La Cour de cassation avait alors dû traiter un vide juridique, puisqu’à cette époque la notion d’existant était parfaitement ignorée du législateur, le Code civil, pas plus que le Code de la construction et de l’habitation n’y faisant référence.
La décision avait fait grand bruit, ce d’autant plus qu’elle émanait de la 1ère Chambre civile dont le droit de la construction n’est pas la matière de prédilection, et qu’il y avait quelque chose d’assez paradoxal à ce qu’elle soit amenée à déterminer le champ d’application de la responsabilité décennale des constructeurs, avec d’aussi lourdes conséquences.
Cet arrêt faisait suite à une précédente décision rendue le 30 mars 1994 (Cass, 3ème civ, 30 mars 1994, n° 92-11996) qui avait retenu l’application de la garantie RC décennale pour l’indemnisation de l’ensemble des dommages, dans une situation où il n’avait pas été possible de dissocier les existants des travaux neufs qui étaient devenus indivisibles par leur incorporation à l’immeuble.
La position adoptée par la Cour de cassation était éminemment contestable, dès lors que la lecture de l’article 1792 du Code civil ne laissait à priori entrevoir aucun doute sur le fait que la garantie RC décennale des constructeurs ne concernait que les ouvrages neufs qui sont l’objet du marché de travaux, les autres dommages devant être traités dans le cadre de la responsabilité contractuelle de droit commun.
L’arrêt du 29 février 2000 ayant été rendu au visa des articles L 241-1 et L 243-1 du Code des assurances, il n’y avait à priori aucun doute sur le fait que la position adoptée par la Cour de cassation ne concernait pas seulement le régime de responsabilité applicable, à savoir la responsabilité décennale tirée de l’article 1792 du Code civil, mais également celui de la garantie de l’assureur, à savoir la garantie RC décennale obligatoire.
En réaction à cette jurisprudence rejetée par les assureurs, qui avaient entrepris d’y résister en soutenant que l’étendue de la réparation des dommages due par les constructeurs sur le fondement des dispositions de l’article 1792 du Code civil divergeait de celle de l’indemnisation due au titre de l’assurance RC décennale obligatoire, l’article L 243-1-1 II. du Code des assurances, issu de l’Ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005, a très clairement indiqué, s’agissant du champ d’application de la garantie obligatoire RC décennale, que : « Ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. »
La situation était ainsi parfaitement clarifiée, puisque tout en conservant le bénéfice de la jurisprudence du 30 mars 1994, le législateur mettait un terme aux effets pervers de la jurisprudence Chirignan du 29 février 2000.
Pour autant, par un arrêt rendu le 15 juin 2017 au visa de l’article 1792 du code civil (Cass, 3ème civ, 15 juin 2017, n° 16-19640), la Cour de cassation a cru devoir indiquer que les désordres qui affectent les éléments d’équipement dissociables ou non, d’origine ou installés sur un existant, relèvent de la responsabilité décennale, dès lors qu’ils rendent l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination :
« Qu’en statuant ainsi, alors que les désordres affectant les éléments d’équipement dissociables ou non d’origine ou installés sur l’existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage, dans son ensemble, impropre à sa destination, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »
Cette décision, remarquée et destinée à être publiée au Bulletin, implique une remise en cause du principe qui était jusqu’à présent régulièrement rappelé par la jurisprudence depuis plusieurs années, selon lequel la garantie décennale issue de l’article 1792 du Code civil n’a vocation à s’appliquer qu’aux seuls éléments d’équipement adjoints à un ouvrage d’origine et non à un ouvrage existant.
La mise en œuvre de la garantie décennale était donc conditionnée à l’existence de désordres affectant un ouvrage ou un élément d’équipement adjoint à un ouvrage existant dès lors que l’installation pouvait être assimilée à des travaux de construction d’un ouvrage « de par sa conception, son ampleur et l’emprunt de ses éléments à la construction immobilière. » (Cass, 3ème civ, 23 février 2017, n° 15-26505).
