Le droit de préemption urbain, entre motivation et réalité du projet.

Par Orlane Sommaggio, Avocate.

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Explorer : # droit de préemption urbain # motivation des décisions # projet d'aménagement # jurisprudence administrative

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Le droit de préemption urbain nécessite une motivation précise et un projet d'aménagement réel. La référence à une délibération n'est pas suffisante, sauf dans certains cas spécifiques.
Description rédigée par l'IA du Village

Le droit de préemption urbain, véritable mécanisme juridique inscrit dans le Code de l’Urbanisme, se présente comme un outil puissant accordé aux collectivités locales pour façonner le paysage urbain conformément à leurs objectifs et aux besoins de la communauté.
Toutefois, ce droit est encadré juridiquement et il est important de souligner que le non-respect de ces conditions peut rendre la décision de préemption illégale.

-

A) Sur l’illégalité de la décision de préemption en raison du défaut de motivation.

1) Sur l’illégalité d’une motivation par référence.

L’article L210-1 du Code de l’Urbanisme énonce clairement les conditions auxquelles une décision de préemption doit se conformer. Selon les juridictions administratives, le droit de préemption urbain est justifié si la collectivité démontre, à la date de son exercice, la réalité d’un projet d’aménagement répondant aux objectifs définis par l’article L300-1 du Code de l’Urbanisme. De plus, la nature de ce projet doit être explicitée dans la décision de préemption.

Il est récurrent que les Communes assurent la motivation de leur décision de préemption par une référence à la délibération.

Toutefois, la seule référence en pièce jointe à une délibération peut s’avérer ne pas être une motivation par référence suffisante.

Le rapporteur public Luc Derepas, dans ses conclusions, indique [1] : « Les dispositions applicables ne sont en effet pas exactement les mêmes dans ces deux cas de figure. L’article L210-1 prévoit que lorsque la préemption est justifiée par un projet spécifique au bien préempté, la décision doit "mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé" ; en revanche, lorsque le projet s’insère dans une opération plus vaste, l’article L210-1 autorise la motivation par référence. Lorsque la préemption vise à constituer des réserves foncières dans le cadre d’une zone d’aménagement différé, l’article L210-1, dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions attaquées, indique que la décision "peut se référer aux motivations générales mentionnées dans l’acte créant la zone" ; et lorsque la commune a délibéré pour définir un programme local de l’habitat, ou pour ’délimiter des périmètres déterminés dans lesquels elle décide d’intervenir pour les aménager et améliorer leur qualité urbaine", le même article prévoit que la décision de préemption peut seulement "se référer aux dispositions de (la) délibération" qui a statué en ce sens ».

Ainsi, comme le relève le rapporteur public précédemment cité, l’article L210-1 du Code de l’urbanisme autorise une motivation par référence uniquement dans certains cas limitatifs.

En jurisprudence, lorsque la loi autorise la motivation par référence à un programme local de l’habitat, il est essentiel que la décision de préemption se réfère à une délibération définissant clairement le contenu et les modalités de mise en œuvre de ce programme.

A cette fin, la collectivité peut, soit indiquer la nature de l’action de l’opération, soit se borner à renvoyer à la délibération approuvant le programme local de l’habitat si celle-ci permet d’identifier la nature de l’action ou de l’opération d’aménagement poursuivi, eu égard, notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe [2].

A titre d’exemple, la Cour Administrative d’Appel de Douai a souligné qu’une délibération vague, se contentant d’évoquer les inconvénients d’un projet sans détailler l’opération d’aménagement, ne répondait pas aux exigences de motivation de l’article L210-1 du Code de l’urbanisme [3].

Ainsi, la motivation par référence n’est admissible dans certains cas que si cette dernière définit avec précision le projet en question.

Faute de quoi, la décision de préemption elle-même doit identifier le projet, antérieur à ladite décision et répondant aux objectifs de l’article L300-1 du Code de l’Urbanisme.

2) Sur l’absence de motivation faisant apparaître un projet de nature à justifier une préemption.

