Dépistage irrégulier de stupéfiants : droits du conducteur irrémédiablement compromis. Par Jean Michel Haziza, Docteur en droit.

Dépistage irrégulier de stupéfiants : droits du conducteur irrémédiablement compromis.

Par Jean Michel Haziza, Docteur en droit.

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Explorer : # dépistage de stupéfiants # droits de la défense # procédure irrégulière # analyse sanguine

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Le 15 octobre 2024, la Cour de cassation a annulé une condamnation pour usage de stupéfiants suite à un dépistage salivaire, arguant que le défaut de prélèvement sanguin privait le prévenu de ses droits de défense, rendant la procédure irrégulière. La seule mention de la possibilité pour un prévenu de «{bénéficier du droit}» à solliciter un examen technique ou une expertise, à la suite de la notification du résultat de l’analyse salivaire, est insuffisante.
Description rédigée par l'IA du Village

L’absence de prélèvement sanguin réalisé sur un conducteur alors qu’il s’était réservé, à la suite d’un prélèvement salivaire effectué sur sa personne dont le résultat a été positif à l’usage des stupéfiants, la possibilité de demander un examen technique ou une expertise, compromet irrémédiablement les droits de celui-ci de bénéficier d’une telle mesure.

Cass. Crim. 15 oct. 2024, n° 24-80.611, Publié au bulletin.

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Le dépistage salivaire étant censé faciliter les opérations de contrôle de l’usage de stupéfiants depuis la loi du 14 mars 2011 [1] peut s’avérer contra legem. Lorsqu’il y a un défaut de prélèvement sanguin à la suite d’un test salivaire positif aux stupéfiants, faisant obstacle à la possibilité pour le conducteur de demander un examen technique ou une expertise à propos d’un prélèvement sanguin, cela limite l’individu à demander l’examen ou l’expertise uniquement sur l’analyse salivaire.

En l’espèce, un conducteur a fait l’objet d’un dépistage salivaire de produits stupéfiants qui s’est révélé positif au cannabis. Ce résultat a été confirmé par une analyse toxicologique du prélèvement de sa salive.

Le conducteur a été poursuivi du chef de conduite pour usage de stupéfiants. Le tribunal correctionnel l’a condamné de ce chef à six mois de suspension du permis de conduire. Or, le conducteur et le ministère public ont interjeté appel de cette décision. La Cour d’appel de Versailles, le 21 décembre 2023, a confirmé le jugement rendu en première instance en condamnant l’individu à la même peine. Insatisfait par cette décision, le conducteur a formé un pourvoi en cassation.

Les juges du fond ont considéré que le prévenu ne pouvait tirer aucun grief du défaut de prélèvement sanguin par les enquêteurs parce qu’un tel prélèvement avait pour objectif de lui permettre de bénéficier du droit, dans les cinq jours suivant la notification du résultat de l’analyse salivaire, de solliciter une contre-expertise, droit qu’il n’a pas souhaité exercer.
Le prévenu critique l’arrêt rendu par la Cour d’appel en ce qu’elle a rejeté l’exception de nullité du dépistage de produits stupéfiants alors même que ce dernier n’a pas été soumis à un prélèvement sanguin par les enquêteurs. Effectivement, il allègue qu’il a été privé de toute possibilité de demander une contre-expertise, ce qui lui fait nécessairement grief et rend inopérante la motivation de la Cour d’appel fondée sur les articles R236-6 et R235-11 du Code de la route.

Les juges de la Cour de cassation devaient déterminer si l’absence de prélèvement sanguin devant être réalisé sur le conducteur qui s’était réservé, à la suite du prélèvement salivaire, la possibilité de demander un examen technique ou une expertise compromet irrémédiablement les droits de celui-ci de bénéficier d’une telle mesure.

