Si jusqu’à la rentrée 2022, l’instruction dans la famille était soumise à un simple régime de déclaration, la logique a été désormais inversée : au régime de la déclaration s’est substitué le régime de l’autorisation préalable d’instruction en famille [1].
De nombreuses familles se sont vues refuser l’autorisation d’instruire leur enfant en famille dès septembre 2022. Quels sont les recours possibles ?
Tous les enfants qui ne reçoivent pas une formation dans un établissement scolaire en présentiel relèvent de l’instruction dans la famille (qui recouvre l’enseignement à distance). L’instruction obligatoire implique l’obligation impérative faite aux parents de faire instruire leurs enfants. Cette instruction obligatoire est encadrée par les dispositions des articles L131-1 et suivants du Code de l’éducation. L’article L131-1 de ce code dispose : « L’instruction est obligatoire pour chaque enfant dès l’âge de trois ans et jusqu’à l’âge de seize ans ».
En France, la quasi-totalité des enfants et des adolescents d’« âge scolaire », donc âgés de trois à seize ans, est scolarisée dans un établissement : parmi les 10 millions d’enfants concernés par l’obligation d’instruction, 99,7% fréquentent un établissement, qui peut être public (82,7%), privé sous contrat avec l’État (16,5%) ou bien privé hors contrat (0,5%) (Ministère de l’Éducation nationale selon le ministère de l’éducation). Cependant une population, certes minoritaire de l’ordre de 0,3% des élèves décide de l’instruction en famille.
Selon les chercheurs P. Bongrand et D. Glasman, on compterait 30 139 enfants en instruction à domicile, ce à quoi il faut ajouter les très nombreux enfants pauvres privés d’école, évalués par des associations à 100 000 personnes. Si la moitié des élèves relève de motifs tels que la santé, le handicap, le sport de haut niveau, l’itinérance des parents, l’autre moitié est instruite en famille par choix.
Malgré les très faibles effectifs concernés, depuis une dizaine d’années il semble que le phénomène soit croissant et de plus en plus médiatisé. Notamment avec la diffusion du « homeschooling » en Amérique du Nord.
Les familles les plus médiatisées dans l’espace français sont celles qui revendiquent une alternative à la forme scolaire, incarnant la flexibilité et le souci de l’épanouissement du bien-être ainsi les familles religieuses, qui estimeraient l’école trop éloignée de leurs valeurs, des principes de vie. Mais les enquêtes de Philippe Bongrand [2] suggèrent que, parmi les familles qui déclarent instruire leur enfant, le premier profil (parents à la recherche d’une alternative à la forme scolaire) est minoritaire et le deuxième (parents en proie à une « radicalisation ») est exceptionnel.
Les profils les plus courants sont autres : ils renvoient à une déscolarisation par dépit. Pour certaines familles, il s’agit d’interrompre une situation scolaire insupportable, liée à la souffrance scolaire, au harcèlement, ou plus simplement à l’ennui affectant le plaisir d’apprendre.
Pour d’autres familles, il s’agit
« d’ évitement de l’établissement de secteur dans un contexte où aucune alternative scolaire n’est disponible : lorsque des parents perçoivent un enseignement ou un encadrement de qualité insuffisante, ou bien craignent des mauvaises fréquentations pour leurs enfants, mais n’ont pas les ressources pour contourner la carte scolaire, ils peuvent opter pour l’instruction en famille.. À la différence de parents qui récusent par principe l’instruction en établissement, ces parents sont demandeurs d’école. Sous-représentés dans les discours publics, ils instruisent en famille parce qu’ils n’obtiennent pas de réponse de l’école acceptable à leurs yeux » [3].
1. Une restriction sans précédent.
Depuis plusieurs décennies, plusieurs restrictions du recours à l’instruction dans la famille se sont néanmoins succédées jusqu’à la plus récente en 2022, le passage de la déclaration préalable à l’autorisation.
En décembre 2013, des sénateurs proposent de limiter ce recours au motif que « l’éducation à domicile par la famille […] ne peut être le prétexte d’une désocialisation volontaire, destinée à soumettre l’enfant, particulièrement vulnérable, à un conditionnement psychique, idéologique ou religieux ». Plus récemment, les questions de « radicalisation » et de « dérives sectaires » ont renforcé ces velléités de contrôle.
En janvier 2015, suite aux attentats terroristes, le gouvernement annonce 11 mesures pour une grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République.
