter les risques de responsabilité professionnelle.

I - La critique de la décision entreprise.

Dans sa version issue du décret de 6 mai 2017, applicable au 1er septembre 2017, l’article 542 du Code de procédure de procédure civile dispose : « L’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel. »

Dans les dossiers en appel, chaque partie ne reprend donc pas son argumentation de première instance, avec quelques ajouts sommaires.

C’est serait contradiction avec la voie de l’appel qui rappelons-le est une voie de recours.

L’appel ne consiste pas à introduire un procès, mais à contester un jugement.

L’approche d’un dossier en appel ne se fait donc pas se faire dans les mêmes conditions qu’en première instance.

Si une partie se trouve en demande en cause d’appel, ce n’est pas pour faire valoir une revendication à l’encontre d’un défendeur, mais parce qu’elle est affectée dans sa position par un jugement qui lui est défavorable.

En effet, depuis l’introduction de l’instance, un élément est survenu, à savoir le prononcé d’un jugement, ce qui change radicalement la position des parties.

Ainsi, le premier adversaire de l’appelant n’est pas la partie adverse, mais le jugement qu’il doit combattre.

D’ailleurs, il est fait appel d’un jugement, alors qu’en première instance on assigne une personne.

Pour cette raison, compte tenu de l’existence d’un jugement, depuis l’introduction de l’instance, les avocats ne doivent pas, en appel, se contenter de reprendre leurs conclusions de première instance.

Il faut que soit précisé en quoi la décision de première instance est critiquable, et pour quelles raisons la cour doit la réformer ou l’annuler.

L’appel tend désormais à la critique du jugement.

En définitive, il faut donc, dans les conclusions, dire en quoi le juge a eu tort, et donc en quoi sa décision est critiquable et mérite d’être réformée.

II- L’évolution du litige.

L’article 561 dispose « l’appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d’appel pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit ».

Cet article pose le principe de l’immutabilité du litige : il n’est dévolu à la cour qu’autant qu’il a été jugé devant les juges du fond et dans la limite de l’acte d’appel qui fixe l’étendue de la dévolution.

L’effet dévolutif de l’appel apparaît donc comme l’expression même du double degré de juridiction.

L’appel apparaît alors comme une voie de réformation ; il en découle l’interdiction de formuler en appel des demandes nouvelles.

Cependant, un temps souvent important s’écoule entre la décision de première instance et l’arrêt de la cour d’appel. Des changements peuvent s’opérer concernant les parties, les circonstances nouvelles, les pièces, la publication de nouveaux textes, l’intervention d’un tiers…

Une interprétation stricte de l’appel, voie de réformation, conduirait à exclure toute évolution du litige.

Or, l’appel doit mettre un terme au litige ; et pour ce faire, l’appel doit tenir compte de cette évolution.

C’est ainsi que l’appel est devenu, outre une voie de réformation des décisions des premiers juges, une voie d’achèvement des litiges.

Pour permettre l’achèvement du litige, de nombreuses exceptions ont été opposées au principe de l’interdiction des prétentions nouvelles.

Ces exceptions permettent de définir la notion même de prétention nouvelle.

Ces exceptions traduisent une certaine gradation de la modification du litige admise devant la cour d’appel, et ce jusqu’à la faculté d’évocation (article 568 du Code de procédure civile), c’est-à-dire la possibilité pour la cour d’appel de traiter des points non jugés par les juges du fond.

La "nouveauté " en appel connaît des gradations ou degrés différents.

Parfois, il s’agit uniquement d’améliorations ou modifications apportées aux débats de première instance et au litige initial en permettant soit des moyens, pièces et preuves nouveaux, soit des prétentions nouvelles.

Le juge d’appel ne devrait pas statuer sur un litige dont les données originaires ont été totalement bouleversées.

Cependant, le litige initial se voit transformé, puisque les parties sont autorisées à présenter des moyens, des pièces, et des preuves mais également des prétentions nouvelles dont le contour est défini par les articles 564 à 567 du Code de procédure civile.

L’article 563 du Code de procédure civile dispose : « pour justifier en appel les prétentions qu’elles avaient soumises aux premiers juges, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves ».