Le 15 octobre 2024, la chambre criminelle de la Cour de cassation, réunie en formation restreinte, a cassé et annulé l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Versailles. Aux visas des articles L235-2, R235-5, R235-6, et R235-11 du Code de la route, les juges de la Cour de cassation ont affirmé qu’en l’absence de prélèvement sanguin réalisé sur le conducteur du véhicule qui s’est réservé, à la suite du prélèvement salivaire effectué sur lui en vue d’établir s’il avait fait usage de stupéfiants, la possibilité de solliciter un examen technique ou une expertise, compromet irrémédiablement les droits de ce dernier à bénéficier d’une telle mesure. Encourt ainsi la cassation l’arrêt d’appel qui écarte le moyen de nullité tiré du défaut de prélèvement sanguin effectué sur le conducteur qui s’était réservé la possibilité de demander un examen technique ou une expertise, au motif que celui-ci, à la suite de la notification du résultat de l’analyse salivaire, n’a pas sollicité une telle mesure.
Les juges de cassation renvoient la cause et les parties devant la Cour d’appel de Versailles, autrement composée.

L’arrêt, publié au bulletin et rendu en formation restreinte, fait l’objet d’une question juridique dont la réponse paraît s’imposer, celle du non-respect des droits de la défense dus à une irrégularité de procédure lors d’un contrôle du dépistage des stupéfiants.
Les juges de cassation rappellent en ce sens de manière assez pédagogique, au sein du considérant 8, les principes légaux et réglementaires applicables aux épreuves de dépistage de stupéfiants après un contrôle routier. Les épreuves de dépistage s’effectuent toujours en deux temps. Lorsque le premier test de dépistage aux stupéfiants s’avère positif, les enquêteurs sont soumis à une procédure stricte au sein de laquelle ils doivent toujours informer la personne contrôlée, par l’intermédiaire d’un formulaire, qu’il a la possibilité de demander un examen technique dans les cinq jours consécutifs à la notification du résultat de l’analyse salivaire [2]. Si la réponse du conducteur est positive, les enquêteurs doivent procéder « dans le plus court délai possible » [3] à un prélèvement sanguin.
Or, dans cette affaire, le prélèvement sanguin n’a pas été effectué, ce qui rend la procédure de dépistage irrégulière. Une telle circonstance autorise le conducteur à se prévaloir, en l’absence d’un prélèvement sanguin à la suite de sa réponse positive d’une irrégularité de procédure organisée par les articles R235-6 et R236-11 du Code de la route.

L’absence de réalisation d’un prélèvement sanguin consécutif à un résultat salivaire positif aux stupéfiants entache-t-elle les épreuves de dépistage d’une irrégularité propre à rendre impossible pour le prévenu l’exercice de ses droits ?

L’arrêt met en lumière l’exigence matérielle de laisser la possibilité au prévenu de demander un examen technique ou une contre-expertise portant sur l’analyse sanguine à la suite d’un premier test salivaire positif, même si ce dernier ne sollicite pas, par la suite, cette demande. La Cour opère une application implicite des droits de la défense. Effectivement, il incombe aux enquêteurs de respecter l’ensemble des droits du conducteur et de ne pas les négliger. Les droits du conducteur ne doivent pas uniquement s’arrêter à la possibilité pour lui de solliciter une contre-expertise, dans un délai de cinq jours, seulement sur le test salivaire.
Lorsqu’une irrégularité est décelée durant les épreuves de dépistage, le prévenu peut soulever une exception de nullité du dépistage de produits stupéfiants en arguant de l’impossibilité matérielle pour lui de réaliser une mesure d’examen technique ou une expertise sur les résultats du laboratoire.

Au regard du raisonnement des juges de cassation, les épreuves de dépistage des stupéfiants sont entachées d’une irrégularité (I), ce qui rend irrémédiablement impossible pour le prévenu l’exercice de ses droits (II).

I. Les épreuves de dépistage des stupéfiants entachées d’une irrégularité.

D’abord, la Cour de cassation rappelle le « principe » applicable aux opérations de contrôles du dépistage salivaire portant sur l’usage des stupéfiants à partir d’un conglomérat de textes.

Pour rappel, l’article L235-1 du Code de route, non utilisé par la Cour de cassation, réprime le seul fait d’avoir consommé des substances ou des plantes classées comme stupéfiants avant de conduire un véhicule. Il suffit donc, pour engager la responsabilité pénale du conducteur, qu’une analyse de salive ou de sang établisse la présence de substances interdites. Mais, encore faut-il que les épreuves de dépistage des stupéfiants soient respectées par les enquêteurs.