La mesure 9 « une action en faveur des publics les plus fragiles » renforce le contrôle de l’instruction dans la famille et indique notamment
« L’instruction à domicile fera l’objet d’un contrôle renforcé, impliquant des équipes pédagogiques en appui aux corps d’inspection effectuant actuellement les contrôles. À cette fin, des professeurs seront missionnés pour venir en appui aux corps d’inspection effectuant actuellement ces contrôles. Des repères seront donnés afin de mieux évaluer la progressivité des apprentissages ».
La circulaire du 14 avril 2017 précise d’ailleurs que « la vérification de l’acquisition de l’ensemble des connaissances et des compétences du socle commun est un des moyens qui peut permettre d’apprécier si l’enfant est soumis à une emprise contraire à son intérêt, notamment une emprise sectaire, ou s’il se trouve dans un contexte de risque de radicalisation ».
En 2018, un plan national de prévention de la radicalisation a pour objectif d’ améliorer l’organisation et la mise en œuvre du contrôle des familles non scolarisantes, par sa mesure 8 :
« En cas de signalement de radicalisation et sous le pilotage du préfet, améliorer la fluidité de la transmission de l’information avec le maire et l’inspection académique. L’objectif étant de s’assurer du caractère exhaustif du recensement des enfants soumis à l’obligation scolaire et d’accélérer la mise en œuvre des contrôles obligatoires en matière d’instruction dans la famille. Les services académiques doivent s’assurer que le suivi de la situation du mineur se fasse dans les meilleures conditions ».
La loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance consacre son Chapitre III au « renforcement du contrôle de l’instruction ».
Depuis la fin des années 1990, la tendance est donc celle d’un encadrement croissant et de renforcements successifs du contrôle, avec comme point d’orgue le nouveau nouveau de l’autorisation préalable avec la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, qui durcit l’accès à ce mode d’apprentissage dès la rentrée 2022. C’est une restriction sans précédent mais des recours sont possibles.
2. Pour quels motifs peut-on solliciter l’instruction dans la famille ?
L’instruction obligatoire pour tous les enfants de 3 ans à 16 ans est généralement dispensée dans un établissement scolaire (Public ou Privé). Un enfant peut aussi, sous conditions, recevoir cette instruction dans la famille. L’école à la maison est désormais soumise à un régime d’autorisation préalable en lieu et place du régime de simple déclaration qui était jusqu’alors en vigueur. La loi du 24 aout 2021 dites loi contre le séparatisme a modifié l’état du droit pour la rentrée 2022.
A compter de la rentrée scolaire 2022 et conformément au Décret n° 2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille, la possibilité de recevoir une instruction à domicile sera soumise à l’obtention d’une autorisation si les parents veulent que leur enfant suive son instruction dans sa famille.
Cette autorisation est accordée selon les motifs suivants :
État de santé de l’enfant,
Situation de handicap de l’enfant,
Pratique d’activités sportives ou artistiques intensives de l’enfant,
Itinérance de la famille en France,
Éloignement géographique de tout établissement scolaire public,
Existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif,
Intégrité physique ou morale de l’enfant menacée dans son établissement scolaire,
L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif.
3. Quelle est la nouvelle procédure ?
Principe : La demande d’autorisation est à adresser au Directeur Académique des Services de l’Education Nationale (DASEN) du département de résidence de l’enfant, grâce au formulaire CERFA 16212*01 [4] entre le 1er mars et le 31 mai inclus précédant l’année scolaire au titre de laquelle cette demande est formulée.
Exception : Pour des motifs apparus postérieurement à cette dernière et tenant à l’état de santé de l’enfant, à son handicap ou à son éloignement géographique de tout établissement scolaire public, la délivrance d’une autorisation peut toutefois être sollicitée en dehors de cette période.
Pour l’année 2022, et si l’ enfant était inscrit en école à la maison en 2021-2022, et que les résultats du contrôle pédagogique ont été jugés suffisants (l’enfant a obtenu un rapport d’inspection académique favorable pour cette même année), la démarche est simplifiée et la demande d’autorisation d’instruction dans la famille est de plein droit [5].
Conditions :
Dans tous les cas, l’instruction dans la famille doit regrouper uniquement les enfants d’une seule et même famille ;
La première demande d’autorisation d’instruction dans la famille requise par l’article L131-5 doit être signée par les deux titulaires de l’autorité parentale ;
Le formulaire cerfa indique tous les documents à fournir liés à l’identité de l’enfant.
