Le droit de la victime à être assistée d'un avocat lors de son dépôt de plainte ou son audition. Par David Marais et Soraya Nouar, Avocats.

Le droit de la victime à être assistée d’un avocat lors de son dépôt de plainte ou son audition.

Par David Marais et Soraya Nouar, Avocats.

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Explorer : # droit des victimes # assistance juridique # procédure pénale # dépôt de plainte

Une plaignante a-t-elle le droit d’être assistée par son avocat lorsqu’elle porte plainte ou est entendue en sa qualité de victime ? En pratique, les forces de l’ordre s’y opposent souvent sur la base d’une interprétation toute personnelle du code de procédure pénale. S’il faut admettre que le code n’est effectivement pas clair sur ce point, ce droit existe et la présence de l’avocat aux cotés de la victime lorsque celle-ci est auditionnée au stade de l’enquête ne peut être légalement refusée.

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C’est un jour comme un autre dans la vie d’un(e) avocat(e). Alors qu’il/elle accompagne une victime d’infraction déposer plainte, il/elle se voit opposer une fin de non-recevoir et subit ce dialogue effarant :

« Désolé Maître mais vous n’êtes pas autorisé(e) à accompagner votre client dans le cadre de son dépôt de plainte » ;
« Evidemment que si » ;
« Ce n’est pas l’avis de ma hiérarchie et le code ne vous donne pas expressément ce droit, bonne journée ! » ;
« Très bien, je saisis le Parquet » ;
« Faites ça
 ».

Bien entendu, le Parquet confirmera par mail le droit de ce confrère/consœur à accompagner toute personne désirant porter plainte qui le souhaiterait. Mais le temps d’obtenir ce mail, quel temps perdu !

Racontant cette histoire autour de nous, il nous est apparu que si les policiers et gendarmes ignoraient ce droit - ou feignaient de l’ignorer pour mieux se débarrasser de la présence d’un conseil - son existence n’était pas d’une grande évidence non plus dans l’esprit de nombres de confrères, pourtant pénalistes depuis longtemps - certains pensant même que la présence de l’avocat au moment de la plainte est une simple « possibilité » laissée à l’appréciation arbitraire du policier ou gendarme prenant la plainte.

Il est donc temps de clore, définitivement ce débat, et de dire ceci clairement aux victimes : votre avocat peut vous accompagner lorsque vous portez plainte au commissariat ou à la gendarmerie ou - si la plainte a été déposée par votre avocat par écrit auprès du Procureur de la République - lorsque ceux-ci décident de procéder à votre audition. C’est votre droit (1), avant d’en dessiner les contours et limites (2).

1. Le droit pour toute victime d’être accompagnée d’un conseil lors de son dépôt de plainte auprès des forces de l’ordre.

Force est de le constater, le code lui-même est ambigu sur ce sujet.

L’article 10-2 du code de procédure pénale n’énonce clairement le droit à l’avocat que lorsque la victime entend se constituer partie civile (10-2 3°), lorsqu’elle doit être confrontée au mis en cause (63-4-5 et 77 CPP) ou lorsqu’elle doit participer à certains actes d’enquête (reconstitution, identification, 61-3 CPP).

Il n’est donc pas clairement posé par le code de droit à l’avocat au moment du dépôt de plainte ou de son audition - rendant ainsi possible le refus des policiers ou gendarmes que nous constations.

Ce silence des textes est plus que regrettable, tant ces moments de parole de la victime sont essentiels dans le processus pénal : parole mal expliquée, mal rédigée, mal relue, mal passée, et voilà le dossier qui dès son point de départ risque de ne pas aller bien loin, voire nulle part. Sans compter les difficultés psychologiques liées à la difficulté d’affronter seul(e) un monde inconnu, parfois hostile, devant lequel il faut malheureusement s’ouvrir entièrement, parfois jusqu’aux tréfonds de son intimité.

Pourtant, si le code ne le dit pas explicitement, le droit d’avoir son avocat avec soi au moment de porter plainte ou d’être entendu existe, quoiqu’on en dise, quoiqu’on oppose aux conseils se présentant avec leurs client(e)s.

En effet, l’article 10-2, comme l’article 10-4, usent d’une formule vague permettant - même s’il est malheureux d’en passer par là - au conseil de passer par la fenêtre, à défaut de pouvoir entrer par la grande porte :

« A tous les stades de l’enquête, la victime peut, à sa demande, être accompagnée par son représentant légal et par la personne majeure de son choix ».