En vertu de l’article L235-2 alinéa 2 du Code de la route, les juges de la Cour de cassation rappellent dans cet arrêt que les enquêteurs, l’officier ou l’agent de police judiciaire, peuvent d’abord procéder au dépistage de stupéfiants par un test salivaire, même en l’absence d’accident de la circulation, d’infractions ou de raisons plausibles de soupçonner l’usage de stupéfiants. Sur ce point, le dépistage a été régulier.

Lorsque le dépistage salivaire s’avère positif, l’officier ou l’agent de police judiciaire demande à l’intéressé s’il souhaite se réserver la possibilité de procéder à une vérification, en vertu de l’article R235-6 I du Code de la route. L’officier ou l’agent de police judiciaire doit donc aussitôt demander à l’intéressé, c’est-à-dire « dans le plus court délai possible », qu’il a la possibilité de réaliser un prélèvement sanguin. Or, « en cas de recours à un prélèvement salivaire, le second échantillon résulte toujours d’une analyse sanguine » [4].
L’épreuve de la vérification sanguine peut être effectuée soit par un médecin, soit par un étudiant en médecine autorisé à exercer à titre de remplaçant ou un biologiste depuis un décret du 10 juin 2024 [5]. C’est l’un d’entre eux qui réalise toujours la prise de sang. Cette dernière est réalisée en présence d’un officier ou agent de police judiciaire en respect des articles R235-5 et R235-6 du Code de la route. La prise de sang est donc une condition essentielle à l’exercice des poursuites, car elle permet de déceler la présence de drogue dans le sang. Or, à défaut de prise de sang régulière [6] ou « en l’absence de prélèvement sanguin » [7], le conducteur ne peut être ni poursuivi, ni condamné.

Comme l’énonce l’article 7 de l’arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l’usage de stupéfiants et des analyses et examens prévus par le Code de la route [8], c’est en réalité le conducteur qui doit effectuer un tel prélèvement, sous le contrôle de l’officier ou de l’agent de police judiciaire, et pas par l’officier ou l’agent de police judiciaire comme le laisserait sous-entendre l’article R235-6 I du Code de la route.

En outre, lorsqu’il y a eu prélèvement salivaire, l’officier ou l’agent de police judiciaire doit demander « au conducteur s’il souhaite se réserver la possibilité de demander un examen technique ou une expertise » [9] ou bien une recherche de l’usage de médicaments psychoactifs prévus par l’article R235-11 du Code de la route.

Ainsi, dans l’hypothèse où le conducteur répond par l’affirmative, l’officier ou l’agent de police judiciaire doit faire procéder à un prélèvement sanguin complémentaire « dans le plus court délai possible » [10] afin que le conducteur puisse se réserver le droit de demander un examen technique ou une contre-expertise de l’analyse sanguine en laboratoire.

En l’occurrence, il y a eu non-respect de la part des enquêteurs des dispositions des articles R235-6 et R235-11 du Code de la route, car la Cour de cassation accueille le moyen au pourvoi et casse l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles en validant l’exception de nullité du requérant « tiré du défaut de prélèvement sanguin » [11].
En l’absence de ce second contrôle sanguin, qui devait être réalisé dans un temps voisin du premier test salivaire, les enquêteurs n’ont pas respecté l’ensemble des opérations de dépistage. C’est pourquoi les articles R235-6 et R235-11 du Code de la route sont entachés d’une irrégularité, ce qui rend impossible pour le prévenu d’exercer la possibilité pour lui de demander un examen ou une contre-expertise sur l’analyse sanguine puisqu’elle n’existe pas.

II. L’impossibilité irrémédiable pour le prévenu d’exercer ses droits.

« L’absence de prélèvement sanguin » [12] fait « obstacle à la réalisation » [13] pour le requérant d’une possibilité pour lui de demander un examen technique en laboratoire ou une expertise portant sur une prise de sang. À défaut d’un prélèvement sanguin, son droit se limite au résultat de l’analyse salivaire dans les cinq jours de la notification de ce résultat. Le conducteur n’est pas obligé de demander un examen technique ou une expertise de l’analyse salivaire et sanguine dont il a fait l’objet, à la suite de la réception des résultats.

La Cour de cassation applique ici les conditions des articles R235-6 I alinéas 2 et 3 et R235-11 du Code de la route. Le prévenu s’est bien réservé, à la suite du prélèvement salivaire effectué, la possibilité de demander un examen technique ou une expertise.

