Dans cette affaire, un maire avait refusé une demande de permis de construire concernant un projet soumis à évaluation environnementale. Ce projet, une usine de fabrication de laine de roche, avait suscité une forte controverse au sein de la population locale. Le maire avait publiquement exprimé son opposition au projet à plusieurs reprises, que ce soit lors de réunions publiques ou sur d’autres supports de communication.
Saisi par le pétitionnaire et par le préfet, le Tribunal administratif d’Amiens avait annulé ce refus, estimant que la décision était entachée d’une violation du principe d’impartialité, principe qui s’impose à toute autorité administrative, y compris les maires.
Cependant, la Cour administrative d’appel de Douai, saisie à son tour, a adopté une position différente : elle a jugé que l’opposition publique et répétée du maire n’était pas, en elle-même, suffisante pour rendre la décision illégale si celle-ci reposait sur des motifs juridiques fondés.
Première décision : le tribunal administratif annule le refus.
Dans son jugement du 8 décembre 2022 (n° 2102509 et 2102803), le Tribunal administratif d’Amiens a considéré que les multiples prises de position publiques du maire contre le projet suffisaient à démontrer une méconnaissance du principe d’impartialité. Le juge a ainsi estimé que :
- Le maire avait préjugé de la décision à prendre, en exprimant son hostilité avant l’instruction complète du dossier.
- Cette prise de position publique compromettait sa capacité à statuer de manière objective.
En conséquence, le refus de permis de construire a été annulé, le tribunal ayant conclu que la décision n’était pas exempte de partialité.
La cour administrative d’appel : un raisonnement plus nuancé.
La Cour administrative d’appel de Douai, dans un arrêt ultérieur, a pris une position opposée, estimant que l’opposition publique du maire n’entraînait pas nécessairement l’illégalité de sa décision.
La cour a articulé son raisonnement autour de deux éléments fondamentaux :
1) Le principe d’impartialité et l’article L422-7 du Code de l’urbanisme.
Selon cet article, un maire doit se dessaisir de l’instruction des permis de construire lorsqu’il est personnellement intéressé par le projet. Cependant, la cour a précisé que cet "intérêt" est plus souvent invoqué dans des cas où le maire pourrait tirer un bénéfice direct du projet (intérêt positif). Dans cette affaire, l’intérêt en cause était négatif : le maire avait intérêt à ce que le projet ne voie pas le jour, notamment en raison de ses impacts potentiels sur une activité économique liée à sa famille.
Ainsi que le relève la cour, "il ressort des pièces du dossier que le maire avait un intérêt propre à l’échec du projet en tant que propriétaire de terres agricoles proches du terrain d’assiette du projet, affirmant dans un message publié par internet sur un réseau social le 11 mars 2020 : "je connais bien le problème, je serai le premier voisin" et déclarant le 3 octobre 2020 dans le journal local qu’il s’opposerait au permis en cas de pollution avérée "ne serait-ce que pour mon fils, qui débute son activité de vente de légumes ? Vous voyez les clients se précipiter pour aller acheter des légumes qui ont poussé pratiquement au pied d’une cheminée crachant en continu des rejets."
Malgré cela, la cour a jugé que cet intérêt négatif, bien qu’existant, n’était pas suffisant pour invalider la décision si celle-ci était justifiée par des motifs d’urbanisme ou environnementaux légitimes.
2) Un examen des motifs de la décision.
La cour a adopté une approche pragmatique : elle a examiné si le refus était uniquement motivé par l’opposition personnelle du maire ou si des motifs d’intérêt général étaient également présents.
"Il résulte de l’application combinée de cette disposition législative et de ce principe général du droit que l’impartialité qui s’impose à un exécutif local est méconnue s’il est démontré qu’il a un intérêt personnel à l’édiction de l’acte qui ne se confond pas avec l’intérêt général de la collectivité locale qu’il représente."
Et la cour a fait primer l’existence d’un intérêt général à refuser le permis de construire :
"Cependant, en dépit de ses prises de position publiques constantes en défaveur du projet, il ressort des pièces du dossier que le maire a toujours pris soin de rappeler les éléments objectifs, notamment sanitaires, au vu desquels sa décision devait être prise. En outre, s’il n’a pas dissimulé qu’il avait un intérêt propre à la non-réalisation du projet en raison de sa qualité de voisin proche du terrain d’assiette de l’usine et de l’activité de maraîchage de son fils, il a mis en avant des considérations écologiques, liées au risque de pollution de l’environnement susceptible de toucher l’ensemble des 1 877 habitants, en 2020, de cette commune rurale.
Dès lors, il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu de l’ampleur du projet et de son impact sur le territoire de la commune, le maire aurait, en prenant l’arrêté de refus attaqué, poursuivi un intérêt personnel, exclusif de l’intérêt général. Par suite, le moyen tiré du défaut d’impartialité du maire de Courmelles n’est pas fondé."
Elle a conclu que les justifications avancées - notamment des préoccupations environnementales - étaient suffisamment solides pour rendre la décision légale, indépendamment des déclarations du maire.
Une décision qui réaffirme la primauté des motifs juridiques.
En conclusion, la Cour administrative d’appel de Douai a rappelé une règle essentielle : l’impartialité d’un maire peut être interrogée, mais si le refus d’un permis de construire est fondé sur des critères législatifs ou réglementaires objectifs, il ne sera pas nécessairement illégal.
Ainsi, même lorsque les déclarations d’un maire suscitent des doutes sur sa neutralité, la légalité d’une décision dépendra avant tout de la solidité de ses fondements juridiques. Cette décision envoie un signal clair aux élus locaux : la transparence et la rigueur juridique restent des éléments incontournables pour justifier leurs actes administratifs, même dans un contexte de forte opposition publique.