A défaut, les désordres qui affectaient un élément d’équipement simplement adjoint à un ouvrage existant relevaient de la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entrepreneur, non couverte au titre de la garantie RC décennale obligatoire.
La garantie RC décennale obligatoire n’avait donc pas vocation à connaître des dommages affectant des existants en application des dispositions de l’article L 243-1-1. II du Code des assurances, sauf à justifier d’une incorporation des travaux neufs rendant le tout indivisible.
La décision du 15 juin 2017 remet donc très clairement en cause la pertinence de cette distinction lorsque les désordres qui affectent l’élément d’équipement ont pour conséquence de rendre l’ouvrage impropre à sa destination dans son ensemble.
De la sorte, la Cour de cassation institue une jurisprudence très clairement contra legem, dès lors que les dispositions de l’article 1792 du Code civil ne font état que de la construction d’un ouvrage et aucunement d’un élément d’équipement et que l’article L. 243-1-1. II du Code des assurances indique que les dispositions relatives à la garantie RC décennale obligatoire ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles.
La Cour de cassation a confirmé sa position dans un arrêt du 29 juin 2017 (Cass, 3ème civ, 29 juin 2017, n° 16-16637), toujours au visa de l’article 1792 du Code civil uniquement, à propos cette fois-ci d’un élément d’équipement inerte dissociable installé sur un existant :
« Mais attendu qu’ayant relevé que les désordres affectant le revêtement du sol, élément d’équipement des locaux, consistaient notamment, en des poinçonnements au droit des points d’appui des meubles, des défauts d’adhérence se matérialisant par un cloquage, des dégradations mécaniques du revêtement, et des défauts d’adhérence, et souverainement retenu que ces différentes dégradations, incompatibles avec la nécessité de procéder au déplacement des meubles, de les mettre en valeur et d’offrir aux clients potentiels un cadre attractif pour inciter à leur achat, rendaient ces locaux impropres à leur destination, la cour d’appel a exactement déduit de ces seuls motifs que ces désordres engageaient la responsabilité décennale de la société Sunset. »
Au passage, il peut être constaté que la Cour de cassation entend rappeler que l’appréciation de la notion d’impropriété de l’ouvrage à sa destination relève de la compétence souveraine des juges du fond, qui se doivent uniquement de le caractériser dans leurs décisions pour justifier de l’application de la garantie légale des constructeurs, ce dont il est alors fait application en présence de désordres essentiellement esthétiques, mais affectant un hall d’exposition.
La Cour de cassation a encore réitéré sa position concernant des incendies imputables à un insert installé sur un ouvrage existant dans un arrêt du 14 septembre 2017 (Cass, 3ème civ, 14 septembre 2017, n° 16-17323), toujours au visa de l’article 1792 du code civil.
Il était alors permis de se demander si la Cour de cassation entendrait cantonner l’extension du champ d’application de l’article 1792 du Code civil aux dommages causés aux existants du fait de l’adjonction d’un élément d’équipement défaillant au seul régime de la responsabilité des constructeurs, ou si elle entendait l’étendre également au régime de la garantie décennale obligatoire, l’article L 243-1-1. II du Code des assurances n’étant visé dans aucune de ces trois décisions.
La réponse vient d’être apportée par un arrêt du 26 octobre 2017 (Cass, 3ème civ, 26 octobre 2017, n° 16-18120) :
« Mais attendu, d’une part, que les dispositions de l’article L. 243-1-1 II du Code des assurances ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant, d’autre part, que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la garantie décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination ; que la cour d’appel a relevé que la cheminée à foyer fermé avait été installée dans la maison de M. et Mme X... et que l’incendie était la conséquence directe d’une absence de conformité de l’installation aux règles du cahier des clauses techniques portant sur les cheminées équipées d’un foyer fermé ; qu’il en résulte que, s’agissant d’un élément d’équipement installé sur existant, les dispositions de l’article L. 243-1-1 II précité n’étaient pas applicables et que les désordres affectant cet élément relevaient de la garantie décennale ; que, par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, l’arrêt se trouve légalement justifié. »
La volonté de la Cour de cassation d’étendre le régime de la garantie RC décennale obligatoire aux dommages causés aux existants par la réalisation de travaux neufs ne fait donc plus aucun doute, ce d’autant plus que toutes les décisions rendues depuis le 15 juin 2017 sont destinées à être publiées au Bulletin et au Rapport de la Cour de cassation et tout particulièrement l’arrêt du 26 octobre 2017.