Le ministère a été saisi de la difficulté de la délivrance d’une pièce d’identité pour les enfants qui n’en auraient pas et dont vous souhaitez la poursuite de l’instruction dans la famille de plein droit pour 2022/2023. Il a donc été décidé qu’à titre exceptionnel et pour les seules demandes formulées en 2022, la transmission d’une copie lisible du livret de famille ou d’un extrait d’acte de naissance sera considérée comme suffisante. L’absence d’une copie de la carte nationale d’identité ou du passeport ne sera donc pas un motif de refus d’autorisation d’instruction dans la famille.
Si la demande est fondée sur l’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif, le 4°.
Il faut aussi adjoindre au cerfa le projet éducatif : cette présentation doit comporter les éléments essentiels de l’enseignement et de la pédagogie adaptés aux capacités et au rythme d’apprentissage de l’enfant, décrire la démarche et les méthodes pédagogiques mises en œuvre, indiquer les ressources et supports éducatifs utilisés, l’organisation du temps de l’enfant (rythme et durée des activités).
Si un organisme d’enseignement à distance participe aux apprentissages de l’enfant, il faut aussi décrire le contenu de sa contribution.
Il s’agit du cas le plus fréquemment refusé ! La présentation écrite du projet éducatif doit être de qualité : il faudra bâtir un projet pédagogique et plus largement éducatif très construit, en tenant compte du socle commun de connaissances, de compétences et de culture [6] qui présente ce que tout élève doit savoir et maîtriser. Il rassemble l’ensemble des connaissances, compétences, valeurs et attitudes nécessaires pour réussir sa scolarité, sa vie d’individu et de futur citoyen.
Envoi de la demande.
Le cerfa et les documents justificatifs sont à adresser au DASEN (Directeur académique des services de l’éducation nationale) entre le 1er mars et le 31 mai inclus précédant la rentrée scolaire. Le DASEN doit accuser réception de votre demande.
Demande de pièces supplémentaires.
En cas d’information manquante, le DASEN peut demander de compléter votre dossier dans un délai précis. Ce délai ne peut pas être supérieur à 15 jours.
Notification de la décision.
Le DASEN notifie ensuite sa décision dans un délai de 2 mois à partir de la réception du dossier complet, c’est à dire-à-dire à partir de l’accusé de réception de la totalité des pièces de la demande d’autorisation d’IEF.
En application de l’Article L131-5 du Code de l’éducation, en l’absence de réponse dans le délai de 2 mois, la demande est donc acceptée. L’autorisation est accordée pour une année scolaire
En cas de refus de délivrance de l’autorisation, quels sont les recours possibles ?
4. Quels sont les recours applicables depuis 2022 ?
En cas de refus, la famille peut contester la décision.
Le recours administratif préalable obligatoire.
En cas de refus, la famille peut contester la décision dans les 15 jours. Toute décision de refus d’autorisation d’instruction dans la famille peut être contestée par les personnes responsables de l’enfant, dans un délai de 15 jours à compter de sa notification écrite, auprès d’une commission présidée par le recteur d’académie. Les modalités d’envoi de ce recours figure sur la notification de refus en application de l’article D131-11-10 du Code de l’Éducation. Il est conseillé de se rapprocher d’un avocat pour exercer ce recours.
Ce Recours Administratif Préalable Obligatoire (RAPO) est une étape nécessaire avant tout recours contentieux devant le tribunal administratif. La juridiction administrative ne peut être saisie qu’après l’exercice de ce recours !
La commission est présidée par le recteur d’académie ou son représentant. Elle comprend en outre quatre membres :
1° Un inspecteur de l’éducation nationale ;
2° Un inspecteur d’académie-inspecteur pédagogique régional ;
3° Un médecin de l’éducation nationale ;
4° Un conseiller technique de service social.
La commission se réunit dans un délai d’1 mois maximum après la réception de votre recours. Elle notifie sa décision dans les 5 jours ouvrés.
Dans tous les cas, le refus doit être motivé. A la différence de la première demande, Le silence de l’administration dans le cadre d’un RAPO vaut rejet. Si votre recours administratif a été refusé, il est possible de saisir le juge administratif.
La saisine du juge administratif.
Si la commission confirme le refus, la famille peut saisir le juge administratif. Il n’est pas possible de saisir le tribunal sans avoir saisi au préalable la commission mais il est possible de saisir le tribunal administratif sans attendre que la commission ait statué, soit dès le lendemain du dépôt du RAPO. Deux procédures sont envisageables :
1. La procédure en annulation de la décision.
Il est possible de saisir le tribunal administratif compétent pour demander l’annulation de la décision de refus d’instruction en famille, et en conséquence d’enjoindre l’administration à délivrer une autorisation d’instruire l’enfant en famille.
