Dirigeant d’entreprise : faut-il investir dans l’art contemporain ?

Par Patrick Cocheteux, Avocat.

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Le dirigeant d’entreprise n’a souvent pas le temps de se préoccuper du style à donner au hall d’entrée de ses bureaux, du restaurant d’entreprise ou de la salle de réunion. Déjà préoccupé par la gestion et le commercial, les ressources humaines et la fiscalité, il considère souvent qu’investir en art relève du décorateur des locaux. Au mieux ceux-ci se retrouvent donc neutres ou sans âme, au pire de mauvais goût voire traités ironiquement par un artiste facétieux. J’ai ainsi vu un hall de banque occupé par une main géante rouge qui plaisait beaucoup au directeur. Celui-ci n’avait pas vu que l’artiste assimilait la banque au vol en affichant comme symbole la main coupée des voleurs du Moyen Age.

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I. Y a-t-il une rentabilité de l’investissement ?

Par réflexe peut être, le dirigeant qui veut investir en art contemporain souhaite en général y voir une rentabilité. En termes purement financiers, le pourcentage à conseiller est de l’ordre de 5 à 10% de la valeur totale de son patrimoine.

L’exonération de l’ISF a permis à certains dirigeants de voir l’investissement dans l’achat d’œuvres d’art comme un placement à l’abri de la fiscalité.
Malgré l’abandon de l’ISF, il reste que l’art peut toujours être considéré comme la mise à l’abri de liquidités qui n’ont pas besoin d’être employées mais conserveront leur valeur puisqu’elles ne sont pas liées aux fluctuations des marchés financiers. Mais en se mettant à l’abri des marchés financiers, on peut se tromper en se positionnant sur le marché de l’art [1].

La rentabilité financière de l’œuvre d’art est de fait souvent peu recherchée en elle-même par un dirigeant d’entreprise qui le fait plutôt par passion ou par besoin de reconnaissance.
La rentabilité de l’œuvre d’art est pour l’entrepreneur la recherche de l’utilité par l’image transférée à son activité. Et de toute façon l’investisseur est toujours digne de sa collection, voire majestueux s’il dispose de moyens extraordinaires. Pour le véritable collectionneur le plaisir d’achat prime souvent sur la recherche de profit à terme.

La rentabilité de l’investissement ne dépend pas du collectionneur mais du marché de l’art. Celui-ci est extrêmement difficile à cerner car les pratiques y sont souvent « borderline ». Ainsi par exemple, un artiste atteint une certaine cote après que plusieurs de ses œuvres aient été achetées puis revendues entre galeries « complices ». Autre exemple, il est difficile de dénicher un artiste qui deviendra célèbre alors que beaucoup de galeristes ne soutiennent pas en fait leurs artistes mais se comportent en loueurs de murs. Les acteurs institutionnels faussent aussi les jugements en orientant délibérément vers certains choix.
Les DRAC [2] privilégient ainsi l’art abstrait au détriment du figuratif depuis de très nombreuses années.

Quoiqu’il en soit, une œuvre d’art n’a pas uniquement une valeur marchande, elle a aussi une valeur esthétique et politique. La loi de l’offre et de la demande joue mais elle est très influencée par les critiques, les commissaires-priseurs, les gros collectionneurs, les musées, etc. Il est donc difficile de choisir une œuvre à fort potentiel valorisable.

Bref, si une œuvre plaît, il vaut mieux l’acheter pour l’intérêt qu’on lui accorde et en se portant acquéreur à l’atelier de l’artiste où elle sera à un prix de moitié de celui du galeriste. A défaut, il existe des données sur la cotation des artistes que l’on peut consulter sur des sites internet (Artprice, par ex) ou catalogues (Mayer devenu Artvalue, Akoun par ex.).

II. La fiscalité appliquée à l’investissement dans l’art.

Un tableau ou une sculpture ne rapportent en eux-mêmes qu’une réduction d’impôt sur le bénéfice mais la plus-value obtenue à la revente est imposable.

Les précautions d’achat. L’achat d’œuvres originales d’artistes vivants, sous réserve d’être exposées au public pendant la durée de l’amortissement, est admis en déduction du résultat imposable de l’entreprise [3]. Ce type d’incitation permet aux entreprises de soutenir les artistes et de véhiculer leurs valeurs entrepreneuriales.