Votre avocat(e) ayant de grande chance d’être majeur(e), et le code vous donnant le droit absolu d’être accompagné et une liberté totale de choix quant à la personne de votre accompagnateur, il vous est donc parfaitement possible de vous présenter pour déposer plainte ou être entendu(e), accompagné(e) de celui ou celle-ci.

2. Contours et limites du droit d’être accompagné.

Mais que signifie être accompagné(e) par un avocat ? Et la plainte et/ou l’audition du plaignant sont-elles des « stades de l’enquête », ouvrant ce droit à un accompagnant ?

En effet, si le droit d’avoir un conseil se limite à ce que celui-ci vous « accompagne » jusqu’à la porte du policier ou du gendarme chargé de vous entendre pour finalement rester dans la salle d’attente, aux motifs comme le prétendent les forces de l’ordre qu’il/elle n’a qu’un droit d’accompagnement pas d’assistance ou que la plainte (ou l’audition) n’est pas un élément de l’enquête, cette présence n’a que peu d’intérêt.

Fort heureusement, cette interprétation policière du texte a été explicitement condamnée par une réponse officielle du Ministère de la Justice. Celle-ci va plus loin que cette condamnation en posant clairement que le rôle de l’avocat est bien un rôle d’assistance et que celui-ci est un droit dont bénéficie la victime au moment du dépôt de plainte lui-même et a fortiori de son audition (Question n°16044 - Accompagnement victimes par un avocat lors du dépôt de plainte - réponse du 5.02.2019, c’est nous qui soulignons) :

« Si la possibilité pour la victime d’une infraction d’être assistée d’un avocat lors du recueil de sa plainte n’apparaît pas expressément dans les dispositions des articles 10-2 et 10-4 du code de procédure pénale (CPP), il n’en demeure pas moins que cette possibilité est offerte à la victime et ne pose aucune difficulté juridique.

En effet, ce droit découle des dispositions des articles 10-2 et 10-4 du CPP qui permettent à la victime, à tous les stades de la procédure, y compris lors du dépôt de plainte, d’être assistée de la personne de son choix. De plus, le dépôt de plainte entre parfaitement dans le cadre de l’enquête. S’agissant d’un procès-verbal d’audition, il constitue un acte de police judiciaire et par conséquent un acte d’enquête à part entière. »

On ne se plaindra évidemment pas de cette réponse officielle de la Garde des sceaux, et de l’analyse fort juste [1] consistant à dire qu’une plainte est bien un élément de l’enquête « à part entière » (et souvent son point de départ), mais on relèvera tout de même le glissement sémantique du terme « accompagner » visé au code au terme « assister ».

On le relèvera mais on ne s’en plaindra pas, disions-nous, car le recours à la notion « d’assistance » par un avocat permet certes d’imposer la présence physique de cet accompagnateur particulier au moment même du dépôt de la plainte aux côtés du client mais surtout de lui donner toute sa place de conseil  [2]. « Assister » c’est en effet « être présent », mais c’est aussi « aider » et, nous (avocats) concernant « aider le justiciable dans sa défense » [3], le « conseiller et le défendre » [4], « prendre la parole dans son intérêt » et partant : rectifier les malentendus, relire le procès-verbal et, le cas échéant, demander des corrections.

Toutefois, l’avocat saisi ne pourra pas tout faire. En effet, faute de prévision explicite de son intervention dans les textes, il ne pourra ni demander à consulter les éventuelles auditions antérieures de son/sa client(e), s’il y en a, ou de poser des questions ou faire des observations (actes possibles au stade de la confrontation : art. 63-4-3 CPP).

Au moment où l’enquête de police prend de plus en plus le pas sur l’instruction, dont le nombre s’est réduit à peau de chagrin, sans que les droits de la défense (des auteurs comme des victimes) n’aient été renforcés pour rééquilibrer la procédure, il serait peut-être bon de profiter de ce que notre nouveau Ministre de la Justice soit issu de nos rangs pour qu’enfin le droit soit donné à la victime d’être officiellement, légalement, assistée par un avocat lors de sa plainte ou de son audition, avec pouvoir pour celui-ci d’être entendu en ses questions et observations.

Espérons !