Dès lors, en application de l’article R235 alinéa 3 du Code de la route, il aurait dû être procédé immédiatement à un prélèvement sanguin sur sa personne. Or, aucun prélèvement sanguin n’a été effectué par les enquêteurs. L’irrégularité est donc certaine. Car, en l’absence de prélèvement sanguin effectué dans le respect des dispositions susvisées, aucune expertise ni aucun examen technique n’a pu être réalisé, faisant nécessairement grief au conducteur qui n’aurait, en tout état de cause, pas pu matériellement bénéficier de cette expertise.

Effectivement, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel en faisant comprendre aux juges du fond que la possibilité laissée au prévenu de « bénéficier (seulement) du droit » à solliciter un examen technique ou une expertise, à la suite de la notification du résultat de l’analyse salivaire, est insuffisante. Le conducteur se trouvait dans l’impossibilité matérielle de réaliser un examen technique en laboratoire ou une contre-expertise sur le résultat d’une analyse sanguine, alors qu’il aurait dû en faire l’objet.
La Cour de cassation n’examine pas dans sa décision le souhait du requérant d’exercer son droit, car l’exercice de « ses droits ont (déjà) été irrémédiablement compromis » [14] .

C’est donc en toute logique que le conducteur n’a pas été condamné par la Cour de cassation du chef de l’infraction de conduite d’un véhicule après avoir fait usage de stupéfiants parce que la procédure était entachée d’irrégularité « de telle sorte que ses droits ont été irrémédiablement compromis ».
Il y a une atteinte marquée aux droits de la défense, car les juges de la Cour de cassation utilisent des termes forts que l’on retrouve dans certaines décisions antérieures rendues par la Chambre criminelle [15].

Les atteintes irrémédiables aux droits de la défense se perçoivent sur plusieurs points :

  • le requérant a été dans l’impossibilité de disposer d’un délai de cinq jours après la notification des résultats d’une analyse sanguine ;
  • il n’a donc pas été en mesure de demander au Procureur de la république qu’il soit procédé, à partir d’un tube sanguin prélevé, à un examen technique ou à une expertise.

Deux droits d’exercer une défense ont donc été bafoués par les enquêteurs et par la Cour d’appel : la demande d’un examen technique d’une analyse sanguine et la demande d’une expertise de cette analyse sanguine, les deux réalisés en laboratoire.

Jean Michel Haziza, Docteur en droit privé et sciences, ATER, ISCJ, Université de bordeaux

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Notes de l'article:

[1Ribeyre, « Loppsi II : de nouvelles règles au service de la répression », Dr. pénal 2011. 12.

[2V. CE 21 nov. 2023, n° 467841 B : « La circonstance que le conducteur n’a pas été mis à même de se réserver une telle possibilité ou qu’un souhait exprimé en ce sens n’a pas été pris en compte est de nature à entacher la régularité de la procédure engagée à son encontre ».

[3Cass. Crim. 15 oct. 2024, n° 24-80.611, F-S, P, Considérant 8.

[4Jean-Paul CERE, « Conduite sous influence : alcool, stupéfiants », Rep. Pen., Sept. 2022, Actu : Juill. 2023, n° 69.

[5Art. R. 235-6 anc. C. Route ne visait que le médecin et l’étudiant en médecine remplaçant.

[6Crim. 15 févr. 2012, n°11-84.607 , Bull. crim. no 48 ; Dr. pénal 2012, no 70, note Robert ; Gaz. Pal. 21 avr. 2012, p. 37, note Fourment ; Gaz. Pal. 27/28 juill. 2012, p. 29, obs. Detraz ; Rev. pénit. 2012. 922, obs. Vergès.

[7Cass. Crim. 15 oct. 2024, n° 24-80.611,préc. Considérant 10.

[8V. cet Arr. ss. art. R. 235-13 C. Route.

[9Cass. Crim. 15 oct. 2024, n° 24-80.611, préc., Considérant 8.

[10ibid.

[11Ibid., Considérant 9.

[12Ibid., Considérant 10.

[13Ibid.

[14Ibid.

[15V. en ce sens Crim. 20 mai 2015, n°14-81.204 ; Crim. 11 mars 1991, n° 90-82.850.

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