Le message est donc parfaitement clair, dans le cadre d’un arrêt de rejet mais par substitution de motifs.
Pour autant, l’analyse aujourd’hui portée par la Cour de cassation n’est absolument pas satisfaisante et appelle très certainement une réaction de la part du législateur.
D’une part, en indiquant dans un attendu de principe que : « les dispositions de l’article L. 243-1-1 II du Code des assurances ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant », la Cour de cassation dénature totalement l’esprit de l’article 3-VII de l’ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005, qui dispose que : « Ces obligations d’assurance ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles. »
La Cour de cassation soutient donc désormais une jurisprudence qui est très clairement contraire au texte, ce qui n’est pas sans rappeler la position qu’elle avait déjà adoptée à l’occasion de l’arrêt Chirignan, dès lors qu’il a toujours été dans l’intention du législateur, depuis l’Ordonnance du 8 juin 2005, de ne pas soumettre les dommages aux existants au régime de la garantie RC décennale obligatoire des constructeurs.
L’article L 243-1-1. II du Code des assurances, en disposant que les obligations d’assurances édictées par les articles L 241-1, L 241-2 et L 242-1 du Code des assurances ne sont pas applicables aux ouvrages existants, a très clairement voulu signifier que la garantie RC décennale obligatoire n’avait pas vocation à couvrir les dommages occasionnés aux existants par la réalisation d’un ouvrage neuf ou la mise en œuvre d’un élément d’équipement, dissociable ou non, avec pour seule exception ceux d’entre eux qui seraient totalement incorporés dans l’ouvrage neuf pour en devenir techniquement indivisibles.
Le fait est que si l’article L 243-1-1. II du Code des assurances ne se réfère pas expressément à la notion d’élément d’équipement accessoire à un ouvrage, mais uniquement à la notion d’ouvrage, contrairement à ce qui figure dans le paragraphe I alinéa 2, il est permis de se demander ce qui pouvait autoriser la Cour de cassation à affirmer aussi péremptoirement, et contre l’esprit du texte, que « les dispositions de l’article L 243-1-1. II du Code des assurances ne sont pas applicables à un élément d’équipement installé sur existant. »
Ainsi donc, si le principe reste toujours celui selon lequel la garantie RC décennale obligatoire ne s’applique qu’aux ouvrages neufs et aux éléments d’équipement installés au moment de la construction de l’ouvrage et non aux éléments d’équipement simplement adjoints à l’existant, celui-ci peut être renversé lorsque :
Les travaux d’adjonction d’un élément d’équipement à l’existant peuvent être assimilés à des travaux de construction d’un ouvrage, ce qui n’est toujours pas le cas du revêtement de sol installé sur un ouvrage existant.
Les désordres qui affectent l’élément d’équipement rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, ce qui est typiquement le cas de l’incendie provoqué par la défaillance d’un élément d’équipement simplement adjoint à un existant, tel qu’un insert ou un poêle à bois, ou bien encore un ensemble de cellules photovoltaïques.
D’autre part, cette analyse emporte des conséquences non mesurées et difficilement mesurables au demeurant pour les assureurs, dès lors que l’économie du contrat d’assurances s’en trouve totalement bouleversée.
Le risque de dommages aux existants, du fait de la réalisation de travaux neufs, qui était jusqu’alors traité dans le cadre des garanties facultatives avec application de plafonds de garantie, doit être désormais pris en charge au titre de la garantie RC décennale obligatoire s’agissant des désordres matériels.
Alors que l’assureur RC décennale déterminait jusqu’à présent le montant de sa prime en fonction du chiffre d’affaires de l’assuré et la nature des activités déclarées, il lui faudra désormais en ajuster le montant en considération de la valorisation des existants, ce qui sur le plan pratique s’avère extrêmement compliqué, voir tout simplement impossible.