David Marais
Avocat au Barreau de Paris
Ancien Secrétaire de la Conférence
Expert en Protection des Entreprises et Intelligence Economique
Et Soraya Nouar
Avocate au Barreau de Paris
soraya.nouar chez gmail.com

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Notes de l'article:

[1Ceci découlant fort logiquement des conditions comme des effets de la plainte même simple, notamment l’obligation d’enquêter, E. Bonis, Plainte et dénonciation, Rep. Dalloz Droit pénal et procédure pénale.

[2Sur le « recours effectif à un avocat : François Fourment, Droit effectif et concret à un procès équitable et « assistance effective » du gardé à vue, La Semaine Juridique Edition Générale n° 47, 19 Novembre 2012, 1242.

[3A . Damien, H. Ader, Règles de la profession d’avocat, Dalloz, n°41.81.

[4« Avocats : missions, septembre 2020, Fiche Dalloz.

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Discussions en cours :

  • Bonjour
    Policier depuis 29 ans, enquêteur depuis 22 ans, j’ai eu parfois la situation à gérer. Comment je gérais moi même cela ?.. au feeling …
    Comme indiqué dans le sujet, le CPP n’est pas précis et a bien le lire, ni dans un sens ni dans l’autre et malgré beaucoup de philosophie, le Droit n’impose rien au policier ou gendarme et ne permet rien à l’avocat lors du dépôt de plainte. C’est factuel ! Les textes rien que les textes. Suffit de le lire dans le code de procédure pénale.

    Bien entendu il existe autant d’interprétation que de lecteur du code de procédure pénale sur le sujet.

    Le policier refuse pour plusieurs raisons : sa hiérarchie, ses consignes écrites ou non écrites, sa propre formation en droit (APJ ou OPJ), mais aussi son expérience et sa sensibilité au sujet. De plus pour l’avoir parfois vécu, la parole du plaignant est parfois, rarement heureusement, entravée et même travestie par le « Conseil » qui interrompt ou conteste à chaque question du policier.

    Ma pensée : une plaignante se présente et elle annonce la raison. L’infraction criminelle ou délictuelle grave est un maillon important à prendre en compte
    Je fais abstraction ici dans ce sujet, des conditions matérielles lors de l’enregistrement de la plainte. Ensuite la parole libre doit être évidemment recadrées en langage judiciaire (élément matériel, moral, légal). Pour ma part je gère l’avocat que j’autorise à être présent comme lors d’une audition libre… il n’intervient pas sauf à la fin par questions modifications ou précisions apportées mais avec autorisation expresse du plaignant. Un entre deux qui permet à toutes les parties de s’en satisfaire. Le plus important dans tout cela est le comportement de tout le monde, policier ouvert, réceptif, et professionnel mais aussi un comportement respectueux et non revendicatif de l’avocat … tout cela dans l’intérêt de tous et le règlement de l’affaire.
    La saisine-plainte est un élément fondamental pour la suite de l’enquête policière et du procès pénal dans son ensemble. Oui la procédure pénale est déséquilibrée et elle est en faveur excessive des mis en causes au détriment des victimes. Il serait bon que le CPP rétablisse sans ambiguïté les droits aux victimes.

    Cordialement

    • par David Marais , Le 29 septembre 2022 à 12:39

      Cher Monsieur,

      Merci de partager votre expérience. Votre commentaire me permet également de mettre à jour cette publication. En effet, depuis sa parution, la loi du 22 décembre 2021 est venue ajouter expressément la mention de l’avocat comme "personne pouvant accompagnée les victimes à tous les stades de la procédure" à l’article 10-2 8° du code de procédure pénale.

      Il n’y a donc plus de doute, l’avocat peut assister un(e) plaignant(e) au moment du dépôt de la plainte.

      Le législateur a entendu les professionnels sur ce besoin de clarification !

    • par Duclos , Le 28 mai 2023 à 05:39

      Ayant été victime de violences conjugales, à aucun moment de la procédure il m’a été proposée conseillée de prendre un avocat et voire même ce fut le contraire lors de la confrontation.
      Les policiers m’ont répondu que ce n’était pas nécessaire, qu’ils s’occupaient de tout…
      Résultat, je n’ai rien su du déroulé ni du verdic écœurant appris par hasard.
      Mon ex lui avait son avocate commis d’office, moi toute seule.

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