La hauteur de l’investissement comprend le prix d’achat du bien mais aussi parfois les frais d’encadrement et d’installation, les frais de conservation dans un local sécurisé et les frais d’assurance. Il faut aussi connaître les commissions des intermédiaires (conseiller [4] à l’achat, frais de ventes aux enchères).

Le choix d’investissement [5] conseillé est souvent d’un niveau minimum de 20.000€ [6] si on recherche une forte plus-value mais on peut conseiller un achat beaucoup moins onéreux.
Ce qui est important, c’est la traçabilité de l’œuvre avec notamment un certificat d’authenticité et une signature au dos de la toile, une expertise du galeriste ou la facture du commissaire-priseur.

Passé ce cap, l’investissement dans l’art permet une fiscalité avantageuse. Si l’achat est effectué auprès de l’artiste ou de ses ayants droit, la TVA appliquée est le taux réduit de 5,5%. Toutefois, ce taux sera de 20% à la vente si la transaction se fait auprès d’un tiers.

À la vente, un bien dont le montant est inférieur à 5.000 € est exonéré d’impôt. Si la valeur de l’œuvre est supérieure à ce montant, il existe un choix [7] pour le particulier :
• Application d’une taxe forfaitaire de 6,5% dont la base est le prix de vente. L’imposition forfaitaire est particulièrement avantageuse en cas de détention de courte durée de l’œuvre et de plus-value importante.
• Imposition de la plus-value à 19%, avec des prélèvements sociaux de 17,2%. Cette option peut être intéressante car un mécanisme d’abattement de 5 % par année de détention à partir de la 3e année conduit à une exonération complète de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux au-delà de vingt-deux ans de détention [8] . Cette option suppose toutefois de pouvoir fournir une facture d’achat pour établir à la fois la durée de détention et le prix d’acquisition de l’œuvre cédée.

Mais le grand avantage fiscal de ce type d’investissement est la défiscalisation du patrimoine puisqu’il n’entre pas dans l’assiette de l’IFI [9]. On peut aussi facilement anticiper la transmission d’œuvres d’art en ayant recours à la donation-partage. La valeur de l’œuvre est déterminée au moment de la donation et ne peut être remise en cause lors de la succession. Par ailleurs, grâce à la dation en paiement, les droits de succession peuvent être payés par un don d’œuvres d’art à l’État. La procédure est complexe mais possible.

En conclusion, sauf à être très fortuné et investir dans des fonds spécialisés où le ticket d’entrée est cher mais la rentabilité assurée, mieux vaut faire œuvre de patience avec un investissement à long terme (au moins 12 à 15 ans) qui donne du plaisir au quotidien et la satisfaction d’aider les artistes émergents.

Patrick Cocheteux
Avocat Associé
PCX Avocats

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Notes de l'article:

[1L’indice le Mei / Moses Annual All Art donne un repère d’appréciation.

[2Direction régionale d’action culturelle.

[3En vertu de l’article 238 bis AB du Code Général des Impôts qui entend favoriser le mécénat d’entreprise, les sociétés qui se portent acquéreurs d’œuvres originales d’artistes vivants, peuvent sous condition déduire du résultat de l’exercice d’acquisition et des quatre années suivantes, une somme égale au prix d’acquisition dans la limite de 5 pour mille du chiffre d’affaires.

[4Une banque possède parfois un service spécialisé dans le conseil d’achat en art mais pour les gros investissements ; BNP Paribas Wealth Management par exemple. Il existe aussi des sociétés spécialisées comme FINE ART CAPITAL.

[5Le niveau d’investissement peut aller jusqu’à plusieurs millions pour l’achat d’artistes fortement cotés : Takashi Murakami, Peter Doig ou Damien Hirst à titre d’exemples.

[6La mise minimale peut être beaucoup plus élevée chez Sgam AI Art Fund ou Art Collection Fund.

[7Article 150 VL du Code Général des Impôts.

[8Article 150 VC du Code Général des Impôts.

[9Article 885 I du Code Général des Impôts.

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