Si un assureur dommages ouvrage peut éventuellement disposer des éléments nécessaires pour analyser un risque découlant de la présence d’existants, lors de la constitution de son dossier de souscription, il en va différemment de l’assureur RC décennale qui n’est pas matériellement en mesure d’aller rechercher de la prime sur des existants.
Enfin, la position adoptée par la Cour de cassation risque d’emporter des conséquences absolument dramatiques pour tous ceux qui, souvent en toute bonne foi, pensent ne pas être redevables de la garantie RC décennale obligatoire, puisque ne procédant qu’à l’installation d’un élément d’équipement, dissociable ou non, sur un existant.
Le simple remplacement d’un moteur de VMC sur un existant est désormais susceptible de mobiliser la garantie RC décennale de l’entrepreneur, dès lors que la défaillance de l’élément d’équipement a entraîné la ruine de l’immeuble existant.
La situation est d’autant plus inquiétante que la réforme de la prescription en matière pénale par la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 a porté le délai de la prescription du délit de défaut de souscription d’une assurance RC décennale, prévu à l’article L 241-1 du Code des assurances, de trois à six ans.
La jurisprudence, pour sa part, n’a jamais eu de cesse de rappeler que le défaut de souscription de l’assurance RC décennale obligatoire au titre des dommages matériels constitue pour le chef d’entreprise une faute détachable qui engage sa responsabilité personnelle sur le fondement des dispositions des articles 1382 du Code civil et L 223-22 du Code de commerce (Cass, com, 28 septembre 2010, n° 09-66255).
Sur le plan civil, l’action du maître de l’ouvrage à l’encontre du dirigeant, sur le fondement de la faute de gestion détachable de ses fonctions, tirée des dispositions de l’article L 223-22 du Code de commerce, doit être alors engagée dans les trois ans à compter du fait dommageable ou, si la faute a été dissimulée, dans les trois ans de sa révélation, conformément aux dispositions de l’article L 223-23 du Code de commerce.
Il a d’ores et déjà été jugé que l’absence de souscription de l’assurance obligatoire dès l’ouverture du chantier constitue en soit un préjudice certain pour le maître d’ouvrage, même en l’absence de tout dommage à l’ouvrage, du fait de la privation d’une garantie de prise en charge en cas de survenance d’un désordre avant l’expiration du délai d’épreuve de la garantie décennale.
On comprend alors aisément le risque extrêmement important qui est désormais encouru par tout entrepreneur qui intervient sur un existant pour installer un élément d’équipement, dissociable ou non, sans s’être préalablement assuré de la souscription d’une assurance RC décennale au titre des dommages matériels.
Une nouvelle rédaction de l’article L 243-1-1. II du Code des assurances apparait donc absolument nécessaire dans les délais les plus brefs.
Discussion en cours :
Bonjour
je n’approuve pas votre analyse. Les promoteurs vendeurs du neuf ou du réhabilité neuf vendent du neuf. En suivant votre raisonnement il suffit qu’ils décident souvent par facilité de ne pas rénover quelques éléments pour que la décennale ni la DO ne s’applique pas. Récemment j’ai eu le cas choquant d’infiltrations massives dans du « neuf » de réseaux d’évacuation non rénovés et non conformes aux normes de par la seule faute des intervenants. Inondations de l’immeuble au niveau inférieur et 100% d’humidité dans les murs de structure. Refus de prise en charge par tous les constructeurs et assureurs. Est-ce que c’est cela l’immeuble « neuf » conforme à sa destination ? Est-ce cela des travaux « renovatoires » ? J’approuve donc totalement cette jurisprudence de la Cour de cassation, sauf à ce que le vendeur mette en garde sur les éléments non rénovés dans l’acte de vente et exclus des garanties. Ce qui lui fera baisser son prix pour la partie non rénovée et non couverte. C’est facile de vendre pour du neuf ce qui ne l’est pas à des profanes en mettant en avant les garanties qui le jour J ne joueront pas..