Les parties peuvent donc invoquer en appel des moyens nouveaux, de nouvelles pièces et des nouvelles preuves, à condition de ne pas modifier la prétention d’origine.

Dans ce cas, le litige est modifié et le litige initial transformé en appel.

La notion de moyen, le principe et ses limites sont fixées par la jurisprudence.

Mais dans d’autres cas, il est permis d’aller au-delà, par une transformation plus totale du procès ayant eu lieu devant la juridiction du 1er degré, en autorisant l’intervention de nouvelles parties ou « pire encore » en abordant devant la juridiction d’appel un litige non traité par la juridiction de 1er degré.

C’est donc un nouveau litige en appel qui va être examiné par la cour.

La procédure d’appel va aboutir à soumettre à la juridiction d’appel un nouveau litige.

La cour va se saisir d’un litige non traité par la juridiction du 1er degré du fait de l’intervention volontaire principale ou accessoire de nouvelles parties.

Les demandes de l’intervenant volontaire en cause d’appel doivent procéder directement de la demande originaire et tendre aux mêmes fins.

L’exigence d’une évolution du litige pour admettre une intervention forcée est rigoureuse.

L’arrêt de principe qui a caractérisé la notion d’évolution du litige est un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 11 mars 2005 (Bull. civ. 2005, Assemblée plénière n° 4).

Selon cet arrêt, l’évolution du litige résulte de la révélation d’une circonstance de fait ou de droit née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige.

Ainsi, ont été considérés comme constituant une évolution du litige justifiant une intervention forcée devant la cour, le fait que les héritiers de l’associé n’aient eu connaissance du contrat d’assurance qu’après la clôture des débats en première instance.

Il convient de distinguer l’effet dévolutif et l’évocation.

L’évocation est prévue à l’article 568 du Code de procédure civil : "lorsque la cour d’appel est saisie d’un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction ou d’un jugement qui statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l’instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d’instruction."

Lorsqu’un jugement de première instance annule un acte introductif d’instance, la cour d’appel qui estime que cette annulation a été prononcée à tort peut exercer son pouvoir d’évocation sur le fondement de l’article 568 du Code de procédure civile.

C’est donc un nouveau litige en appel qui va être examiné par la cour par la prise en compte et la résolution par la cour d’un objet du litige non examiné par la juridiction du premier degré.

En revanche, si la cour d’appel annule elle-même l’acte introductif d’instance, dans cette hypothèse lorsque l’appelant a conclu à titre principal, la cour connaîtra de l’entier litige en vertu de l’effet dévolutif de l’appel.

Le système actuel est complexe, assez arbitraire, car laissant un grand pouvoir d’appréciation aux juges du fond, et laissant la place à une grande incertitude pour les parties et leurs avocats.

Benoit Henry, bhenry chez recamier-avocats.com
Avocat Spécialiste de la Procédure d’Appel
Barreau de Paris
http://www.reseau-recamier.fr/
bhenry chez recamier-avocats.com
Président du Réseau Récamier
Membre de Gemme-Médiation
https://www.facebook.com/ReseauRecamier/

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Discussions en cours :

  • par Alassane SAKO , Le 24 janvier 2024 à 17:35

    Merci pour cet article. Je recherchais un article qui résume la question tout en explicitant ce que recouvent les notions d’irrecevabilités de prétentions nouvelles mises face au principe de concentration des moyens et la nécessité de faire valoir des moyens clairs (potentiellement avec un nouveau visage mais dans le même corps) face à la réplique d’un intimé. Votre article m’a beaucoup éclairé.
    Merci

  • par Nora , Le 28 janvier 2023 à 02:29

    Est-ce que la Cour d’appel exige des PREUVES d’agressions physiques (i.e. PVs de la police, examens medico-legistes) non-presentées en premier instance ?
    Merci.

  • par RÉGIS JAMON , Le 12 septembre 2021 à 07:02

    Les nouvelles prétentions peuvent être acceptées pour que des investigations soient diligentées. Ses preuves matérielles nouvelles se réfèrent au CPC. Est ce valable pour du pénal ?
    merci par avance de votre réponse.

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