En droit, à défaut de la possibilité d’une motivation par référence, une décision de préemption doit elle-même permettre d’identifier la nature du projet pour laquelle la préemption est menée ; projet qui par ailleurs devra être antérieur à la décision de préemption, et répondre aux objectifs visés à l’article L300-1 du Code de l’urbanisme.

À ce titre, le juge administratif souligne par exemple que la décision se bornant à indiquer que le droit de préemption est exercé en vue de permettre « le renouvellement urbain et de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti » est insuffisamment motivée [4].

Il ne doit pas ressortir de la lecture de la décision litigieuse une confusion entre les objectifs et un projet d’action ou d’opération poursuivi.

En effet, à titre d’exemple, de simples objectifs préconisés par une étude ne permettent pas d’identifier l’opération d’aménagement (CAA Bordeaux, 17 novembre 2020, SAEM InCité, req. n° 18BX03074) :

B) Sur l’illégalité de la décision de recourir au droit de préemption urbain en l’absence de la réalité d’un projet communal.

Selon le Conseil d’État, le titulaire du droit de préemption doit justifier de l’existence d’un projet répondant à la définition d’une action ou d’une opération d’aménagement prévue à l’article L300-1 du Code de l’Urbanisme. Cette orientation doit être antérieure à la décision de préemption, et donc, l’autorité doit prouver l’antériorité de son projet.

Le Tribunal administratif de Lyon annule les décisions de préemption lorsqu’aucun projet d’action ou d’opération d’aménagement n’est identifiable : « 4. Il ressort de l’arrêté en litige que le président de la métropole de Lyon a entendu exercer le droit de préemption urbain sur la parcelle XXXX pour constituer une réserve foncière afin d’y assurer le maintien de l’activité économique en ville et la maîtrise de l’offre foncière en cohérence avec la stratégie métropolitaine de développement économique, en particulier avec le schéma d’accueil des entreprises.
(…)
5. Toutefois, ces éléments de motivation, d’ordre général, ne permettent pas de caractériser l’existence, la date de l’acte contesté, d’un projet d’action ou d’une opération d’aménagement incluant la parcelle préempter à ce titre. En outre, si la métropole fait état de sa politique de développement économique dont l’un des axes tend à la consolidation de son socle industriel en garantissant une offre immobilière et foncière adaptée aux attentes des entreprises (…), elle n’établit pas plus la réalité d’un projet. De même, le fait que la zone UEi1 où se situe le bien préempté se caractérise par la volonté de maintenir et développer dans ce secteur de Villeurbanne des espaces accueillant des activités économiques de production plutôt que des bureaux, des hébergements hôteliers et des commerces de détail, montre seulement que la métropole est déterminée à intervenir dans ce secteur, mais sans qu’aucun projet d’action ou d’opération d’aménagement ne soit réellement identifiable
 »
 [5].

La Cour Administrative de Nancy a souligné qu’une décision de préemption doit préciser la nature du projet en vue duquel elle est prise [6]. Dans une affaire similaire, la Cour Administrative d’Appel de Nantes a jugé qu’une simple réflexion sur l’aménagement d’un secteur ne constitue pas une preuve suffisante d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement sur les parcelles en litige [7].

En l’absence d’un projet précis et antérieur à la décision de préemption, l’illégalité de la décision apparaît manifeste.

En conclusion, l’illégalité des décisions de préemption découle fréquemment du non-respect de ces conditions, offrant ainsi une base solide pour contester ces décisions devant les juridictions compétentes.

Orlane Sommaggio
Avocate au barreau de Grenoble
Enseignante en droit de l’urbanisme

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Notes de l'article:

[1Ccl sur CE, 20 novembre 2009, Commune de Drancy et autres, n° 313464, n° 316733 et n° 316961.

[2Voir notamment sur ce point Conseil d’Etat 20 novembre 2009, numéro 313464 Commune de Drancy.

[31 Février 2018, n° 16DA00359.

[4CAA Marseille, 14 septembre 2020, commune de Camaret-sur-Aigues, n° 18MA05274.

[5TA Lyon, 7 octobre 2021, n° 2006324.

[6CAA Nancy, 13 décembre 2012, n°11NC01589.

[7CAA Nantes, 21 décembre 2018, n°17NT02706.

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