Compte tenu du nombre de procédure en cours devant les tribunaux administratifs, le juge mettra plusieurs mois pour statuer sur votre demande et rendre sa décision. Dans cette attente, l’obligation scolaire impose que les enfants soient inscrit en établissements publics ou privés.
Aussi comme les délais sont très courts avant la rentrée scolaire, il existe une solution pour tenter de suspendre la décision de refus d’école à la maison, pour permettre l’instruction en famille en attendant que le juge administratif rende sa décision. C’est le « référé-suspension » qui permet de saisir en urgence le tribunal administratif.
2. La Procédure de Référé-Suspension.
Pour saisir le juge administratif en « Référé » [7], il est impératif d’avoir déposé au préalable un recours en annulation. Autrement dit, la recevabilité de la demande en Référé-Suspension est conditionnée à l’existence d’un recours au fond préalablement enregistré au Greffe du tribunal.
Les deux procédures peuvent être initiées concomitamment et sans attendre la décision de la Commission présidée par le Recteur d’académie. L’avocat conteste alors par anticipation la décision « à naître » de la Commission, afin de ne pas perdre de temps en cas de refus de la Commission.
Les procédures en référé doivent être justifiées par plusieurs conditions :
A) L’urgence à statuer.
L’urgence a ce qu’une décision soit rendue doit être démontrée.
Dans un recours contre un refus d’instruction en famille, l’urgence à statuer a été retenue par le juge [8] et justifiée par les courts délais avant la rentrée scolaire et par l’importance pour l’enfant de pouvoir suivre une instruction en famille.
De même, par décision du Tribunal administratif de Rouen [9], le juge administratif a aussi reconnu l’urgence à statuer, car la décision de refus avait pour effet de contraindre la requérante d’inscrire dès à présent l’enfant en vue de le scolariser en septembre 2022 dans un établissement scolaire en capacité de l’accueillir.
B) L’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.
Par ailleurs, il conviendra de démontrer au juge administratif (saisi en référé) qu’il existe des doutes réels sur la légalité du refus d’instruction en famille, soit par exemple que :
L’auteur de la décision de refus n’avait pas compétence pour,
La décision de refus d’instruction en famille n’est pas suffisamment motivée,
Le refus est entaché d’une erreur sur les faits,
Le refus est entaché d’une erreur d’appréciation de la situation de l’enfant ou du projet,
Le refus est entaché d’une erreur de droit,
Le refus porte atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Si le recours aboutit et que la décision est suspendue, l’enfant peut-être instruit à domicile, si le juge enjoint la délivrance d’une autorisation provisoire
Le jugement au fond interviendra plusieurs mois après la décision sur la suspension de la décision...
Un enfant instruit à la maison sera ensuite soumis à deux contrôles : le contrôle du maire et un contrôle pédagogique annuel.
Articles de références.
Code de l’éducation : articles R131-11 à D131-11-13 Modalités de délivrance de l’autorisation d’instruction dans la famille
Code pénal : articles 227-15 à 227-28-3 Sanctions pénales en cas de non respect de la mise en demeure d’inscrire l’enfant à l’issue du second contrôle (article 227-17-1)
Code de l’éducation : articles L131-1 à L131-13 Obligation scolaire
Code de l’éducation : articles R426-2 et R426-2-1 Cned réglementé
Code de l’éducation : articles L131-5 Sanctions pénales en cas d’inscription dans une école privée ouverte illégalement
Code de l’éducation : articles R131-1 à R131-4 Contrôle de l’inscription
Code de l’éducation : articles R131-12 à R131-16-4 Contrôle du contenu des connaissances requis des enfants instruits dans la famille ou dans les établissements d’enseignement privés hors contrat
Code de l’éducation : articles R131-18 à R131-19 Sanctions pénales
Code de l’éducation : article D131-11-10.
Discussions en cours :
Bonjour,
Depuis 1 an que ces nouvelles regles ont été mises en places, n’y a-t-il pas de jurisprudence pour les demandes en motif 4 qui ont été acceptées après passage au tribunal (sur un dossier ou cest vraiment par choix de la famille) ?
Bonsoir, si tel est le cas j’aimerai bien savoir s’il y a eu des jurisprudences sur les ta concernant l’ief, car nous sommes en route pour un rapo, dans notre académie 100% de refus aux rapo... voilà ce qu’est devenue l’en depuis cette nouvelle formule !
Effectivement des cas de Jurisprudence serait pertinent, je me pose aussi la même question